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Des manipulations scientifiques comme future loi sur les OGM/NTG ?
La Commission européenne propose qu’il existe à l’avenir deux catégories d’OGM/NTG. Ceux de la catégorie 1 seraient exemptés d’évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage. Derrière l’affichage trompeur d’une limite de vingt modifications génétiques pour cette catégorie 1, ces OGM/NTG pourraient en fait en avoir subi un nombre infini. De plus, ce nombre de vingt ne se base sur aucun fondement scientifique. Il résulte d’un arbitrage exclusivement politique destiné à restreindre la catégorie 2, encore quelque peu encadrée.
La Commission européenne soutient que sa proposition de déréglementation, qu’elle a formulée le 5 juillet 2023, ne concerne pas tous les OGM mais uniquement « les plantes produites par mutagénèse ciblée et par cisgénèse » [1]. La Copa-Cogeca commente publiquement cette proposition en saluant « le fait que la proposition de la Commission envisage des exemptions à la législation européenne sur les OGM pour certaines NBT spécifiques et pour les végétaux NTG de catégorie 1 ainsi que les produits qui en sont dérivés » [2]. Cette rhétorique se veut rassurante en laissant croire que la fin de l’évaluation des risques, de la traçabilité ou encore de l’étiquetage proposée ne concernerait pas toutes les plantes GM. Mais ce n’est pas ce que disent les propositions de règlement actuellement en discussion dans les instances européennes.
20 modifications génétiques = 400 modifications génétiques !
La Commission européenne propose que les OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique ne soient plus définis comme OGM mais comme NTG (pour nouvelles techniques génomiques). Ils seraient classés en deux catégories selon la nature des modifications génétiques introduites. La seconde catégorie est définie par la Commission comme concernant les plantes n’appartenant pas à la première catégorie. Seule cette dernière est l’objet d’une définition pour le moins surprenante.
La Commission propose de classer dans cette catégorie 1 tout végétal « qui remplit les critères d’équivalence avec les végétaux conventionnels énoncés à l’annexe I » [3]. Cette annexe établit donc ces critères d’équivalence. Ainsi, pour la Commission, « un végétal NTG est considéré comme équivalent à un végétal conventionnel lorsqu’il diffère du végétal récepteur/parental d’un maximum de 20 modifications génétiques des types visés aux points 1 à 5 ». Le 26 octobre 2023, lors d’un débat au Parlement européen organisé par l’eurodéputé Christophe Clergeau, la Commission a expliqué que pour certains acteurs, ce nombre de vingt était trop grand alors que pour d’autres, il est trop petit [4]. La Commission européenne avoue donc que son choix est politique et non scientifique.
Ce nombre de vingt modifications génétiques est en fait surtout trompeur. La Commission définit elle-même une modification génétique comme pouvant être, par exemple, une « substitution ou insertion de 20 nucléotides au maximum » [5]. De vingt modifications génétiques, on peut donc passer à 400 si chacune des modifications génétiques est une « substitution […] de 20 nucléotides ». De plus, une « délétion de tout nombre de nucléotides » ne constituerait qu’un seul type de ces vingt modifications génétiques [6]. En poursuivant le raisonnement de la Commission à la lettre, une plante dont la moitié du génome a été retiré serait donc considérée comme NTG de catégorie 1 par la Commission européenne et commercialisable sans évaluation des risques.
Il est ici nécessaire de rappeler que ces vingt modifications génétiques (ou 400 !) ne concernent que celles qui seront revendiquées par l’obtenteur. La règlementation ne prévoit aucune vérification autre qu’administrative de l’existence de modifications « non intentionnelles » et surtout non déclarées.
Une notion méconnue pour passer de 400 à… 2 400 !
Dans le document précédemment mentionné, la Copa-Cogeca commente la proposition de la Commission européenne en écrivant que pour les végétaux NTG de catégorie 1, « les 20 mutations génétiques devraient se baser sur le génome haploïde ». Utilisant un terme scientifique peu connu, le terme haploïde, cette position pourrait passer inaperçue alors même que ses conséquences sont grandes. Elle est en effet importante puisque l’Espagne – qui propose également une modification grammaticale aux fortes conséquences (cf. encadré ci-dessous) – l’a reprise à son compte dans sa dernière proposition faite aux États membres, selon une information de Politico [7].
Telle que rédigée, la proposition de la Commission induit que le nombre de modifications génétiques autorisées pour être en catégorie 1 s’applique à la plante entière, et donc à son génome entier. Mais quand on parle de génome, on parle d’une molécule d’ADN qui se compose de différentes séquences génétiques. Ces séquences peuvent être présentes en une seule copie, comme chez les micro-organismes par exemple. On parle alors de génome haploïde. Elles peuvent être présentes en deux copies, comme chez l’être humain par exemple. On parle alors de génome diploïde. Elles peuvent également être présentes en six copies, comme chez le blé. On parle alors de génome hexaploïde.
Quand la Copa-Cogeca et l’Espagne proposent que le nombre de modifications génétiques autorisées en catégorie 1 soit basée « sur le génome haploïde », elles proposent tout simplement que ce nombre puisse être mathématiquement multiplié par le nombre de copie de génome présent. Pour une plante diploïde, les 400 mutations vues plus haut deviendraient alors 800. Pour le blé, qui possède six copies de chaque séquence génétique, les 400 mutations deviendraient 6*400 = 2 400 mutations ! Dans le cas de la canne à sucre, cela pourrait aller jusqu’à multiplier par 10, voire 12.
Relisons la Commission, les 2 400 du blé seraient en fait… infinis !
Comme nous l’avons déjà vu, l’article 3 de la proposition faite par la Commission établit qu’un végétal serait définit NTG 1 s’il « remplit les critères d’équivalence avec les végétaux conventionnels énoncés à l’annexe I ». Mais il précise également que cette classification en catégorie 1 concernerait également « la descendance du ou des végétaux NTG visés au point a) [NDLR : la catégorie 1)], y compris la descendance obtenue par croisement de ces végétaux ». Croiser une plante parent NTG catégorie 1 avec une plante parent NTG catégorie 1 donnerait pour la Commission une plante fille NTG catégorie 1. Si chacune des plantes parents possède les 2 400 mutations vues au paragraphe précédent, la plante fille classée en catégorie 1 contiendra 4 800 mutations. Un croisement de cette plante fille avec une autre plante fille à 4 800 mutations donnera des plantes ayant 9 600 mutations (maximum), et ainsi de suite. Ces plantes sont des OGM à part entière.
Avec sa proposition sur les OGM/NTG et la fin des autorisations et autres évaluations des risques, les choses devraient donc être simples pour les multinationales. Il deviendrait légalement possible de toquer à la porte de l’Espagne, par exemple, avec un dossier simple : la conduite d’un essai en champs de blé déclaré de catégorie 1 selon le critère d’un maximum de 20 modifications génétiques mais avec en réalité 9 600 mutations (ou 19 200, 38 400 mutations…). Le probable aval de l’Espagne, qui n’effectuera qu’une simple vérification du dossier, vaudra dès lors non seulement pour la conduite de l’essai en champs, mais aussi pour toute commercialisation ultérieure dans l’Union européenne. Le tout, sans autorisation formelle, évaluation des risques, traçabilité et étiquetage. Pourquoi ? Car ce blé, avec ses milliers de mutations, serait légalement considéré comme « équivalent à un végétal conventionnel », donc sans risques supplémentaires, et, surtout, indifférenciables…
La banque de gènes du ou des sélectionneurs ?
Une autre manière d’élargir le nombre d’OGM déclarés NTG de catégorie 1 concerne les insertions de séquences. La Commission européenne a proposé qu’une modification génétique pourrait également être une « insertion ciblée d’une séquence d’ADN contigüe existant dans le pool génétique de l’obtenteur ». Dans le texte rendu public par Politico, l’Espagne propose d’amender cette phrase en écrivant une « insertion d’une séquence d’ADN continue existant dans le pool génétique des obtenteurs » [8]. La disparition proposée du terme « ciblée » impliquerait que les insertions de séquences n’auraient plus à être dans un lieu précis du génome. Une marge de manœuvre non négligeable pour les entreprises…
Surtout, l’Espagne propose de faire référence au fait que les séquences insérées et considérées comme donnant une plante NTG de catégorie 1 puissent être issues non plus du pool de gène du sélectionneur qui déposerait un dossier mais des sélectionneurs. Ainsi, toute entreprise pourrait se prévaloir de la présence de telle ou telle séquence dans le pool de gène de tous les sélectionneurs, et non pas uniquement le sien. Le « catalogue » de séquences insérables en devient dès lors beaucoup plus grand !
[1] European Commission, “Frequently asked questions: proposal on new genomic techniques”, question no. 4, July 5 2023.
[2] Translation by Inf’OGM – Copa-Cogeca, “Concerning the Commission’s proposal on plants obtained through certain new genomic techniques and food and feed derived therefrom, and amending Regulation (EU) 2017/625”, October 16, 2023
[3] European Commission, Article 3 of the “Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on plants obtained by certain new genomic techniques and their food and feed, and amending Regulation (EU) 2017/625”, July 5, 2023.
[4] Christophe Clergeau, “Nouveaux OGM – connaissance scientifique, que sait-on?” (talks are in english), October 26, 2023.
[7] « Politico Pro Morning Agriculture and food », Politico, November 20, 2023
[8] Ibid.