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Catalogne : les colzas OGM Clearfield n’ont pas de meilleurs rendements
En Espagne, l’Institut public d’agronomie Irta mène régulièrement des évaluations de plusieurs variétés de colza. Récemment, ils ont introduit dans leur évaluation des variétés de colza Clearfield, des variétés rendues tolérantes à un herbicide (VrTH) par mutagenèse in vitro. Résultat : ces OGM, cultivés commercialement en Europe hors du cadre légal, n’ont pas de meilleurs rendements que leurs homologues conventionnels.
La question des rendements en agriculture est toujours délicate à traiter. En effet, il y a deux notions proches qu’il faut bien séparer : le rendement et la rentabilité. Imaginons une plante OGM qui aurait un rendement supérieur de 10 % à son homologue non-OGM mais dont le coût de la semence serait de 20 % plus élevé, qu’en est-il alors de la rentabilité qui intègre tous les coûts et bénéfices liés à une production (cf. encadré sur l’échec du coton Bt en Inde) ? Par ailleurs, le calcul des rendements est souvent évalué en station, et non dans les champs cultivés. Or, le passage de la station expérimentale au champ entraîne souvent une perte importante de la valeur estimée dans les conditions idéales. Néanmoins, la question du rendement pur reste intéressante à regarder. Et elle revient régulièrement dans les débats sur les OGM ou les NTG.
Le colza Clearfield promu pour de meilleurs rendements
Clearfield est une marque de BASF que l’entreprise peut vendre à d’autres semenciers. Cette marque peut concerner plusieurs techniques d’obtention d’une variété (tournesol, colza, blé, riz, principalement) tolérant à des herbicides (imazamox). Dans le cas des colzas Clearfield, un rapport publié par l’Anses précise que la technique utilisée par BASF pour produire ses colza Clearfield est la mutagenèse in vitro. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), en 2018, a pris soin de préciser que les techniques de modification génétique principalement développées après 2001 donnent des OGM réglementés. Un second arrêt complémentaire de la CJUE rendu en 2023 fait l’objet d’interprétation toujours en cours, notamment de la part du Conseil d’état français dont la décision est encore attendue. Les colzas Clearfield sont donc bien des OGM mais la question de savoir s’ils doivent être réglementés comme tels est en attente de la réponse du Conseil d’état.
Au moment de l’arrivée des premiers colza Clearfield, BASF s’est, à plusieurs reprises, exprimée dans les journaux agricoles pour vanter sa technologie. On a pu ainsi lire BASF expliquer dans Terre-net.net que « Clearfield permet d’améliorer la compétitivité de la culture de colza par la réduction du nombre d’interventions herbicides de 35 %, une économie moyenne de 20 % en coût de désherbage et l’exploitation du potentiel maximum de la variété qui se traduit par une augmentation de rendement de 10 % d’après nos essais »i. Ou encore : « les agriculteurs ayant déjà testé les variétés Clearfield ont réduit en moyenne leur Ift [indicateur de fréquence de traitement] herbicide de 33 % et le nombre de produits utilisés de 51 %, […] Le nombre de passages se réduit à 1,3 en moyenne, contre 1,9 en désherbage classique. Enfin, toujours comparé à une solution classique, il procure un gain de rendement de 3,2 à 4,2 q/ha, jusqu’à 5,9 q/ha face à un témoin »ii.
Sophie Babinet, responsable régionale de la stratégie marketing de BASF, indiquait +10% de rendement pour les colzas Clearfield « en comparaison à une solution prélevée en conditions similaires ». Cette hausse de rendement absorbe , souligne-t-elle, le surcoût lié aux semences, qui, « selon les variétés, oscille entre 10 et 20 euros/ha », précise Jérôme Brun, en charge des relations avec les semenciers pour BASF Agro. Le coût du traitement herbicide serait quant à lui comparable au coût de traitement avec des solutions traditionnelles en cas de flore difficileiii.
Amélie Lavoisier, journaliste pour Circuits Cultures, se demande donc légitimement pourquoi avec de tels résultats cette technologie, « sur le marché depuis 2012 et sans concurrence directe, n’atteint pas une plus grande part de marché au regard des 500 000 ha potentiels ». La réponse de BASF est en deux temps : d’une part, « cette technologie change fondamentalement les pratiques des agriculteurs, en introduisant plus d’agronomie et de raisonnement », mais également car « le climat d’opposition liée à la technique de mutagenèse, pourtant largement répandue en agriculture y compris biologique, ne favorise pas l’essor que devrait avoir cette solution »iv.
Nous ne reviendrons pas sur la deuxième « raison » de cet essor en berne, sauf pour rappeler que dans le cas précis du colza Clearfield de BASF, contrairement à ce que l’entreprise sous-entend, il n’est pas utilisé en agriculture biologique puisque modifié génétiquement pour tolérer des herbicides chimiques. Quant à la première partie de la réponse, elle a un petit côté méprisant pour les agriculteurs… Mais surtout, BASF ne détaille pas que les agriculteurs ont également compris rapidement que les colza Clearfield pouvaient être problématiques du fait des repousses de colza VrTH d’une année sur l’autre et des adventices (ravenelle, moutarde sauvage, etc.) devenues résistantes à cet herbicide. Une crainte évoquée sur le forum Internet d’agriculteurs dès les premiers semis de colza Clearfieldv. Et Arvalis titrait un de ses articles : « consommez les inhibiteurs d’ALS [NDLR : dont l’imazamox fait parti] avec modération »vi du fait de l’apparition rapide de résistance chez plusieurs adventices.
Des rendements remis en question
Ces améliorations du rendement de ces colza Clearfield, promises par BASF, ont été mises à mal par plusieurs rapports publiés par l’Irtavii, l’Institut public catalan de recherche en agro-alimentaire et en technologie. En 2023, l’Irta a publié les résultats de son évaluations de huit variétés de colza, dont trois était des variétés Clearfield (Vestal CL, Inv1266 CL, DK Imove CL)viii. Cette évaluation a été menée sur trois années (2021, 2022 et 2023ix) dans le district de Girona, en Catalogne espagnole. La conclusion est claire : « les résultats indiquent que leur production [celle des variétés CL] est similaire ou légèrement inférieure à celle des principaux hybrides conventionnels ». Les différences restent globalement assez faibles. Au final, aucune variété, ni hybride ni Clearfield, n’a dépassé les rendements du témoin ES IMPERIO (cf. tableau ci-dessous).
Variété | Obtenteur | Index de production (en %) (3 essais : 2021, 2022, 2023) | Index de production (en %) (2 essais : 2022, 2023) |
---|---|---|---|
ES Imperio (témoin) | Lidea Seeds | 100 | 100 |
Hillico | Florimond Desprez | 88,8 | 88,2 |
Melodie | ID Grain | 89,1 | 84 |
Architech | LG Seeds | 86,4 | 84,7 |
RGT Jakuzzi | RAGT | 85,8 | 82,2 |
Vesta CL | Mas Seeds | 91,8 | 90,4 |
Inv1266 CL | BASF | 90,9 | 89,9 |
DK Imove CL | Bayer / Delkab | 81,6 |
Une évaluation précédente sur quatre campagnes (2018 – 2021), publiée en 2021 et réalisée également par l’Irta, donnait les mêmes résultats. Cet institut avait déjà évalué 39 variétés de colza, dont plusieurs CLx (Carlton CL, Clavier CL, Dax CL, DecibelL CL, DK Implement CL, DK Importer CL, Inv1266 CL, Nizza CL, PT279CL et Vestal CL). Aucune variété CL n’arrive en tête du classement en terme de rendement. Dans cette évaluation, la variété témoin était déjà ES Imperio, car elle est actuellement largement cultivée dans la région de Girona (Catalogne). Et les chercheurs soulignent également que « si l’on considère la série triennale, les variétés conventionnelles (ES IMPERIO, HILLICO, DIFFUSION, SY FLORIDA, ES CESARIO, DK EXPRESSION, MELODIE, RGT JAKUZZI et ES AMADEO) ont en moyenne surpassé les ‘Clearfield’ (DK IMPLEMENT CL, CARLTON CL et DECIBEL CL) d’environ 13 % (643 kg/ha) ».
Interrogé par Inf’OGM, l’un des responsables de ces rapports, Joan Serra, nous précise que ces essais ont été fait « dans un scénario où les mauvaises herbes ont été contrôlées ». Dans les essais, les mauvaises herbes ont été éliminées dans les différentes parcelles avec le même herbicide, du métazachlore, comme nous le précise ce chercheur. Questionné sur la présence importante ou non de crucifères difficiles à contrôler dans les parcelles, il répond : « Nous n’avons pas testé de stratégies de contrôle des mauvaises herbes, mais comparé différentes variétés. Il s’agit d’essais d’évaluation de variétés et non de comparaisons de stratégies herbicides ». De même, à la question de savoir si, en cas de forte infestation d’adventices de la famille des crucifères, les variétés CL auront un meilleur rendement que les autres variétés conventionnelles, il précise : « c’est probable, à condition qu’un contrôle satisfaisant de ces adventices soit obtenu – ce n’est pas toujours le cas ».
Les variétés Clearfield, comme les autres variétés rendues tolérantes à des herbicides, peu importe la technique (modification génétique ou sélection conventionnelle), ont été mises au point pour faciliter le travail des agriculteurs (gestion des herbicides facilitée dans un premier temps) et pour « être cultivés dans des parcelles avec le problème de la présence de graminées résistantes aux principaux herbicides autorisés en culture, mais sensibles à l’Imazamox, comme peuvent l’être de nombreuses espèces de la famille des crucifères ». C’est une solution technique qui permet à l’agriculteur de sortir un peu la tête de l’eau, mais rapidement cela fonctionne plus, ou moins bien… et le semencier proposera une nouvelle solution technique… et ainsi de suite. Les VrTH sont une simple fuite en avant techniciste qui engendrent autant de problèmes qu’elles en résolvent. Il existe par ailleurs d’autres façons d’envisager la « lutte » contre les adventices de la famille des crucifères : des rotations beaucoup plus longues, des faux-semis systématiques, le désherbage mécanique (bineuse, herse, étrille)xi.
Echec du coton Bt en Inde
Un récent article scientifique, paru dans Environmental Sciences Europe en 2023xii, montre l’échec du coton Bt en Inde. L’Inde se classe en bas du classement en terme de rendement en kg/ha du coton. L’Australie a une moyenne annuelle nationale de 2011 kg/ha, la Chine de 1844 kg/ha… et l’Inde est à seulement 466 kg/ha.
Les auteurs notent tout d’abord que le coton Bt, transgénique, a engendré des problèmes importants de résistance aux toxines insecticides produites par cette plante, développée par le principal ravageur du coton, à savoir le ver de la capsule rose (Pectinophora gossypiella). La conséquence immédiate de cette résistance est une augmentation nécessaire des quantités d’insecticides chimiques utilisées. Ces insecticides provoquent, selon les chercheurs, des perturbations écologiques et des épidémies de ravageurs secondaires très destructeurs.
Deuxième problème identifié par les chercheurs, la difficulté technique a réutiliser les semences d’une année sur l’autrexiii. Ils écrivent : « bien que le coton hybride produise des semences fertiles, les phénotypes des plantes qui en résultent sont très variables, ce qui empêche les agriculteurs de replanter les semences conservées, les obligeant à acheter des semences chaque année ». Enfin, à ces problèmes techniques, il faut ajouter le coût élevé des semences hybrides. Ce coût induit des cultures de plus faible densité, ce qui limite le potentiel de rendements. Pour les auteurs, ce « système » est donc qualifié de « sous-optimal ».
Les auteurs rappellent qu’il existe en Inde des variétés non hybrides, non Bt, pour des semis haute densité (HDxiv) et sur une saison plus courte (SS pour short season). Ces variétés, ainsi que des variétés indigènes, sont développées par l’Institut Central pour la Recherche sur le Coton (CICR), mais elles n’ont jamais été valorisées, défendues. Ils écrivent que ces variétés « peuvent potentiellement produire plus du double du rendement par rapport au système actuel de coton pluvial hybride Bt à faible densité. Bien que le taux de semis 7,5 fois plus élevé pour le coton HD-SS non hybride (dont le coût des semences pour un hectare est de 7,5 dollarsxv) augmente les coûts de semences à ~ 56 $/ha, cela serait compensé par des rendements plus élevés, l’évitement des infestations printanières de Pectinophora gossypiella, la réduction de l’accumulation des ravageurs de fin de saison (dont Helicoverpa armigera), la réduction des coûts de lutte contre les ravageurs et des dommages causés par ces derniers, la synchronisation de la maturité pour la récolte, la conservation des semences pour la replantation, l’augmentation des bénéfices et la facilitation de la production biologique ». Ils ajoutent également que « bien sûr, des variétés hybrides HD-SS Bt à haut rendement ont également été développées, mais aux prix actuels des semences hybrides, les taux de semis multipliés par 7,5 coûteraient environ 236 $/ha (c’est-à-dire 31,50 $ × 7,5) sans augmentation proportionnelle du rendement, et la technologie hybride empêcherait la conservation des semences pour la replantation. En raison de ses propriétés d’évitement des ravageurs, la plantation à grande échelle de coton pluvial non hybride HD-SS rendrait la technologie Bt largement inutile, comme cela a été démontré dans le coton désertique irrigué en Californie où les variétés non hybrides de ligne pure HD-SS combinées à une récolte et un labour précoces ont perturbé l’hivernage du [Pectinophora gossypiella], sauvant ainsi l’industrie du coton des ravages de ce ravageur envahissant ».
Les auteurs concluent donc que « les économistes agricoles n’ont pas reconnu l’obsolescence inhérente au concept du Bt dans les conditions indiennes, car la résistance aux toxines du Bt a rapidement évolué chez Pectinophora gossypiella, augmentant les coûts, la détresse économique et la dépossession systématique des ménages pauvres en ressources, ainsi que l’appropriation de leurs maigres ressources par d’autres acteurs économiques. […] Les cultivateurs de coton indiens ont payé une prime pour une technologie hybride qui est un mécanisme de capture de la valeur protégeant les DPI et les profits de l’industrie des semences – la situation économique des agriculteurs pauvres semble avoir été considérée comme un dommage collatéral ».
i HB, « Les agriculteurs satisfaits par les variétés Clearfield », Terre-net, 30 juillet 2015.
ii Mathilde Carpentier, « Les colzas Clearfield commencent à se déployer aux prochains semis », Terre-net, 18 juillet 2013.
iii Amélie Lavoisier, « BASF Agro veut doubler les surfaces de Clearfield », Circuits culture, 17 avril 2015.
iv Ibid.
v Forum « Colza Clearfield » sur Tema Agriculture et Terroir.
vi Arvalis, « ARVALIS-CETIOM infos – CEREALES / Gestion des herbicides : consommez les inhibiteurs d’ALS avec modération », 9 novembre 2011.
vii L’Institut de Recerca i Tecnologia Agroalimentàries.
viii Joan Serra et al., « Resultats de les colzes clearfield a l’interior de Girona », Extensius.cat, 30 août 2023.
ix La variété DK Imove CL n’a été testée que sur deux années.
x Joan Serra et al., « Varietats de colza. resultats comarques gironines », Extensius.cat, 28 juillet 2021.
xi Fanny VUILLEMIN et Franck DUROUEIX, « Lutter contre les crucifères en colza », Terres Inovia, 2 juillet 2020.
xii Gutierrez, A.P., Kenmore, P.E. & Ponti, L., « Hybrid Bt cotton is failing in India: cautions for Africa », Environ Sci Eur 35, 93 (2023).
xiii En Inde, comme ailleurs, resemer des plantes OGM est interdit mais les auteurs soulignent : « dans les pays développés, les grandes exploitations sont la norme, et l’application des DPI contre la réutilisation de semences transgéniques fertiles de lignée pure se fait par des moyens légaux. Toutefois, en Inde, les millions de petites exploitations agricoles rendent les recours juridiques peu pratiques ».
xiv On parle de 150 000 graines/hectare pour la haute densité et 20 000 graines/hectare dans l’autre configuration. C’est donc 7,5 fois plus de semences à l’hectare dans le cas d’un semis haute densité.
xv Le prix en semence d’un hectare de coton hybride Bt est de 31,50 dollars.