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ETATS-UNIS – Qui a fait pression pour que la luzerne OGM soit autorisée ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 31/03/2014, modifié le 10/07/2024

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Trois ans après son autorisation, confirmée par un tribunal il y a un an, la luzerne transgénique fait à nouveau l’objet d’un procès. Le Center for Food Safety (CFS, Centre pour la sécurité des aliments) souhaite en effet obtenir que soient rendus publics 1 179 documents de la procédure d’autorisation. Le CFS souhaite pouvoir déterminer si cette autorisation a été délivrée suite à des pressions sur le ministère. Il semble en effet, mais les documents exigés devront le confirmer, que le ministère avait constaté des impacts environnementaux, agronomiques et économiques liés à la mise en culture de cette luzerne transgénique résistante à des herbicides.

Article

Monsanto et Forage Genetics ont modifié génétiquement de la luzerne afin de la rendre résistante aux herbicides à base de glyphosate (roundup). En avril 2004, ces deux entreprises déposent un dossier de demande d’autorisation commerciale auprès du ministère de l’Agriculture (USDA), qui répond favorablement en juin 2005. Le département de la santé végétale et animale (APHIS) du ministère avait en effet considéré que cette luzerne GM n’était pas un « parasite végétal », dans le sens où : a) elle n’est pas un organisme qui provoquerait directement ou indirectement des maladies ou dommages (conformément à la législation 7 C.F.R. §340.1) ; et b) la bactérie utilisée pour transférer le transgène à la luzerne (Agrobacterium, un parasite végétal) n’est plus active et ne présente donc plus de danger. L’APHIS avait par ailleurs conclu qu’autoriser la luzerne GM n’affectait pas l’environnement et qu’une évaluation des risques environnementaux n’était dès lors pas nécessaire [1].

La luzerne GM, un parasite végétal ?

Dès 2006, une plainte était déposée par plusieurs acteurs dont le CFS pour contester cette autorisation, considérant que cette luzerne était un parasite végétal puisque capable de contaminer les cultures de luzerne biologique et qu’une évaluation des risques environnementaux devait être conduite au vu du risque d’apparition de plantes adventices résistantes au glyphosate. Le Tribunal de San Francisco suspendait alors en 2007 (puis la Cour d’appel en 2008 [2]) l’autorisation et condamnait l’APHIS à effectivement conduire une évaluation complète… évaluation qui sera finalement publiée en 2010. C’est également en 2010 que la Cour Suprême, saisie par Monsanto, précisait dans sa décision finale que si les tribunaux qui avaient suspendu l’autorisation ont outrepassé leur droit, « l’interdiction de la luzerne OGM reste intacte, et que la culture et la vente de la luzerne GM restent illégales » [3].

Suite à cette évaluation des impacts environnementaux, l’APHIS ré-autorisait donc en janvier 2011 la luzerne transgénique [4]. Une nouvelle autorisation qui fut de nouveau contestée en justice par les mêmes opposants avec les mêmes arguments. Et en mai 2013, la Cour d’appel de Californie donnait tort au CFS et validait l’autorisation donnée en janvier 2011 [5]. Concernant le caractère « parasite végétal » de la luzerne transgénique, la Cour a considéré valables les arguments de l’APHIS, à savoir que les risques de contamination de la luzerne bio par la luzerne GM relèvent des capacités de pollinisation croisée, un phénomène différent du parasitage, selon l’APHIS. De même, la Cour se rangeait du côté de l’APHIS sur l’utilisation d’Agrobacterium, qui ne doit pas être considérée comme un parasite végétal puisque n’étant plus active dans la plante GM.

Des conséquences économiques négatives pour le marché bio

Mais la Cour reconnaissait que la mise en culture de la luzerne transgénique pourrait avoir des conséquences économiques négatives pour les cultivateurs de luzerne non GM et le marché bio : « la contamination des cultures conventionnelles de luzerne par le gène de résistance au glyphosate pourrait fermer des marchés d’exportation », indiquait-elle, comme l’avait noté l’APHIS dans son évaluation environnementale, de même que cela pourrait « forcer [ces] agriculteurs à augmenter leurs dépenses pour certifier que leur luzerne n’est pas contaminée ». Seulement, expliquait la Cour d’appel, l’APHIS n’a pas pour mission d’évaluer les risques économiques d’une autorisation d’une plante transgénique. Dès lors, ces risques, aussi avérés soient-ils, ne pouvaient pas être pris en compte… Conséquence directe : la classification par les États-Unis du risque de contamination comme un risque uniquement de nature économique. Une approche en partie différente de celle de l’Union européenne qui considère ce risque aussi sous sa nature environnementale, conduisant donc au besoin de disposer de règles de coexistence.

La Cour avait également validé le risque, soulevé par le CFS, que cette luzerne GM puisse entraîner une utilisation accrue du glyphosate, reconnaissant que « la luzerne GM a été développée pour que les agriculteurs puissent augmenter significativement les quantités d’herbicides utilisées sur les champs de luzerne […] ce qui pourrait potentiellement dégrader l’environnement » ! Mais il n’appartenait pas non plus à l’APHIS de prendre en considération cette question, précisait la Cour, puisqu’il s’agit d’une question qui relève de la procédure d’autorisation du glyphosate et non de la luzerne GM. En conclusion, la Cour précisait qu’il revient au seul Congrès des Etats-Unis de « mettre à jour la loi étasunienne sur les dommages potentiels causés par les modifications génétiques (dont la contamination transgénique et l’augmentation des quantités d’herbicides utilisées), pas à la justice » !

Le CFS avait alors réagi en indiquant que « cette décision est irresponsable [6]. La Cour a reconnu les nombreux et importants impacts environnementaux et économiques de cette culture, et pourtant, elle se met en quatre pour autoriser le ministère de l’Agriculture à ignorer ces problèmes dans la procédure légale ». Et le CFS faisait alors état de sa volonté de ne pas laisser cette décision de justice sans suite.

Le CFS demande l’accès à 1179 documents tenus secrets

Une procédure entamée en mars 2014 relance donc aujourd’hui le débat sur les conditions d’attribution de l’autorisation. Le CFS a en effet initié une procédure juridique contre le ministère de l’agriculture pour obtenir la publication de 1 179 documents qui pourraient, selon lui, expliquer pourquoi la luzerne GM de Monsanto a été finalement autorisée après de nombreuses années de controverses [7]. Pour le CFS, comment expliquer le décalage entre d’une part, les conclusions du ministère sur l’existence d’impacts « environnementaux, agronomiques et économiques liés à la mise en culture de la luzerne » transgénique ; et d’autre part, la décision d’autorisation délivrée en janvier 2011 par le même ministère ? Cette ONG a donc demandé l’accès à tous les documents concernant cette décision : refus du ministère. Un refus qui a donc conduit le CFS à entamer une procédure judiciaire. Pour expliquer la décision finale d’autorisation, « la Maison-Blanche est-elle intervenue ? Monsanto a-t-elle fait pression sur le ministère ? Le fait est que l’on ne sait pas et que si la justice n’ordonne pas au ministère de rendre publics ces documents, nous ne saurons jamais » explique Andrew Kimbrell, directeur du CFS. Inf’OGM suivra cette nouvelle procédure avec attention.

Chronologie

Chronologie

 Dépôt de la demande d’autorisation par Monsanto et Forage Genetics

16 avril 2004 : http://www.aphis.usda.gov/brs/aphisdocs/04_11001p.pdf

 Première évaluation des risques et première consultation publique

24 novembre 2004 : http://www.aphis.usda.gov/brs/fedregister/BRS_20041124a.pdf

3 février 2005 : http://www.aphis.usda.gov/brs/fedregister/BRS_20050203a.pdf

 Première autorisation commerciale

27 juin 2005 : http://www.federalregister.com/Browse/Document/usa/na/fr/2005/6/27/e5-3323

 Contestation en justice de l’autorisation par le CFS

5 avril 2006 : http://www.centerforfoodsafety.org/file/complaintalfalfaamended452006.pdf

 La Justice annule l’autorisation

12 mars 2007 (confirmée le 2 septembre 2008) : [8]

 Retrait autorisation

23 mars 2007 : http://www.aphis.usda.gov/brs/fedregister/BRS_20070323a.pdf

 Évaluation environnementale complète avant consultation

novembre 2009 : http://www.aphis.usda.gov/biotechnology/downloads/alfalfa/gealfalfa_deis.pdf

 Évaluation environnementale finale

décembre 2010 : www.aphis.usda.gov/biotechnology/downloads/alfalfa/gt_alfalfa%20_feis.pdf

 Seconde autorisation commerciale

28 janvier 2011 : http://www.aphis.usda.gov/brs/aphisdocs/04_11001p_det.pdf

 Plainte contre l’autorisation de janvier 2011

18 mars 2011 : http://www.centerforfoodsafety.org/files/1-complaint.pdf

 Confirmation de l’autorisation par la justice

17 mars 2013 : http://cdn.ca9.uscourts.gov/datastore/opinions/2013/05/17/12-15052.pdf

 Nouvelle procédure afin d’avoir accès aux documents qui ont permis cette autorisation

12 mars 2014 : http://www.centerforfoodsafety.org/files/2014-3-12-dkt-1–pls–complaint-rra-foia_19503.pdf

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