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OGM – Bataille législative et judiciaire dans l’Oregon : nouvel épisode
La contamination d’un champ commercial par du blé transgénique dans l’Oregon en 2013 a (re)mobilisé les opposants aux OGM. Mais les partisans des plantes transgéniques n’ont pas dit leur dernier mot. La bataille législative est serrée. Le 21 mai 2015, la Justice considérait que le moratoire décrété dans le comté de Jackson était valide et déboutait deux agriculteurs de leur demande de cultiver de la luzerne transgénique. Alors qu’ils s’apprêtaient à faire appel de cette décision, un accord a finalement été trouvé entre eux et le comté. Plusieurs projets de loi ont été déposés pour tenter d’annuler l’interdiction faite aux comtés de légiférer sur les plantes transgéniques. Celui de janvier 2016 n’a pas abouti. Quel sera le destin du dernier en date déposé en avril 2017 ?
Dans plusieurs comtés de l’Oregon, état du Nord-Ouest des États-Unis, des coalitions se sont formées, des agriculteurs bio sont venus défendre leur droit et souligner que la coexistence était impossible, du moins très difficile et coûteuse et qu’ils ne voulaient pas en faire les frais. Devant cette mobilisation, et la possibilité que des moratoires surgissent dans les comtés, le 2 octobre 2013, l’état de l’Oregon a adopté une loi [1] qui interdit aux comtés de légiférer sur les OGM.
2013 – Les OGM posent de vraies questions selon le gouverneur de l’état
La veille des votes, le 1er octobre 2013, le gouverneur de l’Oregon, John A. Kitzhaber, a écrit aux présidents des deux chambres pour soutenir la proposition (numéro SB 863) considérant que l’agriculture doit être régulée au niveau de l’état et non des comtés. Pour lui, une réglementation uniforme était préférable à un patchwork de règles locales. Cependant, il soulignait dans cette lettre que les OGM étaient une « vraie question » : comment limiter les conflits entre « transgéniculteurs » et agriculteurs bio, quelle compensation en cas de contamination, quelle information et quel choix donner aux citoyens… ? Il précisait alors qu’il avait demandé au ministère de l’Agriculture de l’Oregon de proposer d’ici à 2015 des mesures pour tenter de gérer cette coexistence : améliorer la coordination entre agriculteurs, cartographier les champs, prévoir des zones tampons entre champs GM et non GM, envisager la création de zones sans OGM… Enfin, il annonçait aussi un groupe de travail qui réunirait tous les acteurs concernés et qui devait rendre ses conclusions pour 2015 : ce groupe de travail devait faire des propositions sur les besoins en matière d’étiquetage, la responsabilité, les compensations, et « tous les autres sujets où une nouvelle autorité est justifiée » [2].
Au final, l’adoption de cette loi s’accompagnait de la promesse que l’état prendrait les mesures nécessaires pour répondre aux dommages subis par les agriculteurs du fait des cultures génétiquement modifiées.
2014 – Deux comtés votent pour l’interdiction des cultures OGM
Malgré cette loi, le 20 mai 2014, deux comtés de l’Oregon, Josephine (58 % pour le oui) et Jackson (66 % pour le oui), ont interdit suite à un referendum d’initiative populaire (ballot) la production et la culture des plantes transgéniques, à l’exception des OGM destinés à un usage médical. Pour le comté de Jackson, curieusement, la loi SB 863 prévoyait une exception. Le devenir de la mesure prise dans le comté de Joséphine est d’ores et déjà sous les projecteurs de part et d’autre. Les entreprises de biotechnologies, comme Monsanto, Syngenta, BASF, DuPont, etc. avaient, ensemble, offert près d’un million de dollars pour tenter de faire gagner le non.
La Justice fait respecter le moratoire dans le comté de Jackson
Malgré ces moratoires locaux, deux agriculteurs du comté de Jackson – Schultz Family Farms et Frink Family Trust – avaient cultivé de la luzerne génétiquement modifiée pour tolérer le Roundup. Et ces deux entreprises agricoles ont ensuite attaqué ce moratoire, en déposant une plainte le 18 novembre 2014.
Le juge Mark Clarke a donné raison au comté et a donc confirmé la légalité du moratoire local sur les cultures transgéniques. En effet, précise-t-il dans son jugement, la loi de l’Oregon SB 863 dénie le droit à une autorité locale d’interdire la culture de plantes génétiquement modifiées (PGM) au nom de la cohérence territoriale et de la difficulté que ces lois locales engendreraient pour les industries agricoles et semencières… Mais la loi prévoit des exceptions (section 4), taillées sur mesure pour le comté de Jackson qui avait déjà prévu, avant l’adoption de cette loi, un référendum sur la possibilité d’interdire les PGM sur son territoire. Ces exceptions donc permettent au juge de conclure que « il est indiscutable que les exceptions de la Section 4 s’appliquent à l’ordonnance du comté de Jackson n°635 ».
Les deux agriculteurs contestaient l’ordonnance 635, considérant qu’elle violait la loi de l’Oregon « Right to farm Act ». Le juge considère, au contraire, que « la loi n’autorise pas toutes (souligné dans le jugement) les pratiques agricoles (…) [qui] peuvent être limitées si elles causent des dommages aux autres cultures agricoles ». Or l’un des objectifs de l’ordonnance 635 est justement de protéger « d’un préjudice économique important des agriculteurs bio ou d’autres agriculteurs qui ont choisi de cultiver des variétés non génétiquement modifiées, préjudice qui peut être provoqué par la dissémination génétique des cultures transgéniques ». Le juge ne cite pas in extenso l’article 2(c) de l’ordonnance qui, lui, précise que la dissémination peut être provoquée par le vent ou les insectes. Les plaignants demandaient que l’interdiction au nom de dommage économique soit justifiée par des preuves du préjudice actuel… mais pour le juge, le but de l’ordonnance est justement de prévenir ces préjudices « avant qu’ils ne surviennent ». Et le juge de conclure « rien dans le texte ou le contexte de la loi Right to Farm Act n’indique que des preuves du préjudice sont nécessaires avant de promulguer une ordonnance et la Cour refuse d’imposer une telle « exigence ».
Pour les organisations de producteurs bio, et les associations de défense de l’environnement, ce jugement est une victoire importante : il reconnaît aux agriculteurs un droit économique à se protéger a priori de la contamination génétique des PGM.
Décembre 2015 – Les transgéniculteurs ne feront pas appel et cultiveront leurs luzernes GM
Le 17 décembre 2015, un accord a finalement été trouvé entre les agriculteurs – accord reconnu par la Justice [3] – qui avaient cultivé de la luzerne transgénique et les responsables du comté de Jackson : les premiers s’engagent à ne pas faire appel du jugement qui les déboutait de leur demande, et en échange, les seconds s’accordent à ne pas les obliger à détruire leur culture [4]. Bien entendu, cette dérogation ne vaut que pour cette saison. Les agriculteurs se sont donc engagés à ne plus cultiver de plantes génétiquement modifiées et de ne pas cultiver de luzerne sur les parcelles qui ont été ensemencées avec des OGM pendant huit ans. Cet accord a été reconnu par les tribunaux.
76 000 hectares d’agriculture biologique menacés ?
L’Oregon est le cinquième état des États-Unis pour le nombre de fermes bio : 444 fermes cultivent plus de 76 000 hectares environ, selon le Center for Food Safety (CFS). Les OGM sont une menace claire et identifiée pour l’agriculture biologique qui refuse pour des raisons fondamentales les biotechnologies. Comme en Europe, la présence de transgènes dans des productions biologiques entraîne immédiatement leur déclassement. Ainsi, par exemple, un agriculteur de l’Oregon, Chuck Burr, a dû détruire un dixième d’acre (environ 400 m2) de blettes « arc en ciel » destiné à la production de semences après avoir découvert que des betteraves à sucre génétiquement modifiées les avaient pollinisées. La perte avait été estimée à 4 400 dollars.)
2016 – Nouvelle tentative pour redonner du pouvoir aux comtés
Un nouveau projet de loi (House Bill 4122) [5] a été déposé pour annuler la loi de 2013 qui interdisait aux comtés de prendre des décisions concernant les plantes transgéniques. Dans ce cadre, le 4 février 2016, des auditions ont été menées par les Parlementaires. Ce fut l’occasion, à nouveau, pour les agriculteurs bio ou « sans OGM » de témoigner que les contaminations par des PGM existent et entraînent des pertes économiques très importantes. Ces agriculteurs estiment qu’ils doivent être protégés et demandent à ce que les comtés puissent prendre des mesures dans ce sens. Ils précisent qu’en 2013, une semaine après l’annonce qu’une telle loi était en discussion, une douzaine d’entreprises de biotechnologies, comme Monsanto ou Syngenta, ont dépensé plus de 120 000 dollars en soutien à des candidats aux élections locales. Les partisans de la loi de 2013 évoquent un patchwork législatif complexe si chaque comté peut décider une politique différente de celle de son voisin, car, soulignent-ils, certains agriculteurs ont des terres dans plusieurs comtés. Ce projet de loi n’avait pas abouti.
Avril 2017 – Les comtés vont-ils pouvoir interdire ou légiférer sur les OGM ?
La loi de 2013 prévoyait, comme nous l’avons mentionné plus haut, une protection des agricultures non OGM. Pourtant, quatre ans plus tard, aucune mesure n’a encore été prise pour protéger les agriculteurs ne cultivant pas d’OGM contre les dommages pouvant résulter de ces cultures, en particulier la contamination.
C’est dans ce contexte que vient d’être déposé un nouveau projet de loi visant à redonner aux comtés la compétence d’interdire les OGM sur leur territoire, à l’instar des comtés californiens (voir encadré) [6]. Plus précisément, le projet de loi stipule que les comtés peuvent adopter ou appliquer des règles locales ou des mesures pour empêcher ou prévenir la production ou l’utilisation, notamment, de semences agricoles ou de légumes ou les produits de ces semences dans le but de protéger la production ou l’utilisation de semences ou produits non génétiquement modifiés contre les impacts des semences ou produits génétiquement modifiés.
Dans le projet de loi, la compétence des comtés en matière de semences et produits OGM reste une exception à la compétence générale de l’état en matière de semences. Il n’en reste pas moins que le projet de loi lève l’incompétence des comtés à interdire les OGM sur leur territoire. Pour le Center for Food Safety, cela est indispensable pour que les comtés puissent protéger leurs systèmes alimentaires et économiques locaux et décider eux-mêmes de ce qui est bon pour leur région, leur économie et agriculture. Mais la question de la contamination en tant que telle ne sera pour autant pas réglée – le pollen pouvant traverser les frontières du comté – et celle de la coexistence des cultures génétiquement modifiées et non génétiquement modifiées reste donc entière.
Par ailleurs, même si les comtés retrouvaient leur compétence en matière d’OGM, il faut rappeler qu’ils ont perdu, tout comme les états fédérés, leur compétence en matière d’étiquetage des OGM. Cette compétence est en effet devenue fédérale depuis la loi du 29 juillet 2016 [7] [8].
Les comtés californiens retrouvent leur compétence en matière de semences
Depuis le 13 septembre 2016, les comtés de l’état de Californie peuvent à nouveau réglementer les plants, cultures ou semences en général, sans obtenir préalablement l’autorisation du Secrétaire de l’Alimentation et de l’Agriculture de l’état de Californie. C’est la loi du 25 août 2014 qui posait cette restriction. Elle prévoyait qu’à partir du 1er janvier 2015, les comtés, districts et villes de Californie ne pourraient plus adopter d’ordonnance réglementant les plants, cultures ou semences, sans avoir obtenu préalablement l’autorisation du Secrétaire de l’Alimentation et de l’Agriculture [9]. Compte tenu du recours croissant aux OGM et de l’inévitable contamination des cultures non OGM, l’impossibilité de prononcer au niveau local l’interdiction de la culture d’OGM posait un réel problème pour les agriculteurs ne souhaitant pas avoir recours aux PGM.
La loi du Sénat 839 du 13 septembre 2016 abroge donc la disposition de la loi du 25 août 2014 imposant cette restriction [10]. Désormais, la culture d’OGM peut de nouveau être interdite au niveau local sur leur territoire californien, sans l’accord préalable de l’État.
[1] à une faible majorité : 17 sénateurs contre 12 et 32 députés contre 22 – Oregon Legislative Assembly, Senate Bill (B) 863, Relating to preemption of the local regulation of agriculture ; and declaring an emergency, Octobre 2013
[4] http://www.statesmanjournal.com/story/news/politics/2015/12/07/deal-reached-lawsuit-over-oregon-countys-gmo-law/76925738/
[6] Oregon Legislative Assembly, Senate Bill 1037, Relating to genetically engineered goods, Avril 2017, https://olis.leg.state.or.us/liz/2017R1/Downloads/MeasureDocument/SB1037/Introduced
[7] National Bioengineered Food Disclosure Standard, 29 juillet 2016, https://www.congress.gov/bill/114th-congress/senate-bill/764/text?q=%7B%22search%22%3A%5B%22Pat+Roberts%22%5D%7D
[8] , « États-Unis – Vers un étiquetage obligatoire des OGM a minima », Inf’OGM, 3 août 2016
[9] Assembly Bill 2470, Chapitre 294, Section 4, 25 août 2014
[10] Senate Bill 839, Chapitre 340, 13 septembre 2016