Le paquet d’amélioration du SML du Tirpaa risque de légitimer la biopiraterie et les inégalités
Depuis quelques temps, le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture discute d’un élargissement de son application à toutes les ressources génétiques végétales pour l’alimentation et l’agriculture. Plusieurs parties prenantes et observateurs craignent que cela se termine en une légalisation de la biopiraterie. Alors que la prochaine réunion se tiendra à Lima (Pérou) à partir du 24 novembre, Inf’OGM publie ici une analyse de Nithin Ramakrishnan, du Third World Network, une des parties prenantes de cette réunion.
Alors que l’organe directeur du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) se prépare à se réunir à Lima (Pérou), du 24 au 29 novembre1, les États vont être confrontés à une décision cruciale qui pourrait légitimer la biopiraterie et les inégalités.
Cette décision pourrait redéfinir la manière dont le monde partage et gère la diversité de ses cultures. Le Groupe de travail ad hoc chargé d’améliorer le fonctionnement du Système multilatéral d’accès et de partage des avantages a présenté un ensemble de mesures2 qui, s’il était adopté, élargirait le champ d’application du Système multilatéral (SML) d’accès de 64 cultures vivrières à toutes les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (RPGAA).
Ce projet est présenté comme une « amélioration » tant attendue du SML. Après tout, qui s’opposerait à l’« amélioration » d’un mécanisme destiné à partager les semences et les avantages qui en découlent ?Mais il existe une réalité sous-jacente préoccupante : les réformes proposées menacent d’élargir le fossé entre l’accès et le partage juste et équitable des avantages, d’affaiblir la gouvernance, de compromettre la responsabilité et la transparence, et de saper davantage les droits déjà fragiles des agriculteurs sur les ressources génétiques qu’ils cultivent depuis des siècles, ainsi que la souveraineté nationale sur ces ressources.
Cet ensemble de mesures, qui sera examiné lors de la 11ème session de l’Organe directeur (GB11) du Tirpaa à Lima, mérite d’être examiné en détail. Compte tenu des nombreux points à l’ordre du jour de la GB11, il est peu probable que les parties contractantes puissent se concentrer suffisamment sur ce point, qui modifie les fondements mêmes du Traité.
Cet essai examine brièvement les questions essentielles. Il a pour point de départ le constat que les « pays développés » cherchent actuellement à obtenir un accès gratuit aux informations de séquences numérisées (DSI) contenues dans les RPGAA du système multilatéral, c’est-à-dire sans besoin d’accord préalable de transfert de matériel encadrant la production de DSI à partir de ces RPGAA, leur utilisation et le partage des avantages en découlant. Ils s’opposent également à l’interdiction de brevets sur ces DSI, violant l’article 12.3(d) et fragilisant ainsi la protection des droits des paysans selon cet article 12.3(d) du Traité. Si ces deux points devaient rester non résolus, ils constitueraient une brèche majeure dans la protection de la biodiversité.
Sur l’ensemble de mesures proposé, cet essai explique d’abord le SML et la situation actuelle, puis aborde des questions telles que l’élargissement de l’accès aux RPGAA, le partage des avantages difficile à cerner, la biopiraterie numérique, le manque de transparence et de responsabilité, les retraits unilatéraux des accords standard de transfert de matériel, l’affaiblissement des droits des agriculteurs et des droits souverains.
La promesse non tenue du système multilatéral d’accès et de partage des avantages
Adopté en 2001, le Tirpaa a été conçu pour protéger et promouvoir la conservation et l’utilisation durable des Ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (RPGAA) – les semences, les tubercules et autres matériels végétaux qui constituent la base de nos systèmes alimentaires. Son Système multilatéral (SML) était une idée originale : au lieu de négocier avec les pays et les communautés fournisseurs pour accéder aux semences, les pays créeraient un régime commun couvrant certaines variétés de cultures – 64 au total – accessibles via un Accord type de transfert de matériel (ATTM). En contrepartie, les utilisateurs, tels que les entreprises semencières, les instituts de recherche et les banques de gènes, devraient, en théorie, partager de manière juste et équitable les avantages, tant monétaires que non monétaires, découlant de leur utilisation.
Le principe était élégant : l’accès et le partage des avantages (APA) devaient se « renforcer mutuellement ». L’accès aux semences favoriserait l’innovation, et les avantages qui en résulteraient, à savoir les connaissances, la technologie, les variétés améliorées et le partage des bénéfices issus de la commercialisation, reviendraient à ceux qui avaient conservé et fourni les ressources. Les architectes du Tirpaa ont imaginé un cercle vertueux entre les champs des agriculteurs et les laboratoires de recherche, fondé sur l’équité et la transparence. Les 64 cultures ont été choisies en raison de leur importance capitale pour la sécurité alimentaire et de la dépendance commune des pays à l’égard de leur diversité génétique.
Deux décennies plus tard, cet équilibre vacille. Si le SML a facilité l’accès à des millions d’échantillons de semences, le partage des avantages est resté négligeable. Sur les plus de 7 millions de transferts de matériel végétal signalés depuis la création du Traité à plus de 28 000 utilisateurs, seuls six utilisateurs3 ont versé des contributions financières à son fonds de partage des avantages. La réciprocité promise n’a clairement pas été au rendez-vous. Actuellement, plus de 97 % des fonds du partage des avantages proviennent de contributions volontaires et près de 90 % du fonds est alimenté par des États.
Cependant, le Traité dispose d’une justification ou d’un contre-argument intrinsèque pour masquer son incapacité à générer des avantages à partir de l’utilisation des ressources partagées : « déclarer l’accès aux RPGAA comme un avantage majeur ». L’article 13 le déclare ainsi, bien que la disposition soit très claire sur le fait que les avantages « qui découlent » d’un tel accès doivent également être partagés de manière juste et équitable.
Un ensemble de mesures visant à élargir l’accès, et non à partager les avantages
Malgré l’échec du partage des avantages, le Traité envisage actuellement un ensemble de mesures qui donne la priorité à l’accès tout en mettant de côté le partage des avantages, ce qui contredit directement l’exigence de l’article 10.2 du Traité, selon laquelle les deux doivent se renforcer mutuellement.
La proposition la plus radicale consiste à élargir le SML afin qu’il concerne toutes les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Cela signifie essentiellement toutes les semences et autres matériels de plantation ayant une valeur potentielle pour l’alimentation et l’agriculture. Jusqu’à présent, seule une liste négociée de 64 cultures est incluse, choisies pour leur importance pour la sécurité alimentaire et l’interdépendance entre les États. Le projet proposé abandonne cette sélection rigoureuse.
Il propose une extension unique et complète du SML afin de couvrir toutes les ressources phytogénétiques ayant une « valeur réelle ou potentielle pour l’alimentation et l’agriculture », par le biais d’un amendement au Traité. Une fois que la « valeur potentielle » d’une plante est revendiquée, son matériel génétique serait automatiquement inclus dans le SML, obligeant les pays à le partager dans le cadre de l’ATTM. Concrètement, cela obligerait toutes les parties contractantes à mettre à disposition la quasi totalité de leurs collections nationales/gouvernementales de semences par le biais du SML, sans aucune garantie juridique que les avantages correspondants leur reviendront ou reviendront aux communautés agricoles qui ont initialement fourni ces semences.
De même, le SML ouvrirait la voie à la collecte facile de semences par les banques de gènes internationales auprès des autorités des « pays en développement » et à leur large distribution, sans qu’aucune mesure ne soit mise en place pour prévenir ou réduire la menace de biopiraterie. Alors que les « pays en développement » sont poussés à partager davantage, les banques de gènes internationales n’ont, en contre-partie, aucune obligation de rendre compte ou d’informer les pays d’origine pour leur dire avec qui elles partagent les semences et à quelles fins.
Les implications sont considérables. Les utilisateurs privés pourraient prélever, expérimenter et commercialiser des semences provenant des banques de gènes internationales, monopoliser les résultats de leurs recherches, sans en informer les pays d’origine ou les communautés agricoles qui ont initialement fourni ces semences. Ainsi, l’extension obligerait les Parties, en particulier les « pays en développement », à ouvrir toutes leurs collections publiques et leurs banques de gènes nationales à l’accès mondial, même si le système manque encore de responsabilité et de garanties fondamentales. Les exigences en matière de consentement préalable en connaissance de cause et les obligations de partage des avantages prévues par la Convention sur la diversité biologique (CDB) et son Protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des avantages (APA) seraient également mises de côté.
Des avantages insaisissables
En ce qui concerne les avantages financiers, l’ensemble de mesures vante de nouvelles options de paiement pour les utilisateurs qui « vendent des semences » incorporant des RPGAA reçues du SML – les modèles « d’abonnement » et « d’accès unique ». Mais il s’agit simplement d’anciens mécanismes revêtus d’un nouveau jargon, avec très peu d’améliorations.
Plus flagrant encore, ces options ne remédient pas au déséquilibre fondamental entre la clause relative à l’objet du Traité, reproduite mot pour mot dans l’ATTM, et les dispositions relatives au partage des avantages.
Par exemple, une entreprise qui brasse de la bière à partir d’orge obtenue par le biais du SML ou qui développe des produits alimentaires à partir de cultures dérivées du SML n’est pas tenue de partager les avantages financiers, car ces utilisations ne relèvent pas de la « vente de semences de RPGAA ». De même, les entreprises qui utilisent les informations sur les séquences numérisées (DSI) provenant des matériaux du SML pour développer des caractéristiques génétiques ou des ingrédients alimentaires synthétiques n’ont aucune obligation de contribuer financièrement au Fonds de partage des avantages.
Dans le cadre de l’option « d’abonnement », les entreprises paient une redevance annuelle, calculée sur la base de leurs ventes totales de « semences », en échange d’un accès illimité à tous les matériaux SML. Elles peuvent toutefois exclure jusqu’à deux de leurs cultures les plus rentables du paiement des avantages partagés. Cet « abonnement partiel » permettrait aux grandes entreprises semencières d’éviter de contribuer sur les cultures qui leur rapportent le plus de revenus.
L’option « d’accès unique » permet aux utilisateurs de ne payer que lorsqu’ils commercialisent des produits développés à partir de matériel SML. Malgré son nom, elle ne limite pas la quantité de matériel accessible, créant ainsi une faille qui permet aux utilisateurs fréquents d’éviter complètement les obligations d’abonnement.
Pire encore, l’ensemble de mesures accorde aux utilisateurs de nouveaux privilèges leur permettant de se retirer unilatéralement des accords de partage des avantages sans contrôle clair de la FAO, qui agit en tant que tiers bénéficiaire et/ou gardien du SML. Les propositions manquent de clarté quant à la manière dont le SML traite la commercialisation des produits développés à partir de matériaux SML, une fois que les bénéficiaires se sont retirés du ATTM.
En ce qui concerne les avantages non monétaires, l’ensemble de mesures n’apporte littéralement aucune amélioration. Les avantages non monétaires, tels que le transfert de technologie, la recherche collaborative ou la reconnaissance des contributions des communautés agricoles, restent volontaires et largement non appliqués. L’ATTM oblige uniquement les utilisateurs à partager les informations issues de leurs recherches par le biais d’un système d’information mondial établi en vertu du Traité. Cependant, les utilisateurs pourraient toujours éviter de divulguer des « informations confidentielles », un terme qui n’est ni qualifié ni défini dans l’ATTM. Il n’y a pas non plus de délai prescrit pour ce partage d’informations. Il convient de noter que le partage des informations résultant de la recherche ne signifie pas que les résultats de recherche sont accessibles au public. Ces résultats de recherche, même s’il s’agit d’informations, pourraient très bien rester derrière des barrières payantes ou être protégés par des droits de propriété intellectuelle.
Il est étrange que, alors que l’ATTM maintient des exemptions ou des réductions sur les contributions au partage des avantages financiers provenant de la vente de semences disponibles sans restriction pour la recherche et la sélection, il n’instaure pas de mécanismes permettant de rendre ces semences disponibles par le biais du SML. Et ce, malgré la position proclamée du traité selon laquelle l’accès aux RPGAA dans le cadre du SML lui-même constitue le principal avantage.
Utilisation anonyme des DSI et biopiraterie numérique
La question la plus complexe – et la plus dangereuse – réside peut-être dans la manière dont le projet traite les informations sur les séquences numérisées (DSI), le code génétique dérivé des semences, également appelé « données sur les séquences génétiques » (GSD).
À l’ère du génome, les matériaux génétiques physiques ne sont plus le seul moyen d’accéder aux semences. Une fois le génome d’une semence séquencé, ses informations génétiques peuvent être stockées dans des bases de données en ligne, analysées et utilisées pour créer de nouvelles variétés ou même des organismes synthétiques sans autre interaction avec le matériel d’origine. Malheureusement, ces informations sont actuellement partagées en ligne, où des utilisateurs anonymes peuvent accéder aux données et monopoliser les résultats de la recherche, ainsi que les commercialiser sans en informer le pays d’origine ou les communautés d’agriculteurs qui ont développé la graine à partir de laquelle les DSI sont extraites.
En plus de ce problème, la collecte par des chercheurs ou des entités non lucratives des savoirs paysans associés à telle ou telle variété facilite souvent l’accès libre et gratuit à ces savoirs liés aux caractéristiques des RPGAA, aidant encore plus à l’identification des séquences génétiques associées à ces caractéristiques et à les commercialiser ensuite. De telles collectes de savoirs traditionnels aliènent également la communauté agricole.
Les « pays en développement » ont toujours soutenu, conformément à la Convention sur la diversité biologique (CDB) et à son Protocole de Nagoya sur l’APA, que les avantages découlant de l’utilisation des DSI doivent également être partagés. La décision 16/2 de la COP 2024 de la CDB a explicitement reconnu les droits souverains des pays à réglementer les DSI et à fixer les conditions de partage des avantages. L’accord de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur les pandémies de 2025 a suivi des principes similaires pour les données génétiques.
Pourtant, le projet d’accord sur les semences va dans la direction opposée. Les paragraphes 53 et 55 du projet de résolution réduisent le partage des avantages tirés des DSI à une simple « perspective », puis déclarent que cette perspective est déjà satisfaite par les paiements effectués dans le cadre du modèle d’abonnement.
Les « pays développés » s’opposent à la mention explicite des DSI/GSD tant dans le traité que dans l’ATTM. Cela signifie qu’il n’y a rien de contraignant concernant la génération, le stockage, l’utilisation ou le partage des avantages découlant de l’utilisation des DSI dans le paquet de mesures. Il est étonnant que, bien que le traité soit en cours de modification afin de modifier la portée du SML, aucune proposition ne vise à garantir que le partage des avantages découlant de l’utilisation des DSI soit également contraignant. De même, dans l’ATTM, seuls deux paragraphes traitent des DSI, qui sont proposés par les « pays en développement ». Là encore, ces paragraphes traitent uniquement de l’obligation des bénéficiaires de semences provenant du SML en ce qui concerne les DSI.
Comme nous l’avons vu en début d’article, les « pays développés » cherchent actuellement à avoir un accès libre au DSI contenues dans les RPGAA du système multilatéral, à savoir sans obligation d’accord préalable de transfert de matériel encadrant la production de DSI à partir des RPGAA, leur utilisation et le partage des avantages en découlant. Ils s’opposent également à toute interdiction de brevets sur ces DSI, violant l’article 12.3(d) et fragilisant la protection des droits des paysans selon cet article du Traité. Par ailleurs, toute tentative de définir les DSI comme composant de RPGAA fait l’objet d’une opposition véhémente par ces « pays développés ». Certains estiment que le mécanisme volontaire du fonds Cali pourrait être une réponse au partage des avantages émanant de l’utilisation des DSI.
L’ensemble de mesures élimine effectivement toutes les obligations de partage des avantages découlant de l’utilisation des données numérisées générées directement à partir des matériels SML ou accessibles à partir de bases de données en ligne. Les bénéficiaires peuvent extraire, analyser et commercialiser les séquences génétiques des semences du SML, en développant des services bio-informatiques rentables ou en brevetant des caractères, sans verser un centime aux pays fournisseurs ou aux agriculteurs. Même les centres du CGIAR, comme le Centre international de recherche sur le riz, sont prêts à vendre (ils prévoient d’introduire des bases de données par abonnement) les données développées à l’aide de ces DSI.
L’ensemble de mesures ne parvient pas non plus à établir des règles en matière de responsabilité des bases de données. Il n’exige pas que les DSI soient stockées dans des bases de données relevant de l’organe directeur du traité ou de la FAO. Il ne prévoit pas d’« enregistrement des utilisateurs » dans ces bases de données ni la nécessité d’ « accords d’accès aux données » qui obligent les utilisateurs à partager les avantages. Il ne contient pas non plus de propositions concernant des identifiants uniques permanents qui identifient les séquences avec le pays d’origine ou les agriculteurs contributeurs. Au contraire, il permet même aux utilisateurs de mentionner le SML lui-même comme source des semences.
Si elle était adoptée, cette proposition effacerait le lien entre les informations génétiques et les communautés ou les pays dont elles proviennent, légitimant ainsi la biopiraterie numérique dans le cadre du Tirpaa. Il est à noter qu’une part substantielle des DSI/GSD existe d’ores et déjà dans des bases de données non soumises à l’Organe directeur du Traité et que cette proposition, plutôt que de maîtriser cette menace, légitimera de telles pratiques, accélérant la biopiraterie numérique dans le futur.
Nuire à la transparence et à la responsabilité
La transparence est essentielle à la crédibilité de tout système multilatéral d’APA, s’il veut être conforme aux objectifs de la CDB et de son Protocole de Nagoya, qui exigent que l’accès aux ressources génétiques soit approprié, en tenant compte de tous les droits sur ces ressources.
L’article 10.2 du Traité promettait un mécanisme « efficace, efficient et transparent ». Or, le nouveau projet légitime l’opacité au nom de la « confidentialité des informations commerciales ».
Auparavant, les fournisseurs de semences étaient tenus de signaler chaque ATTM signé par eux sur les semences à l’organe directeur afin d’assurer la traçabilité. Au fil du temps, cette pratique s’est érodée. L’Organe directeur ne reçoit désormais que des chiffres globaux, sans détails sur qui a reçu quoi. Le nouveau projet légitime cette pratique en favorisant l’opacité plutôt que la transparence, en introduisant des clauses de confidentialité explicites. En vertu des modifications proposées à l’article 5(e) de l’ATTM, les informations sur les transferts de matériel seront traitées comme des informations commerciales confidentielles et ne seront utilisées que pour des rapports agrégés.
Ce changement officialiserait la pratique actuelle selon laquelle seules des statistiques générales sur le nombre d’ATTM signés ou d’accessions partagées sont communiquées à l’Organe directeur. L’identité des utilisateurs, les matériels auxquels ils ont accès et la nature des produits qui en résultent ne sont pas divulgués aux Parties contractantes ni au public.
Ainsi, ni les gouvernements nationaux ni les agriculteurs ne peuvent savoir où vont leurs ressources génétiques, qui les utilise ou quels produits en résultent. Ce secret nuit à la responsabilité, encourage les abus et limite la capacité des agriculteurs ou des chercheurs à contester les abus potentiels ou les revendications de brevets fallacieux sur leurs semences.
Retraits unilatéraux, érosion de la surveillance
Une autre innovation préoccupante est l’introduction de droits de retrait unilatéraux pour les bénéficiaires dix ans après la signature de l’ATTM. Les entreprises peuvent simplement en informer l’Organe directeur et se retirer. Il existe de nombreuses nuances concernant la commercialisation des avantages développés à l’aide du SML après le retrait ; elles restent soit sans réponse, soit abordées de manière ambiguë.
De telles clauses risquent de créer une échappatoire permettant aux entreprises de mettre fin à leurs obligations dès qu’elles commencent à en tirer des avantages commerciaux.
La FAO, agissant en tant que tiers bénéficiaire au nom de toutes les parties contractantes, n’aurait pas le pouvoir d’examiner ou de conditionner ces retraits. Ainsi, dans les faits, les avantages des tiers sont révoqués sans leur consentement, car les parties peuvent se retirer unilatéralement du ATTM. Cela sape le rôle de la FAO et contredit les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats commerciaux internationaux, qui stipulent que les droits bénéficiant à des tiers ne peuvent être révoqués sans leur consentement.
Reconnaissance creuse des droits des agriculteurs
L’article 9 du Traité sur les semences reconnaît les droits des agriculteurs : conserver, utiliser, échanger et vendre des semences, et partager les avantages découlant de leurs ressources. Pourtant, tant dans le système actuel que dans le projet proposé, ces droits restent largement symboliques.
La seule référence aux agriculteurs dans le projet de résolution ressemble à une clause de non-responsabilité : l’accord révisé « n’a pas pour but de limiter » les droits des agriculteurs. Cette reconnaissance symbolique élude la question fondamentale de l’impact du SML sur les agriculteurs, tant en tant que fournisseurs que bénéficiaires d’avantages. Il convient de noter que l’ATTM n’impose aucune obligation aux bénéficiaires de semences de reconnaître la contribution des agriculteurs dans leurs résultats de recherche et/ou dans leurs revendications de propriété intellectuelle, même lorsque des semences de variétés agricoles sont utilisées ou lorsque leurs connaissances traditionnelles sont mises à contribution.
De plus, la définition des « ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture en cours de développement (PGRFA-D) » dans l’ATTM continuerait d’affaiblir la protection dont bénéficient les semences des agriculteurs dans le Traité. En définissant les PGRFA-D comme des matériaux dérivés uniquement de semences accessibles par le biais du SML, le texte exclut de cette protection les semences des agriculteurs qui sont continuellement en cours de développement dans leurs champs. Cela permettrait aux banques de gènes internationales ou aux entreprises d’accéder aux variétés de semences des agriculteurs, disponibles auprès des banques de gènes nationales ou des institutions gouvernementales (même si elles continuent d’être utilisées dans les champs), sans leur consentement. Cela contredit l’esprit du Traité et sa disposition explicite, l’article 12.3(e), qui affirme que les agriculteurs conservent leur pouvoir discrétionnaire sur leurs matériels en tant que développeurs.
Sans consentement et sans transparence (comme indiqué ci-dessus), les agriculteurs pourraient voir leurs semences transformées en variétés brevetées qu’ils devraient ensuite racheter. Il n’y a également aucune garantie que les bénéfices de la commercialisation des ressources SML profiteraient directement aux communautés agricoles.
La souveraineté restreinte au nom de l’« amélioration »
La modification proposée à l’annexe 1 visant à étendre le champ d’application du SML à toutes les RPGAA limite également la capacité des pays à exercer leurs droits souverains sur les ressources génétiques. Elle leur permet d’exclure uniquement un « nombre certain et limité » d’espèces du SML et une seule fois, au moment de la ratification ou de l’adhésion, selon le cas.
Ils doivent également « exposer clairement les raisons » de toute exclusion, qui doit être limitée à des motifs juridiques ou culturels. En outre, le projet de résolution propose de refuser les fonds de partage des avantages pour les projets portant sur les cultures exclues du SML, ce qui constitue une menace implicite pour ceux qui font valoir leurs droits.
Cette souveraineté conditionnelle constitue une menace directe pour le droit international en matière de ressources génétiques. Les nations ont le droit inhérent de déterminer l’accès à leurs ressources génétiques. Les contraindre à justifier les exclusions et limiter les exceptions porte atteinte à ce principe. Ces tactiques de pression font écho à une tendance plus large dans la gouvernance mondiale de la biodiversité : l’érosion constante du contrôle des « pays en développement » sur leur richesse biologique au nom du « libre accès ».
Ces mesures contredisent le principe de « souveraineté permanente sur les ressources naturelles » inscrit dans le droit international et réaffirmé dans la CDB et son Protocole de Nagoya.
Par conséquent, alors que l’Organe directeur se réunit à Lima, les Parties contractantes – en particulier celles des « pays en développement » – doivent examiner attentivement s’il s’agit véritablement d’un « renforcement » ou d’une érosion des principes qui ont donné naissance à la CDB et au Tirpaa. La sécurité alimentaire mondiale mérite un résultat qui renforce l’équité, la transparence et la souveraineté, et non un résultat qui les compromette.
- FAO, « Onzième session de l’Organe directeur, Lima, Pérou, 24—29 novembre 2025 ». ↩︎
- FAO, Tirpaa, QUATORZIÈME RÉUNION DU GROUPE DE TRAVAIL SPÉCIAL À COMPOSITION NON LIMITÉE CHARGÉ D’AMÉLIORER LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME MULTILATÉRAL, «Ensemble de mesures visant à améliorer le fonctionnement du Système multilatéral: projet de texte de négociation contenu dans le rapport de la treizième réunion », juin 2025. ↩︎
- Canadian seed company (3 187 dollars US), Nunhems Netherlands BV (732 301 dollars US), Bejo Zaden BV (88135 dollars US); Uniquest Pty Ltd (218 dollars US); Zollinger Bio (355 dollars US); NuCicer (484 dollars US). ↩︎


