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Soja OGM et sauvage : des croisements à prendre au sérieux
Les flux de gène entre colza transgénique et autres plantes sauvages apparentées (moutarde, ravenelle) ont été largement documentés. Les flux de gène entre le soja transgénique et ses cousins sauvages, eux, ont été très peu renseignés dans la littérature scientifique. Une étude, actuellement en « pre-print » (prépublication), s’est intéressée à ces échanges génétiques. Les chercheurs y détaillent plusieurs impacts que cette hybridation engendrerait si elle se produisait à grande échelle.
Pendant trois ans, en serre, des chercheurs chinois ont analysé des croisements entre du soja transgénique résistant à un herbicide et des sojas sauvages [1]. Il a souvent été énoncé que les soja GM et les soja sauvages avaient un taux de croisement faible [2]. Or, ces chercheurs soulignent que « si des conditions plus favorables, telles que la synchronisation de la floraison et certaines conditions climatiques, sont disponibles, un flux génétique plus important peut être observé ».
Le soja sauvage est largement répandu au Japon, en Corée et dans le sud-est de la Russie (région du kraï du Primorié), et la Chine est l’une des principales zones de distribution du soja sauvage. La Chine a autorisé très récemment un soja OGM, [3] mis au point par Hangzhou Ruifeng Biotechnology et produisant un insecticide (Cry1Ab/vip3Da) [4]. Des tractations entre les États-Unis et la Chine, via un accord de libre-échange, pourraient faire que le nombre de sojas transgéniques autorisés explose rapidement. Ce soja OGM n’est donc pas encore cultivé à grande échelle dans ce pays.
Or, de là, les chercheurs établissent plusieurs autres constats et montrent en quoi ce flux de gène est problématique.
Premièrement, ils ont montré que la protéine EPSPS, qui code pour la résistance au glyphosate (la molécule active du Roundup®), est exprimée de manière stable dans les sojas issus de ce croisement entre variété transgénique et espèce sauvage, et cela sur trois générations [5]. Ainsi, concrètement, de tels sojas « hybrides » résistant au glyphosate peuvent devenir des « super mauvaises herbes » par les repousses et les graines qui restent dans le champ. Ainsi, pour les éliminer, il faudra alors recourir à d’autres types d’herbicides ou augmenter les doses. Ce phénomène est connu depuis longtemps avec le colza et est un des éléments qui font dire que les variétés résistantes à un herbicide augmentent, de facto, la quantité d’herbicide pulvérisé.
Deuxièmement, ces hybrides auraient un potentiel de production de graines plus élevé (plus grand nombre de gousses et de graines par plante). Cet avantage de fécondité pourrait conférer aux hybrides un avantage pour la sélection naturelle par rapport à leurs parents sauvages. Ces hybrides donc peuvent menacer concrètement la faune sauvage en proliférant… Ces caractéristiques de croissance pourraient augmenter la possibilité de dispersion des transgènes par les systèmes de semences et nuire à la diversité génétique des espèces de soja sauvage par des pollutions génétiques.
Troisièmement, ces hybridations peuvent aussi menacer le travail de sélection. Les auteurs notent que « le soja sauvage présente d’excellentes caractéristiques, telles qu’une teneur élevée en protéines, un rendement élevé et une tolérance au sel, qui constituent des ressources génétiques précieuses pour la sélection du soja cultivé ». Le potentiel de la faune sauvage, qui est aussi un réservoir formidable de sélection, n’est pas une nouveauté, mais il est bon de le rappeler. En effet, si les soja sauvages peuvent intégrer de façon stable un transgène, ces derniers, par le jeu des brevets, deviennent alors la propriété de l’entreprise ou l’institut ayant des droits sur le transgène. Et ils polluent la nature.
Au regard de cette étude, qui devrait être prise en compte sérieusement par le gouvernement chinois, et être reproduite, il semble essentiel de mettre en place des mesures efficaces de gestion et de coexistence avant la mise en culture à grande échelle du soja OGM en Chine.
[1] Li Zhang, Laipan Liu, Zhixiang Fang et al., « Risk assessment of transgene introgression from genetically modified soybean into its wild relatives », 4 octobre 2022.
[2] Nakayama Y, Yamaguchi H., « Natural hybridization in wild soybean (Glycine max ssp. soja) by pollen flow from cultivated soybean (Glycine max ssp. max) in a designed population », Weed Biol Manag, 2002 ;2(1):25–30.
Mizuguti A, Yoshimura Y, Matsuo K., « Flowering phenologies and natural hybridization of genetically modified and wild soybeans under field conditions », Weed Biol Manag, 2009 ;9(1):93–6.
Liu B, Xue K, Liu LP, Shen WJ, Guo H., « Research on the gene flow from transgenic EPSPS + PAT soybean S4003.14 to non-transgenic soybeans », J Ecol Rural Environ, 2020 ;36(7):367–73.
[5] Ils affirment que c’est d’ailleurs la première étude qui s’intéresse à ce phénomène sur trois générations.