Fiche technique / Etat des lieux

Des plantes mutantes dans nos assiettes

Par Eric MEUNIER

Publié le 31/08/2005

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La mutagénèse, mot composé de « mutant » et « genèse », signifie : création de mutants. Elle regroupe l’ensemble des méthodes permettant de modifier le génome d’un organisme vivant. Si les plantes transgéniques ont tenu l’actualité, d’autres plantes non transgéniques mais mutantes ont également été développées et commercialisées, et ce, bien avant les plantes génétiquement modifiées (PGM). Ce dossier explique leur apparition et leur développement, et pose les questions d’innocuité sanitaire, de sécurité environnementale et de souveraineté alimentaire (mise sous dépendance des paysans par le brevet et les contrats) jamais abordées publiquement.

Alors que les plantes transgéniques mobilisent l’attention, d’autres plantes que nous appellerons “mutantes” (cf. encadré 1 : mutations, de quoi parle-t-on ?), issues d’une technologie antérieure, ont été développées et répandues dans les champs du monde entier. Non soumises aux mêmes procédures d’autorisation que les plantes transgéniques, ces plantes possèdent un avantage pour les entreprises : la facilité de leur commercialisation. Un article scientifique de quatre chercheurs de l’entreprise Bayer, présentant une technique de mutation dénommée Clearfield, explique en effet : “La technique Clearfield n’étant pas différente des techniques traditionnelles, il n’y a [pour obtenir une autorisation de commercialisation] aucune procédure législative contraignante en plus de celles appliquées aux variétés traditionnelles” [1].

Les plantes transgéniques

Les plantes transgéniques sont des plantes dont le génome a subi une modification par insertion de gènes.Cette modification est obtenue selon une technologie particulière, la transgénèse. Pour générer une telle plante, les chercheurs construisent une cassette contenant trois parties : une séquence d’Acide DésoxyriboNucléique (ADN) dite promoteur, le ou les gènes d’intérêt et une séquence d’ADN dite terminateur [2]. Le gène d’intérêt est soit un gène étranger, comme dans le cas de la création de plantes insecticides produisant la protéine Bt, soit un gène natif de la plante préalablement modifié, modification lui conférant ainsi une nouvelle propriété, comme dans le cas de la tolérance à l’herbicide glyphosate (cf encadré : Plante résistante à un herbicide : pourquoi ?). Les promoteurs et terminateurs sont toujours des gènes étrangers, le plus souvent d’origine virale. Ensuite, la “cassette” doit être insérée dans le génome de la plante ce qui le modifie pour deux raisons : l’insertion de nouveaux gènes, d’une part, et la coupure en deux des séquences d’ADN du génome d’origine où s’insèrent les nouveaux gènes, d’autre part. Cette introduction se fait de façon aléatoire, la cassette pouvant se placer en différents endroits du génome de manière non contrôlée. De plus, on introduit simultanément des gènes marqueurs, comme les gènes de résistance aux antibiotiques, pour permettre d’identifier les plants ayant intégré la cassette.

Suite à sa création, la commercialisation d’une plante transgénique (PGM) suit, en Europe, une procédure particulière. Succinctement, au cours de la phase de mise au point de la plante, l’entreprise doit obtenir une autorisation des autorités compétentes nationales afin de pouvoir effectuer des essais en champs. Ces essais terminés, elle doit bénéficier d’une autorisation de commercialisation délivrée par les Etats membres de l’Union européenne, après évaluation des risques sanitaires et environnementaux. Puis l’entreprise s’adresse aux autorités nationales gérant l’inscription de toute variété au catalogue. Des analyses sont alors conduites afin d’évaluer la variété candidate. La délivrance par ces autorités d’un accord d’inscription dans le catalogue national déclenche la procédure d’inscription au catalogue européen et permet alors à l’entreprise de commercialiser sa variété de plante transgénique.




Mutations : de quoi parle-t-on ?

Mutant : se dit de cellules ou d’individus porteurs d’un ou plusieurs changements héréditaires (mutation) dans la séquence de l’ADN, à l’exception des échanges génétiques se produisant naturellement lors de croisement et/ou de recombinaisons naturelles. Ces changements affectent l’expression d’un ou plusieurs gènes.

Mutation spontanée : Mutation survenant naturellement, sans intervention volontaire. La fréquence de ces mutations dépend des espèces et de leur environnement mais reste généralement faible.

Mutation aléatoire : C’est une mutation qui peut toucher n’importe quelle partie du génome et apportant une modification non définie. Elles peuvent être spontanées ou provoquées par des agents dits mutagènes (rayons X, produits chimiques…), ayant la propriété d’augmenter significativement la fréquence des mutations spontanées.

Plantes transgéniques : Selon la directive européenne 2001/18, un OGM est “un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été altéré d’une façon ne se produisant pas naturellement lors de croisement et/ou de recombinaisons naturelles”.

Principale source : Dictionnaire raisonné de Biologie – JL Morère,

Ed. Frison-Roche, 2003



Malgré ces procédures, de nombreux risques environnementaux, sanitaires et économiques, restent possibles sans toutefois être unanimement reconnus. Des études montrent qu’il existe des différences entre la séquence génétique théorique et celle qui est effectivement présente dans la plante transgénique [3]. De plus, l’insertion de la cassette transgénique étant aléatoire, le nombre de cassettes s’insérant ainsi que les points d’insertion dans le génome sont méconnus. Cette situation questionne donc la pertinence de toutes les analyses effectuées puisqu’on ne sait pas maîtriser le contenu génétique d’une plante. L’évaluation des risques sanitaires liés à la consommation volontaire ou involontaire des plantes GM, est plus approfondie que pour toute autre variété de plantes. Pourtant, des travaux montrent des impacts des PGM alimentaires sur les rats [4], mais surtout, les multiples polémiques liées à une évaluation insuffisante de ces risques laissent planer un doute persistant. Au point de vue environnemental, l’inquiétude majeure est le risque de contamination des plantes voisines, sexuellement compatibles. En effet, le patrimoine génétique de ces PGM est transmissible à des variétés de plantes qui, en l’intégrant, acquièrent donc leurs caractéristiques. De là découlent de nombreux problèmes : perte d’efficacité de l’herbicide, apparition de résistances, perte de biodiversité, risque de pollution génétique pour les agriculteurs voisins, particulièrement grave pour l’agriculture biologique [5]… Cette dissémination peut survenir hors de la voie sexuelle comme par le transport des semences, par l’homme, l’animal ou les machines [6], ou encore par transmission horizontale via les bactéries du sol [7]. Une étude anglaise a montré que du colza transgénique repousse durant seize années [8], ce qui souligne la rémanence des risques. Enfin, les brevets déposés sur les plantes transgéniques introduisent des risques économiques, régulièrement dénoncés. Tout agriculteur achetant des semences GM ou dont les semences ont été contaminées peut se voir refuser le droit de replanter l’année suivante une partie de sa récolte. En considérant les risques de contamination ou de repousses des plantes transgéniques, les agriculteurs pourraient donc être accusés de violation de brevets [9].

Les plantes mutantes

Les plantes transgéniques ne sont qu’une classe de la famille des plantes modifiées par l’homme. D’autres technologies existent et sont utilisées pour générer des plantes dîtes mutantes. Le principe de base d’obtention de ces plantes mutantes est assez simple. Tout organisme vivant porte des informations de base qui conditionnent son développement et son fonctionnement et dont le support (mais peut-être pas le seul) est l’ADN. Cet ADN peut être sujet à des mutations spontanées qui, quand elles sont favorables, permettent l’adaptation de chaque organisme à son environnement extérieur, en créant une nouvelle fonction ou en affinant une fonction existante. Les causes provoquant ces mutations sont multiples : rayons du soleil, produits chimiques… Ainsi, depuis 10 000 ans, les agriculteurs utilisent des variétés de plantes qui mutent dans les champs et qui sont sélectionnées au cours des récoltes car elles produisent des plantes convenant mieux aux caractéristiques du milieu. Au début du 20ème siècle, des travaux de production artificielle de “mutants” ont été effectués. Désireux d’obtenir des variétés de plantes ayant de nouvelles propriétés, des scientifiques ont choisi de ne pas attendre que des mutations apparaissent naturellement mais plutôt de les provoquer en laboratoire. Depuis, les techniques de mutagénèse se sont multipliées.

Le terme de “mutagénèse” fait référence à toute production volontaire de variabilité génétique chez un organisme vivant, par l’utilisation d’agents énergétiques (rayons gamma, rayons X…), chimiques ou par culture de cellules exposées à des agents sélectifs comme un herbicide. Bien sûr, parmi les mutants existent aussi des variétés de plantes apparues spontanément dans la nature.

Ces traitements, énergétiques, chimiques ou sélectifs, utilisent les mêmes protocoles scientifiques. Des semences, du pollen ou encore des cultures de cellules de la variété de plante à modifier sont exposés au traitement choisi. Dans le cas du traitement des semences et du pollen, on provoque spécifiquement la mutation. Dans le cas de l’exposition de cellules à l’herbicide, on révèle des mutants préexistants. Les chercheurs sélectionnent ensuite les individus viables : semences aptes à germer, pollen capable de féconder, cellules non tuées par l’herbicide. Les plantes obtenues sont ensuite sélectionnées sur leurs caractéristiques agronomiques, selon les opportunités commerciales identifiées. Celles présentant des propriétés non désirées mais a priori intéressantes sont conservées pour faire l’objet de recherches plus poussées. Pour celles présentant une caractéristique recherchée on poursuit leur mise au point, à savoir l’identification précise du gène muté.

Plante résistante à un herbicide : pourquoi ?

L’agriculture “moderne” pose comme principe la notion de champ “propre” où seule la culture désirée est présente, sans “mauvaise herbe” (encore appelées adventice). Pour débarrasser les cultures des plantes adventices, l’agriculteur peut utiliser des pratiques culturales adaptées (travaux mécaniques, semis dense sous couvert végétal…) ; mais des entreprises ont élaboré des herbicides spécifiques de certaines adventices, n’endommageant pas les cultures. Pourtant, comme pour toute application de produits chimiques, les adventices s’adaptent et finissent par résister, obligeant à la mise au point, longue et coûteuse, de nouveaux herbicides.

L’autre stratégie est de créer des plantes qui tolèrent l’application d’herbicides totaux (détruisant toutes plantes, sauf celles qui résistent). Selon le Pr. Siyuan Tan de l’entreprise BASF, interrogé par Inf’OGM, cette stratégie a été retenue car “il est plus facile d’obtenir des plantes tolérantes ou résistantes aux herbicides que de chercher de nouveaux principes actifs d’herbicide”. Pourtant, quelques adventices ont acquis une tolérance à ces herbicides totaux.

Par la suite, il existe un intérêt évident pour les entreprises semencières à transposer cette nouvelle caractéristique agronomique à d’autres variétés. Mais les mutations générées étant aléatoires, ne se situant pas uniquement sur un gène d’intérêt et surtout pouvant être multiples, il existait une réelle difficulté à identifier le gène impliqué dans cette nouvelle caractéristique. Cette identification est pourtant nécessaire pour d’une part breveter la variété obtenue, et d’autre part sélectionner plus rapidement les nouvelles variétés dérivant de celle obtenue en premier lieu. Par le passé, les techniques d’identification de ce gène étaient très longues du fait de la taille importante des génomes végétaux et des techniques utilisées ; la transgénèse était donc un outil idéal, offrant la possibilité de faire acquérir rapidement à plusieurs variétés une même propriété. Mais en 2000, un article faisait état d’une nouvelle technique, l’Identification des Lésions Induites Localement dans le Génome (Targeting Induced Local Lesions IN Genome – TILLING) [10]. Cette technique intervient après la sélection des plantes mutantes obtenues. Elle permet d’accélérer grandement l’identification du gène muté et la nature de la mutation. Les entreprises peuvent donc utiliser cette connaissance pour l’appliquer à d’autres variétés de plantes par mutagénèse avec une sélection des plantes plus rapide, les scientifiques connaissant désormais le gène à analyser pour savoir s’il porte la mutation recherchée.

D’autres techniques de mutagénèse existent. En 2001, des chercheurs de laboratoires du Cold Spring Harbor, de l’Université de Berkeley et de l’entreprise Syngenta, ont utilisé des séquences d’ADN du maïs appelées transposons [11]. Ces transposons sont des morceaux d’ADN qui ont la caractéristique de pouvoir s’insérer facilement dans un génome en y provoquant une modification, c’est-à-dire une mutation. Ensuite, on effectue une sélection des mutants viables obtenus, puis une sélection de ceux possédant une caractéristique intéressante. Selon le Pr. May, du laboratoire du Cold Spring Harbor, interrogé par Inf’OGM : “à l’heure actuelle, aucune plante commercialisée n’aurait bénéficié de cette technique de mutation”. De son côté, Monsanto dispose d’une collection de 200 lignées de maïs, contenant dans leur génome des transposons Activator.

Selon le Pr Siyuan Tan, de BASF, les techniques de mutagénèse augmenteraient la fréquence d’obtention de mutants par dix fois. La différence majeure entre la production de plantes mutantes et celle de certaines plantes transgéniques est que les laboratoires générant des mutants n’utilisent aucun gène issu d’un autre organisme et aucun marqueur de sélection : cette dernière s’effectue uniquement sur la base de la nouvelle caractéristique acquise par la plante, comme la tolérance à un herbicide ou une teneur en acide oléique différente [12].

Exemples de brevets sur des plantes mutantes aux Etats-Unis

Numéro Titre du brevet Propriétaire Date

6,348,643 Séquence d’ADN codant pour la petite sous-unité acétohydroxyacide synthase d’Arabidopsis et méthode d’utilisation Cyanamid 22/10/99

6,395,547 Méthode d’obtention de polynucléotide possédant les caractéristiques désirées, par sélection répétitive et recombinaison Maxygen 19/07/00

6,825,399 Gènes et vecteurs conférant aux plantes une résistance à un herbicide BASF 30/11/01

www.uspto.gov/patft/index.html

Mutants et transgéniques

La mutagénèse peut également être associée à la transgénèse. Ainsi, l’entreprise Pioneer, outre les variétés de maïs et canola indiquées ci-dessus, a conduit un projet avec Verdia et Maxigen pour créer un maïs transgénique tolérant des doses de glyphosate six fois supérieures à celles utilisées normalement. Ce maïs, en cours d’expérimentation en champs aux Etats-Unis, a été obtenu en effectuant des mutations aléatoires sur des bactéries pour rechercher une souche qui tolérerait l’herbicide. Le gène ayant subi la modification conférant la propriété désirée code pour l’enzyme gat, qui confère aux plantes une tolérance au glyphosate. Ce transgène étant différent de celui breveté par Monsanto, Pioneer a donc pu investir le marché de la tolérance au glyphosate. L’entreprise Verdia prévoit l’application de ces résultats à d’autres plantes comme le soja ou le coton. Elle a aussi travaillé avec Syngenta et Delta Pine & Land et annonce avoir en réserve une dizaine de produits agricoles potentiels, modifiés selon la même technique et qui seraient en cours d’évaluation [13].

La betterave fourragère A5/15, le colza GT73, le coton 1445 de Monsanto ou encore le colza Falcon de Bayer, sont des plantes mutantes et transgéniques tolérantes aux herbicides. En effet, le gène d’intérêt intégré au génome de la plante suite à une transgénèse est un gène naturellement présent dans celle-ci mais qui a subi une mutation. Monsanto, pour la tolérance au glyphosate, transfère une construction contenant le gène de l’enzyme EPSPS modifié, ainsi que des marqueurs antibiotiques. Cette enzyme EPSPS intervient dans une voie de synthèse protéique commune à toutes les plantes. La technique de mutagénèse aléatoire semble avoir été testée pour générer de telles plantes mais les mutants obtenus par l’entreprise conféraient à l’enzyme visée une déficience d’activité, rendant les valeurs agronomiques des plantes non intéressantes commercialement [14].

La législation

Les législations concernant les plantes transgéniques ont été créées de toutes pièces puis améliorées à la fin des années 90 suite à la pression citoyenne et du fait que ces plantes représentaient des nouvelles variétés obtenues selon une nouvelle technique. Comme nous l’avons vu, elles nécessitent d’obtenir une évaluation particulière sur les plans sanitaire et environnemental avant toute démarche d’inscription aux catalogues des variétés, inscription obligatoire pour toutes les variétés de plantes (conventionnelles, mutantes ou transgéniques). Dans le cas des plantes mutantes, la législation applicable varie d’un pays à un autre.

Aux Etats-Unis, les variétés de plantes mutantes possédant de nouvelles caractéristiques ne sont pas considérées comme nécessitant une autorisation particulière avant inscription aux catalogues des variétés. Ainsi, le processus d’enregistrement de ces plantes est similaire à celui de toutes les autres plantes. En France, selon le Dr Collonnier du Groupe d’Etudes et de contrôles des Variétés Et des Semences (GEVES), interrogé par Inf’OGM, “Il n’y a pas à notre connaissance de réglementation particulière relative à la commercialisation de variétés dérivées de lignées obtenues par mutagenèse induite” [15]. Ainsi, l’obtenteur doit simplement inscrire sa nouvelle variété au catalogue officiel. Pour cela, cette variété subit préalablement des tests dits DHS (Distinction – Homogénéité – Stabilité) et, pour les plantes de grandes cultures, des tests supplémentaires de VAT (Valeur Agronomique et Technologique). Ces tests sont effectués par le GEVES, pour le Comité Technique Permanent de la Sélection (CTPS), habilité à proposer l’inscription des variétés au Ministère de l’Agriculture. Françoise Blouet, du GEVES, nous a précisé que d’autres tests sont également effectués selon l’espèce végétale concernée et sa destination commerciale, comme le maïs doux qui sera évalué sanitairement, contrairement aux maïs grains et d’ensilage. Ces tests de toxicologie du maïs doux sont effectués par l’obtenteur, préalablement à la demande d’inscription au catalogue. Le bureau des semences et plants du Ministère de l’Agriculture nous a indiqué que ce maïs doux ne subit pas de tests de VAT car il est considéré comme une plante potagère et non de grande culture. Concernant le colza, Laetitia Denecheau, également du GEVES, jointe par Inf’OGM, indique que les variétés à destination de l’alimentation humaine, animale ou pour fabriquer des produits dérivés étant les mêmes, le GEVES a fait le choix de n’en évaluer sanitairement aucune. Ce choix est surprenant puisque des huiles de colza sont utilisées dans notre alimentation et qu’aucune justification n’a pu être apportée [16]. De plus, ce type d’évaluation répond au principe d’équivalence en substance, pourtant dénoncé par l’Union européenne dans le dossier des plantes transgéniques.

Pour les pays non membres de l’Union européenne mais ayant adhéré au système des semences de l’OCDE, leur système de contrôle des semences est reconnu comme équivalent à celui de l’Union européenne. Les semences contrôlées dans ces pays peuvent donc être automatiquement inscrites au Catalogue communautaire et commercialisées dans l’Union.

Ainsi, “parce que les cultures Clearfield ont été produites par des méthodes traditionnelles, aucune restriction due à des processus d’autorisation supplémentaire n’existe, sauf au Canada, puisque les autorités de régulation de ce pays étudient toutes variétés de plantes possédant une ou des nouvelles caractéristiques” [17]. En effet, dans le cadre de la législation sur les nouveaux aliments, le Canada possède un système unique qui impose un processus d’autorisation pour des plantes disposant de nouvelles caractéristiques, quelle que soit la technologie utilisée pour obtenir ces caractéristiques.

Plusieurs brevets ont été déposés par des entreprises afin de protéger les techniques permettant le développement de variétés de plantes mutantes. Le brevet a pour principale conséquence de lier l’agriculteur aux conditions de culture définies par l’entreprise, avec signature d’un contrat à l’achat des semences. Cette situation évoque la problématique des brevets sur les plantes transgéniques. (cf. tableau ci-dessus)

Les risques associés

Points communs entre plantes mutantes et transgéniques : la production de nouvelles protéines et l’instabilité du génome. La logique voudrait donc qu’elles soient évaluées, sur les plans sanitaires et environnementaux, de la même manière. Il n’en est rien.

Les plantes transgéniques sont évaluées sanitairement plus que toute autre variété de plantes. Bien que les évaluations effectuées et leurs résultats soient discutables, le système théorique est reconnu comme contraignant, avec pour objectif d’assurer que toute plante transgénique autorisée à la commercialisation, notamment à des fins alimentaires, ne porte aucun risque toxique en elle. Par contre, aux dires du GEVES, les plantes mutantes ne sont pas toutes évaluées sur ce point. Ainsi, à l’image du colza, certaines ne seront pas du tout évaluées. Et pour les plantes évaluées, les analyses sont réalisées par l’obtenteur et non par l’administration française.

Par ailleurs, en supposant que les études sanitaires soient un jour correctement effectuées, la question de la stabilité du génome de ces plantes est posée. Le traitement par agent chimique a pour propriété d’abîmer le génome, obligeant l’ADN à se réparer et donc permettre potentiellement, par suite d’erreurs au cours de la réparation, l’apparition de mutants. Pourtant, il semble que l’apparition de ces mutations n’aient pas lieu uniquement au cours de la première génération mais également lors des générations ultérieures. Ainsi, une variété vendue pourra produire des semences mutantes, qui en produiront à leur tour [18]. Considérant cela, on est en droit de s’interroger sur la validité des résultats de tests d’innocuité, alors que les génomes ne sont plus les mêmes.

Par ailleurs, de nombreuses études remettent en cause le dogme de la transmission stable de l’hérédité, comme cette expérimentation récente de l’équipe du Pr. R. Pruitt, de l’Université Purdue dans l’état d’Indiana aux Etats-Unis. L’équipe a réalisé l’autofécondation de plantes d’Arabidopsis (arabette des dames) porteuses d’une mutation naturelle récessive du gène Hothead qui empêche les fleurs de s’ouvrir. Tous les descendants devraient présenter la même mutation et donc le même phénotype que leurs parents (fleurs fermées). Or on a observé près de 10% de phénotypes sauvages, à fleurs normales, pourcentage trop élevé pour que l’explication soit une simple mutation compensant la première et restaurant la capacité des fleurs à s’ouvrir. Les hypothèses émises concernent des mécanismes de réparation de l’ADN qui ont pu corriger la mutation héritée des parents mais un tel mécanisme a besoin d’un modèle que ne pouvait fournir le génome muté. Les chercheurs n’ont pas non plus mis en évidence la présence d’une copie ADN extra-chromosomique du gène sauvage. Ils ont donc émis une hypothèse selon laquelle un type d’ARN stable (Acide RiboNucléique, molécule intermédiaire pour la synthèse des protéines dans le modèle ADN – ARN – protéine) aurait pu être transmis sur plusieurs générations, parallèlement au génome (ADN), et servir ainsi de modèle aux réversions observées. Une telle hypothèse implique que les plantes hériteraient d’information génétique non portée par l’ADN [19].

Au point de vue environnemental, les plantes mutantes présentent les mêmes risques que les plantes transgéniques car elles portent et peuvent transmettre la mutation de leur patrimoine génétique à des plantes voisines dans le cas d’une reproduction sexuée. En conséquence, des risques de perte de biodiversité, d’acquisition de tolérance aux herbicides, d’apparition de résistance chez les insectes cibles sont communs aux plantes mutantes et aux plantes transgéniques. De tels risques ne sont pas simplement hypothétiques et pour y faire face, l’entreprise Bayer a choisi de demander aux agriculteurs cultivant ses plantes mutantes résistantes à un herbicide de suivre un plan de culture strict… Son objectif est de limiter les impacts sur l’environnement par :

1° un traitement des surfaces entourant le champ afin d’en éliminer toute plante pouvant se croiser avec la plante de culture, diminuant ainsi le risque de voir la mutation se diffuser et des plantes non cibles acquérir une résistance à l’herbicide ;

2° l’interdiction de conserver les semences récoltées d’une année sur l’autre, afin que l’agriculteur ne récolte également des mauvaises herbes ou plantes voisines ayant acquis une résistance à l’herbicide qui pourraient être replantées l’année suivante et se propager ;

3° l’obligation de planter une culture différente l’année suivante. BASF argumente cette obligation pour ne pas prolonger l’utilisation du même herbicide sur les champs à cause du risque élevé d’apparition d’espèces tolérantes à l’herbicide. Pour contrôler l’application de ce plan, BASF se réserve le droit d’inspecter les fermes [20].

Enfin, les brevets déposés sur les techniques d’obtention de plantes mutantes ainsi que les contrats signés par les agriculteurs lors de l’achat de semences mutantes sont porteurs de risques économiques régulièrement dénoncés. Les brevets et contrats sur les semences sont un outil de mise sous dépendance des agriculteurs privés du droit de conserver leurs semences d’une année sur l’autre, pratique pourtant à la base des variétés agricoles existant aujourd’hui. Récemment, dans l’Etat de l’Arkansas, 25 agriculteurs ayant ressemé du riz Clearfield (breveté) résistant à l’herbicide Newpath, ont été condamnés à payer 2,5 millions de dollars à l’entreprise BASF.

Des mutants déjà commercialisés

Les premières variétés des plantes mutantes furent commercialisées dans les années 1950. Quinze années plus tard, ce sont une trentaine de variétés mutantes qui sont disponibles sur le marché [21]. Du blé et du riz mutants de l’entreprise Bayer sont commercialisés depuis 2001. La même entreprise commercialise du maïs et du colza mutants depuis 1995 et du soja mutant depuis 2003 aux Etats-Unis, en Argentine et en Turquie. Selon le Pr. Graham Schole de l’Université de la Saskatchewan au Canada, “connaître les variétés mutantes de plantes commercialisées dans le monde aujourd’hui semble être une tâche plus qu’ardue”. Selon ce chercheur, “établir une liste des variétés de plantes améliorées par mutagénèse reviendrait, à quelques exceptions près, à établir une liste de toutes les variétés de plantes cultivées dans le monde [22].

Dans le cas des plantes transgéniques, des bases de données recensent les plantes commercialisées. Ainsi la base de données de l’entreprise canadienne AgBios, est publiée sur Internet et disponible à tous. Pour les plantes mutantes, l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture des Nations unies (FAO) a mis en place dans les années 1950, une documentation pour les variétés dérivant directement de programmes de mutagénèse. Dans le cadre d’un programme conjoint avec l’Agence Internationale à l’Énergie Atomique (AIEA), une base de données (la Mutant Varieties Database – MVD [23]) recense l’ensemble des variétés de plantes ayant subi une mutagénèse aléatoire. Selon P. Lagorda, Chef d’unité de la Section de Génétique et d’amélioration des plantes de l’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA), interrogé par Inf’OGM : “Cette base comporte aujourd’hui 2338 variétés, nous devrions enregistrer la 2500ème inscription sous peu. Cependant, la démarche de déclaration est volontaire et M. Lagorda révèle que, si le secteur public fait preuve de bonne volonté pour des raisons de “communication entre scientifiques, promotion et reconnaissance du travail scientifique ou encore reconnaissance par ses pairs”, le secteur privé est beaucoup moins prolixe en déclarations. M. Lagorda explique ce comportement par différentes hypothèses :

1) Les Pays-bas, [par exemple], ont décidé de ne plus déclarer de variétés horticoles mutantes dans les années 1970 car les informations sur le processus de mise au point de ces nouvelles variétés de fleurs mutantes est le privilège et la propriété de l’entreprise.

2) Le processus de création de variétés, et notamment la partie de sélection des nouvelles variétés, nécessite une période de 10 à 15 ans. Au cours de cette période, l’information que la variété de départ était mutante est régulièrement perdue.

3) Bien que la caractérisation d’une variété mutante ne soit pas difficile au niveau agronomique, il est parfois obscur de savoir si cette variété va être utilisée pour des croisements avec d’autres ou bien directement en culture et donc, d’établir la réelle contribution de ces variétés à la création de nouvelles variétés mutantes.

4) Les standards de transparence des États-membres varient dans le temps et dans l’espace.

5) Il y a eu une forte confusion entre variétés mutantes et variétés transgéniques, tant par les pro que par les anti-PGM, conduisant les semenciers à hésiter avant de déclarer une nouvelle variété lorsqu’elle est mutante.

Comme déjà décrit, BASF a mis au point différentes variétés mutantes aléatoires. Ces nouvelles variétés Clearfield (champs propres) sont toutes tolérantes aux herbicides contenant certains principes actifs comme l’imidazolinone. Ainsi sont commercialisées, notamment aux Etats-Unis, des variétés de maïs Clearfield, du riz Clearfield, du soja et du blé Clearfield, toutes protégées par des brevets appartenant à BASF et soumis aux contrats de bonne utilisation. BASF commercialise également des variétés de tournesol, de lentille ou encore de riz mutant, toutes tolérant le principe actif d’herbicide, l’imidazolinone. L’entreprise Pioneer Hi-Breed commercialise des variétés de Canola Argentin (Brassica napus) tolérant des herbicides ou de composition en acide oléique élevée, une variété de maïs (Zea mays L.) tolérant l’imidazolinone. Syngenta commercialise une variété de maïs tolérant des herbicides…

Vers une législation renforcée des plantes mutantes non GM ?

Un premier constat s’impose : la diffusion commerciale des plantes mutantes non GM est passée pour le moins inaperçue aux yeux des consommateurs. De nombreuses questions soulevées par les plantes transgéniques pourraient pourtant également être posées : les différentes variétés de plantes mutées comme le colza doivent-elles être évaluées du point de vue de leur innocuité sanitaire ? quelles évaluations de la diffusion du gène muté aux plantes environnantes et sexuellement compatibles ? Plus fondamentalement, à écouter G. Scholes de l’université de la Saskatchewan, s’il est vrai que recenser les plantes mutantes cultivées revient à recenser l’ensemble des cultures mondiales, alors la question se pose de savoir comment on a pu arriver à une telle diffusion. D’autant que la mise au point de la technique de TILLING a pour principale conséquence d’accélérer le processus de mise au point de multiples plantes mutantes.

Après un tel constat, il semble que les plantes non mutantes, ou alors de manière spontanée, n’ont plus leur place dans les champs. Le Réseau Semences Paysannes [24], qui revendique le droit des agriculteurs à multiplier leurs propres semences, promeut l’utilisation de variétés de pays, non issues de mutations provoquées artificiellement. Mais, du fait des contaminations génétiques, c’est une véritable course contre la montre qui est engagée afin de sauvegarder les dernières variétés paysannes.

[1“Imidazolinone-tolerant crops : history, current status and future”, Tan et al., Pest Management Science, 2004, 61:246-257

[3“Characterization of commercial GMO inserts : a source of useful material to study genome fluidity”, Collonnier et al., Colloque 7ème ICPMB (International Congress of Plant Molecular Biology), juin 2003

[4« Effects of diets containing genetically modified potatoes », Pusztai et al., Lancet, Oct 99, Vol 354, n°9187

[5“Société civile contre OGM, Arguments pour ouvrir un débat public”, éd. Y. Michel, 2004, chapitre 2, page 37

[6“Evidence for gene flow via seed dispersal from crop to wild relatives in Beta vulgaris (Chenopodiaceae) : consequences for the release of genetically modified crop species with weedy lineages”, Arnaud J.F. et al., Proc R Soc Lond B Biol Sci. 2003 Aug 7 ;270(1524):1565-71

[7Journal du CNRS n° 153154 septembre octobre 2002

[8“Quantifying landscape-scale gene flow in oilseed rape”, G. Ramsay et al., Scottish Crop Research Institute Invergowrie Dundee DD2 5DA, http://www.defra.gov.uk/environment…

[9cf. note 5, chapitre 3, page 63

[10“Targeting Induced Local Lesions IN Genome (TILLING) for plant fonctionnal Genomics”, McCallum et al. Plant Physiology, June 2000, Vol 123, pp 439-442

[14selon le Pr. Siyuan Tan de BASF

[15Communication à Inf’OGM

[16Communication à Inf’OGM

[17cf note 1

[18Selon Daniel Evain, ancien sélectionneur chez Monsanto

[22cf. note 13

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