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Surfaces mondiales d’OGM en 2014 : +3,6% dans un monde de plus en plus polarisé

Par Christophe NOISETTE

Publié le 29/01/2015

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L’Isaaa, lobby de l’agriculture biotechnologique, vient de publier son état des lieux annuel des plantes génétiquement modifiées (PGM) dans le monde. Au-delà des questions méthodologiques et des variations entre les sources, l’analyse de ce rapport prouve, malgré l’enthousiasme sémantique de son auteur, que l’engouement pour les OGM ne redémarre pas. Si les maïs et soja transgéniques ont été adoptés rapidement sur le continent américain, les autres plantes, elles, stagnent et les autres continents restent globalement prudents, pour ne pas dire hostiles, à cette technologie. Démonstration…

Selon l’Isaaa, 181,5 millions d’hectares ont été cultivés en 2014 avec des variétés transgéniques au niveau mondial, soit quelque six millions d’hectares de plus qu’en 2013 (+3,6 %). Un taux qui reste faible, même s’il est légèrement supérieur à celui de l’an passé (+2,8% entre 2012 et 2013). Mais, globalement, depuis quelques années, nous assistons à un tassement de l’adoption des OGM. Par rapport à la surface agricole utile à l’alimentation, les PGM représentent à peine 2%… Et presque 4% si nous ne prenons en compte que les terres arables et les prairies (cf. Qui cultive des OGM et où en produit-on dans le monde ?).

Les PGM restent cantonnées à quelques pays et à quelques espèces

De même, le nombre des pays qui cultivent des OGM stagne (29 pays en 2010 contre 28 en 2014), avec cependant un léger turn over : la Suède, la Pologne, l’Allemagne et l’Égypte ont quitté le navire ; tandis que Cuba, le Soudan et le Bangladesh l’ont rejoint. Cette année, 120 agriculteurs bangladais ont cultivé 12 hectares avec une aubergine GM Bt (soit 0,1 ha par agriculteur). D’ailleurs, l’aubergine Bt est la seule nouvelle espèce qui a passé le stade de la culture en 2014 : soja, maïs, coton et colza restent donc très largement majoritaires. De même, par rapport aux modifications génétiques en tant que telles : aucune surprise. Les PGM cultivées restent majoritairement des variétés tolérant un ou ou plusieurs herbicides, et viennent ensuite celles qui produisent un insecticide. Reste environ 1% pour des PGM non pesticides, comme un maïs modifié pour tenter de mieux résister au stress hydrique (275 000 ha aux États-Unis), ou encore une luzerne avec un taux de lignine réduit.

Comme d’habitude, c’est le sol américain qui concentre la quasi totalité des cultures transgéniques. En effet, ensemble, les États-Unis, le Canada, l’Argentine, et le Brésil cumulent 151,2 millions d’hectares (soit 83,3% des surfaces de PGM dans le monde). Une proportion stable depuis des années (83,1% en 2013 et 83,4% en 2012). Et ce sont les États-Unis qui réalisent, cette année, la plus grande augmentation (+ 3 millions d’hectares), suivis du Brésil (+1,9 millions d’hectares). Aux États-Unis, l’augmentation est due en grande partie à un prix très attractif pour le soja et donc à une augmentation de la sole de cette légumineuse dans ce pays (+11% entre 2013 et 2014). De même, au Brésil, c’est l’augmentation de la sole du soja qui explique l’augmentation des cultures GM. Dans les deux cas, le taux d’adoption des variétés transgéniques n’a pas sensiblement évolué (autour de 93% pour ces deux pays).

Ainsi, 18 pays totalisent péniblement 2% des surfaces cultivées avec des OGM (soit 3,7 Mha), avec des surfaces nationales tout à fait anecdotiques par moment, comme au Costa Rica, au Bangladesh ou en Europe.

Sans vergogne, l’Isaaa continue de diviser le monde entre pays développés et pays en développement, rangeant dans cette dernière catégorie le Brésil et l’Argentine. Cette dichotomie n’a plus de sens, étant donné que la division économique entre des petites agricultures et des exploitations industrielles existe au sein même des pays. Les petits agriculteurs brésiliens et argentins ont-ils réellement bénéficié de la rente du soja GM ? Non, absolument non. Au contraire, l’arrivée de ces variétés, plus chères que les variétés conventionnelles et nécessitant de grandes quantités de pesticides, a eu comme conséquence, notamment, une hyper concentration des outils de production agricole dans les mains de quelques entrepreneurs, voire des fonds de pension. Ainsi, l’Argentine était mentionnée dans le rapport d’Amnesty International en 2007 qui soulignait « la vente et l’attribution illicites de terres propriétés de l’État aux compagnies d’exploitation forestière et aux producteurs de soja » dans le nord du pays. Et ce soja, l’or vert comme le surnomme certains observateurs, n’a pas permis à l’État argentin de lutter contre la malnutrition [1].

Diminution des surfaces dans certains pays historiques

En Chine, les surfaces cultivées avec des OGM ont diminué entre 2013 et 2014, passant de 4,2 à 3,9 millions d’hectares. Cette diminution est certes assez faible (-7%), mais en parallèle, il faut noter le manque de volonté du gouvernement à autoriser des PGM. Certains dossiers sont en attente depuis plusieurs années, notamment le riz et certains maïs. Dans son résumé, l’Isaaa affirme que l’adoption du coton Bt a profité aux petits paysans chinois et indiens. Vraiment ? Alors pourquoi les surfaces diminuent-elles en Chine ? Pourquoi les états indiens se posent-ils des questions quant à l’interdiction des variétés transgéniques ? Les évaluations socio-économiques de l’Isaaa ne sont pas détaillées et semblent basées sur des extrapolations peu fiables, en tout cas difficiles à vérifier.

Deux autres pays ont aussi vu leurs surfaces cultivées avec des PGM diminuer : l’Australie (de 0,6 Mha à 0,5Mha) et l’Afrique du Sud (de 2,9 Mha à 2,7 Mha, soit -7%).

Deux pays peuvent entrer dans cette catégorie, en fonction des sources utilisées. Ainsi, au Canada, si on se fie non aux chiffres de l’Isaaa mais de l’USDA [2], alors on note que la diminution des surfaces continue… Après avoir perdu 0,8 million d’hectares entre 2012 et 2013 (-7%), ce sont encore 0,6 millions d’hectares qui ont été perdus pour la cause biotechnologique entre 2013 et 2014 (-5,5%), pour atteindre 10,2 millions d’hectares selon les données publiées le 15 juillet 2014 par l’USDA. L’Isaaa en revanche parle de 11,6 Mha.

Inversement, l’Argentine, selon l’Isaaa, a vu ses surfaces en OGM se réduire, passant de 24,4 millions d’hectares à 24,3, mais selon l’USDA, ce pays aurait cultivé un peu plus de plantes transgéniques (24,8 Mha en 2014).

Le Costa Rica aussi a vu ses surfaces se réduire à néant, avec à peine 14 hectares, contre 373,70 ha en 2013. En 2007, le Costa Rica avait accueilli 1697,90 hectares de PGM.

Or ces six pays sont parmi les premiers à avoir adopté ces plantes transgéniques. Cette désaffection montre donc que les PGM ne sont pas la poule aux œufs d’or qu’on nous présentait…

A noter que, dans l’Union européenne, les OGM n’ont jamais vraiment décollé. Ces cultures n’ont jamais dépassé 0,1 % de la surface agricole utile et en 2014, c’est une légère diminution (-3,9%) qui a été enregistrée par les différents ministères [3]. Une seule PGM reste cultivée, le maïs MON810, qui bénéficie, rappelons-le aussi, d’une autorisation dont la légitimité est contestable, même si sa légalité n’est pas discutable. En effet, l’autorisation européenne pour le MON810 a pris fin en 2008… pourtant depuis, il reste autorisé du fait d’une demande de renouvellement de son autorisation déposée par Monsanto.

Moratoire, annulation, étiquetage : le monde reste divisé en deux

L’année 2014 a été jalonnée de nombreuses défaites pour la cause « OGM ». Quelques exemples méritent d’être mentionnés à l’heure où l’Isaaa va déployer sa propagande tout azimut. Ainsi, au Mexique, plusieurs tribunaux ont annulé l’autorisation donnée à Monsanto de cultiver plusieurs centaines de milliers d’hectares avec du soja GM ; au Costa Rica, la Cour suprême vient de déclarer que le processus d’autorisation des OGM était inconstitutionnel ; en France, l’Assemblée nationale a adopté une loi qui interdit la culture de tous les maïs transgéniques ; l’Union européenne vient d’adopter un nouveau mécanisme pour permettre aux États membres d’interdire la culture d’un OGM nationalement ; en Inde, plusieurs états essayent d’interdire la vente de semences GM ou certains essais en champs, et au niveau fédéral, l’aubergine Bt n’a pas reçu l’autorisation tant attendue ; aux États-Unis, la mobilisation n’a jamais été aussi importante, au point qu’un comté d’Hawaï a mis en place un moratoire sur la culture des OGM, et que deux autres états – Vermont, en juillet 2014, Maine, en janvier 2014 – ont voté des lois pour rendre l’étiquetage des OGM obligatoire…

Ensuite, nombre de dossiers « historiques » n’aboutissent toujours pas, notamment aux États-Unis et au Canada où le saumon transgénique d’AquAdvantage et le blé Roundup Ready sont toujours en attente d’autorisations… En revanche, les contaminations prolifèrent [4], et les insectes ou les adventices n’ont jamais autant acquis de résistances face aux transgènes.

Au-delà des OGM

Mais la faible progression des PGM pourrait être cachée par un autre facteur : en effet, l’Isaaa ne s’intéresse pas aux autres techniques de modification du vivant, fer de lance de l’industrie semencière, pour essayer de contourner les législations mises en place pour contrôler les plantes transgéniques. Ainsi, un peu partout dans le monde, les entreprises déposent des demandes d’autorisations et des brevets sur des variétés non transgéniques mais bel et bien issues de techniques de modification génétique, à l’instar du Canada qui a autorisé, courant 2014, deux plantes modifiées par mutagénèse dirigée [5], ou des États-Unis qui viennent d’autoriser la pomme de terre Innate, issue de la cisgenèse. Ces techniques, dont le statut OGM ou non OGM est toujours en discussion dans l’UE, arriveront-elles à se glisser dans les interstices des réglementations ? Le manque d’engouement que nous notons sur les OGM transgéniques ne reflète-t-il qu’un changement de stratégie des entreprises qui développent tout azimut ces nouvelles techniques de biotechnologies ?

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