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Équivalence OGM/non-OGM, la Commission fait de « certains cas » une règle générale

Par Eric MEUNIER

Publié le 11/12/2025

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La proposition de déréglementation d’OGM végétaux faite par la Commission européenne en juillet 2023 repose notamment sur le postulat que de nouvelles techniques de modification génétique peuvent donner des organismes qui présentent des modifications que des méthodes dites «conventionnelles » permettraient également d’obtenir. Pour affirmer cela, la Commission européenne opère, dans sa proposition, un subtil mais déterminant abus sémantique…

Depuis juillet 2023, l’Union européenne discute d’une éventuelle déréglementation de nombreux OGM. Les arguments présentés par les tenants de cette déréglementation frappent par les nombreux abus ou distorsions sémantiques. Semant la confusion et le flou sur des notions pourtant établies, ces abus sémantiques sont utilisés à dessein, au service d’un objectif politique visant à déréglementer nombre d’OGM. Après avoir constaté que les notions mêmes de « ressources génétiques », micro-organismes, voire la définition d’un OGM sont tordues à volontéi, après avoir décrypté la confusion entretenue entre outils (ex : Crispr), techniques (ex : mutagénèse) ou méthodes (ex : protocoles techniques de modification génétique)ii, ou encore s’être intéressé aux qualificatifs de précision, ciblage ou maîtrise des techniques de modification génétiqueiii, Inf’OGM aborde ici un des deux postulats centraux de la Commission européenne, « l’équivalence » entre des végétaux OGM et des végétaux conventionnels (non-OGM).

« Certains cas » ou tous les cas ?

Dans son propos liminaire visant à présenter les raisons l’ayant conduit à faire sa proposition de déréglementation de nombreux OGM obtenus par des nouvelles techniques de modification génétique (appelés par la Commission « nouvelles techniques génomiques »/NTG), la Commission argumente que « dans certains cas, des végétaux sensiblement équivalents peuvent être obtenus tant avec des méthodes d’obtention conventionnelles qu’avec la mutagenèse ciblée et la cisgenèse ». Cet argument se transforme subtilement dans la suite du texte, passant de « certains cas » aux NTG en général. La Commission écrit en effet dans le considérant 2 du texte de loi proposé que « les NTG […] peuvent aboutir à des organismes présentant des modifications équivalentes à celles que l’on peut obtenir au moyen de méthodes d’obtention conventionnelles ou à des organismes présentant des modifications plus complexes ».

Outre cette généralisation, l’utilisation du terme « peuvent » intrigue également. Il induit théoriquement que cette équivalence n’est pas sûre, voire presque improbable. Il existe en effet plusieurs exemples de plantes qui seraient considérées comme déréglementées, car répondant aux critères de la catégorie NTG1 et qui, pourtant, ne pourraient pas être obtenues par sélection, sauf à attendre des milliards d’annéesiv.

Autre glissement subtil, le passage de « sensiblement équivalents » à « équivalents ». Cette rédaction sera reprise dans le considérant 14, qui ajoute aux méthodes conventionnelles les végétaux apparaissant « naturellement » : « Les végétaux NTG qui pourraient également apparaître naturellement ou être produits au moyen de techniques d’obtention conventionnelles et leur descendance obtenue au moyen de techniques d’obtention conventionnelles (ci-après les « végétaux NTG de catégorie 1 ») devraient être traités comme des végétaux apparaissant naturellement ou produits au moyen de techniques d’obtention conventionnelles, étant donné qu’ils sont équivalents et que leurs risques sont comparables, ce qui permet de déroger entièrement à la législation de l’Union sur les OGM ».

L’équivalence, selon la Commission européenne

Au-delà de ces abus ou transformations sémantiques du conditionnel à l’affirmatif, de « certains cas » à « tous les cas », ou encore de « sensiblement équivalents » à tout simplement « équivalents », la Commission européenne centre donc son raisonnement autour de la notion d’équivalence.

Vu les enjeux de la déréglementation proposée, il importe de lire précisément les définitions proposées quant à cette notion d’équivalence. Pour la Commission européenne, « un végétal NTG est considéré comme équivalent à un végétal conventionnel lorsqu’il diffère du végétal récepteur/parental d’un maximum de 20 modifications génétiques »v. En termes plus simples : c’est différent, mais équivalent. D’autant qu’il est utile de rappeler que ce qui est ici nommée « modification génétique » est un ensemble de modifications génétiques de différentes natures. Une modification génétique telle qu’énoncée dans la définition d’équivalence que nous venons de voir peut être une « substitution ou insertion de 20 nucléotides au maximum », une « délétion de tout nombre de nucléotides » ou encore des insertions, substitutions ou inversions de certaines séquences génétiques.

Pour comprendre l’aberration du raisonnement proposé par la Commission européenne, on peut s’attarder sur la modification génétique du type « délétion de tout nombre de nucléotides ». Un organisme auquel la moitié du génome a été retiré en laboratoire – pour peu qu’il reste encore viable – serait donc pour la Commission européenne « équivalent » à l’organisme disposant du génome complet…

Le Conseil de l’Union européenne sur la même ligne

Pour le Conseil de l’Union européenne, la définition retenue dans le cadre du mandat de négociation donné au pays présidant le Conseil est du même acabit que celle de la Commission européenne, en pirevi. Pour le Conseil, « un végétal NTG est considéré comme équivalent à un végétal conventionnel lorsqu’il diffère du végétal récepteur/parental d’un maximum de 20 modifications génétiques par génome monoploïde ». Cette précision « par génome monoploïde » induit, dans le cas du blé par exemple, que le nombre de modifications génétiques inclut dans l’équivalence n’est plus de 20 mais de 120 (le blé possède six copies de génome ou, dit autrement, six génomes monoploïdes).

Le Parlement européen jusqu’au-boutiste

Le Parlement européen a, de son côté, poussé le raisonnement à un stade assez peu imaginable. Il écrit qu’ « un végétal NTG est considéré comme équivalent à un végétal conventionnel si [] le nombre des modifications génétiques suivantes, qui peuvent être combinées entre elles, ne dépasse pas 3 par séquence codante pour une protéine »vii. Ce qui est nommé « séquences codantes » peut être assimilé – pour la compréhension purement mathématique – au nombre de gènes. Dans le cas du maïs, qui contient 32 000 gènes recensés, le Parlement européen estime donc qu’une plante contenant jusqu’à 96 000 modifications génétiques serait équivalente à un maïs sans modification génétique. Si une modification génétique peut être une substitution de 20 nucléotides, un maïs subissant 96 000*20 soit 1 920 000 substitutions de nucléotides sera déclaré « équivalent » à un maïs sans modification génétique… De son côté, le blé contiendrait plus de 100 000 gènes, donc 300 000 modifications génétiques seraient tolérées dans un blé OGM/NTG1 déréglementé, soit un équivalent de 6 000 000 de substitutions de nucléotides pour affirmer une équivalence avec un blé non modifié génétiquement…

Un calcul qui peut être grossièrement effectué ainsi aujourd’hui, mais sera potentiellement encore supérieur demain, le nombre de séquences codantes connues évoluant avec les travaux de recherche, à l’instar des micro séquences codantes encore peu connues, sinon inconnues voila dix ans.

Déréglementer un blé OGM au principe qu’il serait, qu’il est ou qu’il est peut-être « équivalent » à un blé conventionnel ou naturel relève, sur le plan sémantique, d’un tour de force : faire déclarer équivalentes deux plantes foncièrement différentes. Et encore, en ne tenant que des séquences génétiques, puisque le législateur ne semble pas s’intéresser aux modifications épigénétiques par exemple !

Il est d’ailleurs intéressant de noter un paradoxe supplémentaire des législateurs européens pro-déréglementation. Tous ces OGM qui seraient déclarés déréglementés devront faire l’objet d’une déclaration aux autorités. Ces dernières n’auront pourtant aucun moyen de vérifier les dires des multinationales, car, dans sa proposition, la Commission choisit de ne pas rendre obligatoire la fourniture de méthode de détection et d’identification des modifications génétiques opérées. Elle considère en effet que « dans certains cas, les modifications génétiques introduites par ces techniques ne peuvent pas être distinguées au moyen des méthodes analytiques des mutations naturelles ou distinguées des modifications génétiques introduites par des techniques d’obtention conventionnelles »viii. L’Union européenne choisirait donc de faire confiance aveuglément aux multinationales pour décider de déréglementer un OGM…

i Eric Meunier, « Encore des mots, toujours des mots… », Inf’OGM, 30 octobre 2025.

ii Eric Meunier, « Quand la confusion lexicale sert des objectifs politiques », Inf’OGM, 4 novembre 2025.

iii Eric Meunier, « Mutagenèses dirigée, ciblée, précise… Des adjectifs faussement qualificatifs ? », Inf’OGM, 13 novembre 2025.

iv Frédéric Jacquemart, Président du Groupement International d’Études Transdisciplinaires (GIET), « Note pour le ministère de l’Agriculture », février 2025.

v Commission européenne, « ANNEXES de la proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques
et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 »
, 5 juillet 2023.

vi Council of the European Union, « Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on plants obtained by certain new genomic techniques and their food and feed, and amending Regulation (EU) 2017/625 », 7 mars 2025.

vii Parlement européen, « Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques
et denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés – Résolution législative du Parlement européen du 24 avril 2024 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 (COM(2023)0411 – C9-0238/2023 – 2023/0226(COD)) »
, 24 avril 2024.

viii Considérant 7 de la proposition faite en juillet 2023 :
Commission européenne, « Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 », 5 juillet 2023.

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