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Duo « OGM-herbicides » : des perspectives industrielles à long terme

Par Denis MESHAKA

Publié le 08/11/2022

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La grande majorité des plantes génétiquement modifiées (PGM) cultivées dans le monde ont été modifiées pour tolérer des herbicides. L’utilisation de ces plantes pose de nombreux problèmes, notamment environnementaux, dont l’apparition de nombreuses adventices également tolérantes. Une étude sud-coréenne des demandes de brevet de l’industrie agrochimique laisse à penser que cette dernière entend malgré tout continuer à développer des duos « OGM-herbicides ».

En 2019, 88% des plantes transgéniques cultivées dans le monde tolèrent un ou plusieurs herbicides, pour leur grande majorité le glyphosate [2] (voir encadré ci-dessous). On peut citer, entre autres, le soja, le maïs, le colza, le coton et le riz. Les herbicides que les plantes transgéniques « tolèrent », comme le glyphosate ou le glufosinate d’ammonium, sont non spécifiques. De ce fait, leur utilisation s’est généralisée, et les doses d’herbicide ont augmenté. De nombreuses adventices (ou « mauvaises herbes ») sont elles-mêmes devenues tolérantes à ces molécules. Par ailleurs, de nombreuses variétés de colza, de tournesol, de riz, de betterave, de blé issues de la mutagénèse, ont été rendues tolérantes à divers autres herbicides (VrTH). Parmi celles-ci, certaines ne sont pas étiquetées OGM, comme le colza OAC Triton résistant à la Triazine [3]. Présentées comme une alternative à l’utilisation du glyphosate et du glufosinate, elles ne font qu’accélérer les tolérances à ces autres herbicides et l’augmentation sans fin des doses. À l’échelle mondiale, 266 espèces d’adventices ont été détectées à ce jour comme étant tolérantes à 164 herbicides différents [4]. Ceci n’est pas lié uniquement aux VrTH mais à l’utilisation d’herbicide en général. Le développement de nouveaux OGM tolérants aux herbicides va donc encore accentuer ce phénomène déjà inquiétant.

Malgré ce contexte, l’industrie agrochimique semble toujours croire aux vertus de la « filière herbicides », notamment des duos « OGM-herbicides ». C’est, en effet, ce qui ressort d’une étude sud-coréenne qui s’est intéressée aux demandes de brevets sur les gènes de tolérance aux herbicides (dans les OGM obtenus par transgenèse) sur la période 1985 à 2019 [5].

Quelques sociétés détiennent la majorité des droits

Deux entreprises du groupe Corteva, Pionneer Hi Bred Int. et Dow Agrosiences, cumulent 889 demandes de brevets, dont les deux tiers concernent les seuls États-Unis. Monsanto et sa maison mère Bayer cumulent 706 demandes de brevets dans un portefeuille plutôt tourné vers l’international, à l’instar de celui de Syngenta (389) et de BASF (339), respectivement classés 3e et 4e. L’étude sud-coréenne fournit également les statistiques de dépôts des vingt entreprises qui déposent le plus de demandes de brevets. Les tendances concernant le nombre de dépôts et de déposants sont également détaillées pour différentes sous-périodes de celle étudiée.

Depuis 1985, plus de 90 % des demandes de brevets sur la tolérance aux herbicides ont été déposées aux États-Unis (2066 ; 55,3 %), en Chine (389 ; 18,8%), en Europe/CBE [6] (296 ; 9,2%), au Japon (163 ; 5,%) et en Corée du Sud (102 ; 3,1%).

KR : Corée du Sud ; JP : Japon ; US : États-Unis ; EP : Brevet européen ; CN : Chine ; WO : demandes internationales PCT (Patent Cooperation Treaty)
KR : Corée du Sud ; JP : Japon ; US : États-Unis ; EP : Brevet européen ; CN : Chine ; WO : demandes internationales PCT (Patent Cooperation Treaty)

L’étude sud-coréenne identifie des « phases standards de développement technologique » reflétées par le contenu des demandes de brevets concernant les gènes de tolérance aux herbicides. Depuis 2010, le nombre de demandes de brevets concernant les gènes de tolérance aux herbicides à l’échelle globale est en baisse d’environ 17% et, pour la première fois, un infléchissement au niveau du nombre de déposants est observé dans la période 2015-2019. L’étude qualifie cela de « phase de reflux » et propose une explication : « de nombreuses demandes de brevets ont été déposées au début du développement des gènes de résistance aux herbicides (NDLR : « phase d’introduction » selon l’étude), mais lorsque la concurrence s’est intensifiée, seules deux ou trois entreprises ont déposé des demandes et le nombre de demandes a diminué […] cette période de déclin peut être due à une réduction du développement technologique en raison de la standardisation de la technologie ». L’analyse de la progression de ces phases amène les chercheurs sud-coréens à conclure qu’il n’y aurait pas d’autre choix que d’aller vers une « stabilisation du système[de conquête du marché des gènes de résistance aux herbicides] dans une position monopolistique ».

Les résultats de cette étude semblent révéler une démarche stratégique de l’oligopole de multinationales de l’industrie semencière (Corteva, Bayer, BASF…) : au vu du tarissement des possibilités de mise au point de nouveaux herbicides chimiques, choisir de concentrer entre ses mains le plus de droits de brevets sur les principaux traits de tolérance aux herbicides exploitables industriellement.

Le glyphosate vers la sortie ?

Le soja est la culture qui fait l’objet du plus grand nombre de demandes de brevets aux États-Unis (1067), ainsi que dans les pays étudiés pris dans leur globalité. Cependant, comme pour le blé, le colza, le coton et l’œillet, le nombre de demandes de brevets décline. Dans les pays asiatiques, Chine, Japon et Corée du Sud, c’est le riz qui fait l’objet de la majorité des demandes de brevets (271).

Sur l’ensemble des gènes de tolérance aux herbicides analysés par l’étude, et décrits dans les schéma et tableau ci-dessous, quatre sont couverts par environ 75 % des demandes de brevets : ALS, EPSPS, AHAS et HPPD. Ce nombre de demandes décline néanmoins progressivement sur la dernière période étudiée, de 2015 à 2019. La présence des gènes PAT et ALS a, elle, tendance à croître dans les demandes de brevets, ce qui pourrait être interprété comme des choix à long terme privilégiant le glufosinate et les sulfonylurées en remplacement du glyphosate. Est-ce en raison de la tolérance au glyphosate développée par les adventices et de la toxicité avérée de cet herbicide pour les humains et l’environnement ? [7]

Le gène du cytochrome P450 et le gène de la protéine D1 ne semblent pas être les choix des grandes entreprises agrochimiques, en particulier concernant le blé, le colza, le coton et l’œillet. Le gène GOX (glyphosate oxidase) n’est pas non plus sélectionné pour ces cultures, peut-être pour les mêmes raisons évoquées plus haut concernant le glyphosate.

Occurrence (%) des gènes de tolérance aux herbicides dans les demandes de brevets
Occurrence (%) des gènes de tolérance aux herbicides dans les demandes de brevets
Protéines impliquées dans la tolérance aux herbicides
Tolérance à l’herbicide Protéine
Glyphosate EPSPS, 5-enolypyruvylshikimate-3-phosphatesynthase

GOX, glyphosate oxidase
GAT, glyphosate-N-acetyltransferase
Glyphosate decarboxylase
Glufosinate PAT, phosphinothricin acetyltransferase
Dicamba DMO, dicamba monooxygenase
2,4-D(2,4-Dichlorophenoxyacetic acid) AAD, aryloxyalkanoate dioxygenase
2,4-D monooxygenase
Sulfonylurée ALS, acetolactate synthase
AHAS, acetohydroxyacid synthase
Inhibiteur de photosystem II photosystem II proteine D1
Phenylurée Cytochrome P450
Inhibiteur de plastide HPPD, hydroxyphenylpyruvate dioxygenase
Bromoxynil BXN, bromoxynil nitrylase

Une mainmise laissant peu d’opportunités

Le fait que les principales sociétés agrochimiques déposent des demandes de brevets couvrant des PGM tolérantes aux herbicides indique qu’elles ont encore des perspectives sur ce marché. L’ampleur de leurs portefeuilles de brevets, ajoutée à la complexité et à la durée d’expérimentation inhérentes au développement d’OGM, laisse cependant peu de place à une concurrence des PME et ferme même la porte sur certaines cultures majeures comme le maïs et le soja.

Ce contrôle qu’exercent les principales sociétés agrochimiques sur le matériel génétique affecte en outre l’« innovation végétale » dans sa globalité, notamment celle des petits et moyens sélectionneurs conventionnels, tant sur un plan juridique qu’économique [8]. On peut pour ces raisons s’inquiéter pour l’avenir de notre alimentation, en particulier la préservation de sa diversité.

La tolérance aux herbicides,

La tolérance aux herbicides, comment ça marche ?

Les plantes GM deviennent tolérantes à un herbicide grâce à des modifications génétiques ou des croisements conventionnels les rendant moins sensibles à ces composés. En général, soit la plante produit une nouvelle protéine qui dégrade la molécule toxique, soit la protéine normalement ciblée par l’herbicide est remplacée par une nouvelle protéine non sensible à cet herbicide.

Les herbicides classiquement utilisés sur les OGM tolérant les herbicides (glyphosate, glufosinate, imidazoline…) sont dits « à spectre large » car ils sont toxiques pour la majorité des familles de plantes. Les adventices, encore appelées « mauvaises herbes », qui apparaîtraient néanmoins à la sortie des cultures sont généralement éliminées de façon mécanique.

Au-delà de la pollution découlant de leur mise en œuvre, les techniques de développement de PGM tolérantes aux herbicides posent problème, notamment en terme d’efficacité. Au point de devoir rajouter de nouveaux gènes de tolérances à d’autres herbicides mais aussi de modifier génétiquement des OGM pour éliminer les résidus d’herbicides dans leur tissus [9].

[2ISAAA. (2019). « Global status of commercialized Biotech/GM crops in 2019 », ISAAA Brief No. 55 (consulté le 7 novembre 2022).

[3« Le colza de printemps OAC Triton », Canadian Journal of Plant Science, p. 1007-1009.

[4Heap. I., « The international herbicide resistant weed database » (consulté le 7 novembre 2022).

[5Kim, J. (2022). « Worldwide patent trend analysis of herbicide-resistant genes », Plant Biotechnology Reports, Volume 16, pages 509 – 518.

[6Convention sur le Brevet Européen.

[7de Briant, L., « Bayer condamné à verser 25 millions de dollars à un utilisateur du Roundup de Monsanto aux Etats-Unis », L’Usine Nouvelle, 22 juin 2022 (consulté le 7 novembre 2022).

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