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Majorité qualifiée au Conseil de l’Union européenne pour déréglementer de nombreux OGM
Vendredi 19 décembre, les États membres réunis au sein du Conseil de l’Union européenne sont tombés d’accord à la majorité qualifiée sur un texte de déréglementation de nombreux OGM. Ce texte, négocié deux semaines plus tôt entre représentants de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil et proposant une déréglementation large d’OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique a donc convaincu une majorité suffisante d’États. Le Parlement européen doit maintenant se pencher dessus en janvier 2026.
Avant de se pencher sur les nombreuses propositions de loi faites en urgence ces derniers jours par la Commission européenne (dissémination non encadrée de micro-organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, loi omnibus sur les pesticides, loi biotech puis à venir loi innovation…), le Conseil de l’Union européenne se concentrait ce matin, vendredi 19 décembre 2015, sur la proposition faite par les représentants des instances européennes deux semaines plus tôt et visant à déréglementer de nombreux OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique (nommées « nouvelles techniques génomiques » / NTG).
Partant de la proposition de la Commission européenne faite en juillet 2023i, de la position du Parlement européen votée en avril 2024ii et du mandat du Conseil de l’Union européenne donné au Danemark en mars 2025iii, cet accord entre négociateurs avait fait beaucoup de bruit du côté d’acteurs importants comme les agriculteurs, associations…iv Les négociateurs avaient en effet choisi de présenter un texte qui faisait la part belle aux mesures déréglementant ces OGM obtenus par des NTG et ne répondant pas aux soucis plusieurs fois exprimés par certains États membres, le Parlement européen et de nombreux acteurs ayant part au débat (agriculteurs, semenciers, filière bio, sans OGM, associations…).
Le Conseil de l’Union européenne, lors d’une réunion des représentants permanents de chaque État (Coreper 1), vient donc d’acter, ce vendredi 19 décembre, un consensus en son sein sur cette proposition. En attendant que le Parlement européen vote à son tour en 2026, le texte est toujours provisoire. Mais, s’il devait également être endossé par le Parlement, que prévoit-il ?
Ni étiquetage, ni traçabilité, ni évaluation des risques, ni…
Le texte de déréglementation adopté par le Conseil de l’Union européenne a pour approche de déclarer que les OGM végétaux obtenus par « mutagénèse ciblée ou cisgénèse » seraient des plantes NTG. Elles pourraient être classées en deux catégories (NTG1 et NTG2) selon la nature des modifications génétiques opérées. Succinctement, les végétaux de catégorie 1 seraient ceux définis comme « équivalents » aux végétaux pouvant être obtenus conventionnellement, sur base des critères au fondement scientifique incertain. Les végétaux NTG2 seraient ceux non classés en catégorie 1. Comme déjà analysé, la grande majorité des plantes ainsi modifiées génétiquement devraient en toute logique être présentées comme NTG1 par leurs fabricants, ce statut étant celui disposant de la déréglementation la plus large et fonctionnant sur la simple vérification d’une déclaration faite par une entreprise.
Pour les NTG1, le système d’autorisation proposé reposerait sur un fonctionnement assez laxiste. Une autorisation de commercialisation ou de mise en essais en champs ne serait plus formellement nécessaire. Seule une reconnaissance de statut NTG d’un végétal serait à demander sur la base d’une simple déclaration. Elle pourrait l’être auprès d’un État membre sur simple demande de conduite d’un essai en champs ou en vue d’une commercialisation. La décision finale serait rendue par la Commission européenne. Mais, à nouveau, sans méthode de détection et identification, l’Union européenne ne pourrait que faire confiance aux dires des entreprises dans les dossiers déposés pour conférer le statut NTG1 ou 2. Une fois ce statut NTG obtenu, les végétaux OGM obtenus par de nouvelles techniques, et notamment NTG1, ne seraient plus soumis à la législation sur les OGM (pas d’autorisation nécessaire, pas d’évaluation des risques pour les NTG1, pas de traçabilité ni étiquetage sauf pour les semences, pas de surveillance des impacts sur l’environnement…).
Outre cette sortie de nombreux OGM de la législation actuelle, le texte, sur lequel se penchera le Parlement européen en 2026, maintient une approche qui aboutirait à rendre l’Union européenne quasiment aveugle quant aux OGM obtenus par des NTG présents sur son territoire. Les négociateurs avaient en effet pris le parti de ne pas retenir les demandes du Parlement européen quant à l’étiquetage de ces OGM de catégorie 1 lorsqu’ils sont importés, produits et/ou commercialisés en Europe. Seuls les acheteurs de semences disposeraient d’un tel étiquetage. Outre ce choix volontaire de ne plus informer les citoyens européens sur ce qu’ils consomment, les négociateurs ont également choisi de mettre l’Union européenne en incapacité de vérifier les dires des entreprises et d’effectuer des contrôles sur le territoire européen (comme celui de l’étiquetage des lots de semences). En effet, les exigences de fournir une méthode de détection, identification et quantification des OGM obtenus par de nouvelles techniques proposés par le Parlement européen n’ont pas été retenues.
Il est enfin nécessaire de rappeler que les végétaux ayant obtenu le statut NTG1 ne feraient l’objet d’aucune évaluation des risques sur la santé, l’environnement ou les systèmes agraires. Les législateurs européens arguent en effet que les végétaux NTG1 ne présenteraient pas plus de risques que des végétaux obtenus par des méthodes conventionnelles. Ces végétaux modifiés par des NTG seront-ils toxiques, allergéniques ou aux valeurs nutritionnelles diminuées ? Personne ne le saura, puisque cela ne serait plus demandé. Seuls les végétaux NTG2 feraient l’objet d’une évaluation des risques pour l’environnement, cas qui de nouveau devrait être rare.
Des plantes insecticides non déréglementables ?
Une originalité plutôt inattendue est à retenir dans la version du texte adopté par le Conseil ce vendredi 19 décembre. Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne avaient déjà proposé que les végétaux modifiés génétiquement par NTG pour tolérer des herbicides ne puissent pas être déclarés de catégorie 1, même s’ils répondent aux requis de cette catégorie. Les eurodéputés mettaient notamment en avant les conditions de culture particulières que ces végétaux nécessitent. Les négociateurs, et maintenant le Conseil, ont repris cette proposition en y ajoutant la caractéristique de végétaux OGM obtenus par de nouvelles techniques et qui auraient pour caractéristiques de produire insecticide comme ne pouvant pas être de catégorie 1. Mais leur formulation est pour le moins incertaine, les négociateurs proposant d’exclure du statut NTG1 les végétaux NTG qui ont pour caractéristique la « production d’une substance insecticide connue ». Connue de qui, comment et où, sont autant de questions qui se posent et qui rendent floue la portée d’une telle exclusion.
L’agriculture bio sans OGM, en attendant que…
Dans le cas particulier de l’agriculture et des productions répondant au label « biologique », il est proposé de prendre acte que ce label interdit l’utilisation d’OGM obtenus par NTG, puisque excluant les OGM. S’il est noté que les filières de production biologiques et conventionnelles sont déjà suffisamment séparées, les demandes du secteur bio d’instaurer une traçabilité analytique, des mesures de coexistence et un étiquetage pour les consommateurs, ou encore de mise en place de fonds d’indemnisation n’ont pas été retenues. Seule mesure proposée par les négociateurs et le Conseil, une tolérance dans les productions bio d’OGM obtenus par NTG en cas de « présence fortuite ou techniquement inévitable ». Une intention peut-être louable, mais qui ouvrirait tout de même la voie à la présence fortuite d’OGM obtenus par NTG en bio. Or, ces notions de « présence fortuite ou techniquement inévitable » ne seraient pas définies et, à nouveau, l’UE ne disposerait pas de méthodes de détection et identification de ces OGM obtenus par NTG fournies par leurs fabricants, puisque non requis obligatoirement.
Surtout, le devenir de la réglementation bio européenne semble questionné. Le texte voté ce matin au Conseil détaille en effet qu’ un examen plus approfondi de la compatibilité des végétaux NTG avec les principes de l’agriculture bio serait nécessaire car il « est nécessaire de clarifier le statut des plantes NGT de catégorie 1 aux fins de la production biologique. À l’heure actuelle, la compatibilité de l’utilisation des nouvelles techniques génomiques avec les principes de la production biologique des produits doit être examinée plus avant. L’utilisation des plantes NGT de catégorie 1 devrait donc être interdite dans la production biologique, jusqu’à ce que cet examen approfondi ait lieu ».
Les craintes sur les brevets ne sont pas apaisées
Une des pierres d’achoppement entre les institutions concerne les brevets. Si le Parlement européen demandait à ce que soient interdits les brevets sur les OGM obtenus par NTG et classés en catégorie 1, le Conseil de l’UE n’avait de son côté pas atteint de position consensuelle du fait des divergences importantes entre les États membres. Le 4 décembre dernier, les négociateurs ont proposé des mesures pour essayer de rassurer tout le monde. Mais ces mesures sont majoritairement facultatives, puisque « volontaires » ou non contraignantes, comme l’expliquait la Coordination européenne de la Via Campesina (ECVC) dans son communiqué du 11 décembre. Inf’OGM reviendra plus en détail sur ces mesures proposées, mais on sait aujourd’hui qu’une majorité qualifiée du Conseil de l’Union européenne semble donc satisfaite de ce caractère facultatif.
On ne connaît pas à ce stade le détail des positions exprimées par les états membres, les réunions du Coreper 1 n’étant pas diffusées en direct. Mais la majorité qualifiée atteinte au sein du Conseil ce 19 décembre témoigne que des états ont du lâcher du lest. Ce vote du Conseil envoie maintenant le texte au Parlement européen pour que les eurodéputés donnent leur avis dessus en 2026. Le Comité environnement du Parlement et les eurodéputés qui le composent seront les premiers mobilisés, possiblement en janvier 2026.
i Commission européenne, « Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 », 5 juillet 2023.
ii Parlement européen, « Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés – Résolution législative du Parlement européen du 24 avril 2024 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 (COM(2023)0411 – C9-0238/2023 – 2023/0226(COD)) », 24 avril 2024.
iii Conseil de l’Union européenne, « Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on plants obtained by certain new genomic techniques and their food and feed, and amending Regulation (EU) 2017/625 », 7 mars 2025.
iv Eric Meunier, « Déréglementation des OGM : la balle est dans le camp du Parlement européen », Inf’OGM, 5 décembre 2025.

