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États-Unis – Des papillons OGM pour sauver choux et colzas
Le 6 juillet 2017, le ministère de l’Agriculture des États-Unis (Aphis – USDA) a autorisé un lâcher, à titre expérimental, d’un papillon génétiquement modifié (Plutella xylostella, OX4319), un parasite important des choux, colzas et autres plantes de la famille des brassicacées (anciennement crucifères), dans l’état de New-York. Après les moustiques transgéniques, les mouches du fruit, voici donc une nouvelle innovation de l’entreprise Oxitec, à l’affiche en ce moment, malgré des évaluations toujours aussi défectueuses et une opacité totale. En janvier 2020, Oxitec publiait les résultats des essais en champs réalisés en 2017, des résultats aux enseignements quasi nuls.
Oxitec, une entreprise britannique liée à Syngenta, a développé une technologie brevetée, qui entraîne chez les insectes génétiquement modifiés (GM) une descendance incapable de se reproduire. Il s’agit de la technologie du lâcher d’insectes porteur d’une létalité dominante (RIDL, Release of Insects carrying a Dominant Lethal). Autrement dit, les insectes adultes transmettent un gène de létalité à leur descendance qui ne peut donc pas se développer. Mais Oxitec a mis au point plusieurs technologies RIDL. La première est déjà connue de nos lecteurs : elle a été autorisée au Brésil dans la lutte contre la dengue, avec des millions de moustiques mâles transgéniques disséminés dans l’état de Bahia [1].
Concernant le papillon génétiquement modifié (Plutella xylostella), qui pourrait être lâché très prochainement dans l’état de New York [2], la technologie est sensiblement différente : le transgène introduit chez les mâles engendre une létalité uniquement pour les larves femelles. Et donc les larves mâles issus d’un papillon transgénique et d’une autre souche sauvage, peuvent atteindre l’âge adulte. Argument mis en avant par Oxitec : cette technologie est plus efficace car la seconde génération de mâles transgéniques (les larves mâles qui ont donc pu se développer) peuvent à nouveau s’accoupler avec des femelles sauvages. Ceci devrait donc en théorie réduire le nombre de lâchers nécessaires [3]. Ce papillon possède aussi le transgène DsRed qui code pour la fluorescence. Ceci est censé aider à suivre les populations d’insectes transgéniques…
Une évaluation incomplète
GeneWatch, une ONG particulièrement vigilante sur le dossier des insectes transgéniques, s’est procuré l’étude d’impact environnemental réalisée par l’USDA, et met en exergue « plusieurs préoccupations sérieuses » qui ont été négligées dans cette évaluation. Tout d’abord, l’ONG note que pour fonctionner, la proportion de mâles GM devrait être de 10 pour une femelle sauvage. Une proportion encore plus importante que celle nécessaire pour que le moustique transgénique d’Oxitec puisse espérer combattre la transmission du virus de la dengue.
Un autre des risques est que ces plantes de la famille des brassicacées, contaminées par ces larves génétiquement modifiées femelles mortes, soient consommées par de nombreuses espèces, dont les humains, intentionnellement ou non. Or, il n’y a aucune donnée dans le dossier concernant le devenir de ces larves dans la chaîne alimentaire. En revanche, il existe des études qui montrent que la protéine exprimée par ce papillon GM peut avoir des effets nocifs sur les souris [4], notamment au niveau neurologique.
Un autre risque, non spécifique à ce papillon, est le fait que la disparition, complète ou partielle, de ce parasite laissera la place à d’autres. Le même raisonnement avait été mis en exergue dans le cas du moustique : si Aedes aegypti disparaissait réellement, ne serait-ce pas l’occasion pour le moustique tigre (Aedes albopictus) d’occuper des niches écologiques qui, jusque là, ne lui convenaient pas ?
Un quatrième risque, lui aussi déjà mis en avant dans le cadre du moustique transgénique, est lié à l’utilisation d’un antibiotique utilisé pour élever les papillons GM en laboratoire. En effet Oxitec utilise la tétracycline pour annihiler, en laboratoire, la technologie RIDL. Ceci, estime GeneWatch, pourrait encore augmenter la résistance aux antibiotiques via les bactéries intestinales, alors que ce phénomène prend des proportions tout à fait inquiétantes au niveau mondial. L’OMS soulignait cette année, dans un nouveau rapport [5] que « cette grave menace n’est plus une prévision, mais bien une réalité dans chaque région du monde, et que tout un chacun, quels que soient son âge et son pays, peut être touché ». L’USDA et les autres agences d’évaluation devraient donc réellement se pencher sur cet aspect. Mais cela rend aussi potentiellement inopérants ces papillons : comme pour les moustiques d’Oxitec, si ce papillon rencontre cet antibiotique dans l’environnement, il peut « perdre » sa létalité et donc engendrer une descendance transgénique active. Ainsi, plusieurs ONG étasuniennes demandent que soient conduites des études et un protocole strict pour que soient détruites les cultures contaminées avec les larves de ce papillon GM afin d’éviter la contamination de la chaîne alimentaire.
Des essais en champs inutiles
Oxitec a réalisé en 2017 des lâchers de ce papillon génétiquement modifié dans une parcelle circulaire de 2,83 ha. La parcelle a été cultivée avec du chou. Au total, 20 000 papillons GM et non GM ont été lâchés au centre du champs en six épisodes (des lâchers variant entre 1000 et 2500 individus de chaque souche). Il s’agit donc d’un échantillon relativement restreint. Il l’est d’autant plus qu’il est mentionné que « certaines observations quotidiennes précoces n’ont pas été effectuées en raison de la pluie ». Il y eut d’autres soucis, et au final, « seules les données des lâchers de 2 500 papillons ont été utilisées pour l’analyse ».
Le but de l’étude n’est pas très clair. Intitulé « Première dissémination en champ d’un insecte nuisible agricole autolimité issu du génie génétique : évaluation de son potentiel pour la protection future des cultures » [6], nous pouvions nous attendre à avoir quelques informations sur l’efficacité de ce papillon transgénique… Or l’article ne mentionne pas d’effet sur les populations d’insectes sauvages. Cela ne veut pas dire qu’il ne « fonctionne pas ». Simplement, les chercheurs n’ont pas testé la réalité de la suppression de la population du parasite sauvage. Les auteurs indiquent juste que « en utilisant les résultats de ces études, des modèles mathématiques ont été développés qui indiquent que la libération de mâles OX4319L devrait permettre de lutter efficacement contre P. xylostella. D’autres études de terrain sont recommandées pour démontrer le potentiel de ce P. xylostella [génétiquement modifié] ».
Cette étude vise donc à étudier le comportement des papillons transgéniques. Et à ce propos, les chercheurs estiment que le comportement des sauvages et des transgéniques est équivalent, en terme de dispersion géographique, de survie, etc. Une autre étude, réalisée par l’entreprise en Australie (Mo et al., 2003), mentionnée dans cet article, valide leur observation : « la distance moyenne parcourue par P. xylostella avant d’être recapturé sur des pièges à phéromones a varié entre 22 et 35 m sur cinq lâchers. Bien que cette étude ait été menée dans des conditions différentes – notamment la conception des pièges, la culture et les conditions environnementales – la distance parcourue par P. xylostella dans cette étude est remarquablement similaire aux résultats de notre étude ».
Quant à la persistance, là encore, l’étude affirme que « les deux souches ont persisté dans le champ pendant une durée similaire lorsqu’elles étaient relâchées à des taux de 1 000 et 1 500 mâles par lâcher et ont persisté significativement plus longtemps que celles relâchées à un taux de 2 500 mâles par lâcher. La raison de la persistance plus faible à un taux plus élevé reste inconnue ».
Ces données ne sont valables que pour cet essai-là. En effet, les conditions strictes ne permettent pas d’extrapoler. « Le site choisi pour le lâcher était un champ isolé entouré de bois sur trois côtés, y compris le côté d’où provient normalement le vent, ce qui a pu contribuer à limiter les mouvements des papillons au-delà de la limite du champ. De plus, aucune tempête accompagnée de vents accrus n’est survenue pendant les essais sur le terrain, ce qui aurait pu accroître la dispersion. Bien qu’il existe des preuves de déplacement de P. xylostella sur de longues distances, principalement par des vents de haute altitude (Talekar et Shelton, 1993), des études ont indiqué que le déplacement dans un habitat approprié et stable est limité (Mo et al., 2003 ; Musser et al., 2005 ; Bolton et al., 2019) ».
« C’est mieux qu’avant » !
Et bien entendu, ces mâles transgéniques, nous précise Oxitec, seront aussi vigoureux que les papillons sauvages… ce qui n’était pas le cas, on l’apprend à cette occasion, avec les insectes rendus stériles par irradiation. Ce qui est intéressant, c’est qu’à chaque nouvelle étape technologique, le concepteur, pour mieux « vendre » sa trouvaille, se voit dans l’obligation de dénoncer la technologie précédente. En l’occurrence, ici l’irradiation.
En conclusion GeneWatch souligne qu’il n’existe aucun cadre réglementaire spécifique concernant les lâchers d’insectes génétiquement modifiés. Et que les insectes posent de gros problèmes de dispersion… Les insectes GM sont censés mourir avec les premiers gels hivernaux, mais il est évident que certains trouveront refuge dans des milieux plus cléments où ils survivront (intérieurs, zones tempérées après transport dans des camions…).
Une consultation publique a été organisée par l’USDA entre le 19 avril et le 19 mai 2017. Sur les 670 commentaires reçus, l’USDA reconnaît que la majorité exprimait des doutes ou exprimait une opposition à ces lâchers. Mais ces critiques ont été balayées d’un revers de la main comme en témoignent les réponses faites par l’USDA [7]. En premier, la procédure même de la consultation a été critiquée car jugée trop « courte. L’USDA répond laconiquement que « la période de commentaire de 30 jours est suffisante (…) parce que l’Agence a considéré que les lâchers de [ce papillon GM] ne présenteraient pas de risques phytosanitaires supérieurs à ceux qui existeraient avec [ce papillon non GM] ». Et concernant le risque de dissémination, l’USDA répond que le risque est infime étant donné que cette expérience sera réalisée sur 10 acres (4 hectares) avec 30 000 mâles transgéniques lâchés par semaine…
L’humanitaire cacherait-il le phytosanitaire ?
Avec ce papillon transgénique, cependant, nous changeons de logique : il ne s’agit plus, comme avec le moustique GM, d’aider les pays pauvres à lutter contre la dengue, mais de lutter contre des parasites des cultures industrielles. C’est comme si les entreprises de biotech avait développé un riz doré (à objectif « humanitaire ») avant le soja Roundup Ready (à objectif de production commerciale)… La stratégie de communication de l’entreprise semble avoir bénéficié des quinze dernières années de polémiques…
Avec des dégâts occasionnés par ce papillon estimés à quatre ou cinq milliards de dollars, les agriculteurs pourront croire à un nouveau miracle technologique… Et être prêts à payer pour tenter de survivre. Le marché semble plus juteux que celui des malades de la dengue… D’autant plus que ce petit papillon est le premier parasite à avoir développé une résistance à quatre protéines Bt, produite par des plantes transgéniques (PGM), d’après une étude du Professeur Tabaschnik [8]. Oxitec ne pouvait pas vraiment l’ignorer, notamment du fait de son alliance avec Syngenta qui a développé de telles plantes transgéniques Bt. L’insecte GM viendrait-il pallier les faiblesses des PGM ?
[1] , « BRESIL – Le moustique OGM attend finalement la validation de l’agence sanitaire », Inf’OGM, 16 avril 2016
[2] l’autorisation a été donnée le 6 juillet 2017.
[3] Oxitec a aussi mis au point un « female specific RIDL » moustique, mais il n’a jamais été expérimenté. Pour Helen Wallace, de GeneWatch, interrogée par Inf’OGM, « il n’est pas évident de savoir si c’est pour des raisons techniques ou si c’est que l’entreprise estime que c’est plus controversé, du fait que des mâles transgéniques peuvent survivre sur plusieurs générations ». Ainsi, ce moustique GM se rapproche d’une stratégie dite de bioconfinement, comme l’est le gène Terminator. Or le lobby des biotechnologies tente d’obtenir que les OGM stériles n’aient plus besoin d’évaluation environnementale car ils ne se reproduisent pas.
[4] Han H.J., Allen C.C., Buchovecky C.M. et al. (2012) « Strain background influences neurotoxicity and behavioral abnormalities in mice expressing the tetracycline transactivator ». J. Neurosci. 32(31):10574–10586, et Sisson T.H., Hansen J.M., Shah M., Hanson K.E., Du M., Ling T. et al. (2006) « Expression of the Reverse Tetracycline- Transactivator Gene Causes Emphysema-Like Changes in Mice ». American Journal of Respiratory Cell and Molecular Biology, 34(5), 552 –560.
[6] First Field Release of a Genetically Engineered, Self-Limiting Agricultural Pest Insect : Evaluating Its Potential for Future Crop Protection
[7] National Environmental Policy Act Decision :
Finding Of No Significant Impact, Permit Application 16-076-101r
Submitted by Dr. Anthony Shelt on of Cornell University, Field Release of Genetically Engineered Diamondback Moth Strain OX4319L-Pxy