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La Malaisie abandonne le « moustique OGM » contre la dengue
Les moustiques génétiquement modifiés, mis au point par Oxitec, n’ont pas été retenus par les autorités malaisiennes dans la lutte contre la dengue. La technologie a en effet été considérée comme « coûteuse et inefficace » par le ministère de la Santé.
Après les îles Caïmans, la Malaisie avait été le deuxième terrain de jeu de l’entreprise britannique Oxitec, qui avait lâché des milliers de moustiques (Aedes aegypti) génétiquement modifiés pour tenter d’endiguer l’épidémie de dengue dans une zone considérée comme inhabitée, Pahang. Cette expérimentation grandeur nature avait été réalisée en décembre 2010 [1]. Les responsables de ce projet avaient lâché en quantité identique des mâles non génétiquement modifiés pour pouvoir étudier les différences de comportement de ces deux types de moustiques dans un environnement naturel.
Suite à une évaluation de cette expérimentation, le ministère de la Santé malais a décidé de ne pas utiliser cette technologie, jugeant ces lâchers « trop coûteux et inefficaces ». Le professeur Subramaniam, ministre de la Santé, précise, en reprenant les chiffres de son sous-ministre Datuk Seri Dr Hilmi Yahaya, que la proposition de tester ces insectes biotechnologiques dans quatre états malais coûterait 25 millions d’euros [2].
Sa préférence va donc vers « des insecticides qui peuvent pénétrer dans les murs pendant plus de trois mois, couplés avec l’utilisation d’une pilule anti-moustique ou une peinture anti-moustique », le tout, en lien avec une campagne de sensibilisation, notamment pour tenter d’éliminer les points d’eau stagnante, qui favorisent le développement de l’Aedes aegypti. Le ministre considère que les lieux de reproduction des moustiques vecteur de la dengue sont à plus de 60 % des lieux d’habitation.
La Malaisie est donc aussi sur le point de tester une autre technique pour lutter contre Aedes et la dengue : une peinture anti-moustique. Cette peinture, qui pourrait être commercialisée d’ici juillet, a été élaborée dans les laboratoires de l’Unité d’entomologie de l’Institut pour la recherche Médicale. La commercialisation de cette peinture nécessitera une collaboration avec un ou plusieurs fabricants de peinture. Ce produit a été enregistré comme un pesticide auprès du ministère malais de l’Agriculture. Il contient en effet du Butoxyde de pipéronyle et de la deltaméthrine, de puissants biocides. Ces solutions chimiques sont peut-être moins chères et plus faciles à mettre en œuvre, « elles ne sont pas pour autant idéales », nous confiait Lim Li Ching, qui suit ce dossier pour Third World Network. Cette peinture est censée tuer les moustiques à l’intérieur des maisons. Une pulvérisation a été organisée en février 2015 avec des taux de réussite impressionnants, d’après le journal The Star [3], mais il faudra, là encore, être vigilant quant aux effets d’annonce et aux impacts collatéraux.
En juillet 2014, c’était la Province de Malacca [4], en Malaisie, qui avait déjà officiellement pris position contre ces moustiques GM. Le premier ministre de la province, Datuk Seri Idris Haron, avait alors précisé que ce n’était pas le coût de ces lâchers qui l’avait amené à se montrer réticent, mais la crainte que cette solution « transgénique » engendre d’autres problèmes.
Des lâchers expérimentaux de moustiques Aedes aegypti transgéniques ont aussi eu lieu dans l’état de Bahia, au nord du Brésil, mais les résultats de ces « essais en champs » n’ont jamais été publiés. Des doutes sur l’efficacité de ces moustiques avaient déjà été soulevés. L’essai avait eu lieu dans la municipalité de Jacobina. Or, quelques mois après, l’état d’urgence sanitaire avait été décrété suite à une recrudescence de la dengue [5].
Le Dr Helen Wallace, directrice de l’ONG britannique GeneWatch, considère elle-aussi que cette technologie n’est pas très efficace. Elle cite pour appuyer son propos une modélisation informatique réalisée par Oxitec elle-même et qui conclut qu’il faudrait disséminer chaque semaine 2,8 millions de moustiques transgéniques mâles pour supprimer une population sauvage de seulement 20 000 moustiques, ce qui est « impraticable à aucune échelle ». Or, la technique des lâchers mâles stériles ne peut fonctionner que si elle élimine la population sauvage et non si elle se contente d’en réduire le nombre.
Au contraire, le docteur Wallace avait déjà mentionné à Inf’OGM qu’une diminution de la population pourrait avoir des conséquences sanitaires inquiétantes en diminuant la possibilité d’immunité croisée [6].
Ce changement de stratégie en matière de lutte n’est pas lié à une diminution des cas de dengue. Ce changement s’opère au contraire dans un contexte de recrudescence de la dengue. Ainsi, au cours des trois premiers mois de 2015, ce sont 30 890 cas de dengue qui ont été recensés en Malaisie, une augmentation importante par rapport à la même période en 2014 (21 967 cas).
[1] , « Première mondiale en Malaisie : des moustiques OGM secrètement lâchés sur le continent », Inf’OGM, 27 janvier 2011
[2] 100 millions de ringgit malais
[3] http://www.thestar.com.my/News/Nation/2015/03/26/New-insecticide-cuts-down-dengue-cases-Synthetic-compound-to-be-mixed-with-paint-for-indoor-use/
[5] , « Brésil – Les moustiques OGM sont-ils inefficaces ? », Inf’OGM, 18 juillet 2014
[6] , « BRESIL – Le moustique OGM attend finalement la validation de l’agence sanitaire », Inf’OGM, 16 avril 2016