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Burkina Faso – 10 000 moustiques OGM bientôt disséminés
L’Agence nationale de biosécurité du Burkina Faso a donné son accord, le 10 août 2018, à un lâcher « expérimental » de 10 000 moustiques génétiquement modifiés et stériles dans l’un des villages de la commune de Bobo-Dioulasso. Cette dissémination est une nouvelle étape dans un long processus porté par le consortium Target Malaria, débuté en 2005, dont l’objectif est l’éradication des moustiques Anopheles gambiae qui transmettent le paludisme. Concrètement, ce lâcher imminent, sans que la date ne soit encore déterminée, vise, officiellement, à acquérir des connaissances et à créer une synergie entre les différentes équipes du projet. Il n’aura aucune conséquence à court terme sur la population de moustiques.
Target Malaria est un consortium qui réunit actuellement 130 personnes de 14 institutions de différents pays, financé par la Fondation Bill & Melinda Gates et Open Philantropy Project Fund à hauteur de 75 millions de dollars (mais d’autres subventions sont attendues pour ce projet au long cours) [1]. Le projet vise à mettre au point des moustiques mâles, fertiles et génétiquement modifiés. Deux stratégies sont actuellement proposées : soit des moustiques dont la progéniture serait majoritairement mâle, soit des moustiques qui transmettent aux femelles, avec lesquels ils s’accouplent, un gène qui désactive des gènes essentiels à la fertilité. Dans les deux cas, il s’agit de forçage génétique (gene drive en anglais). Cette technologie force les lois de l’hérédité mendélienne, avec des descendants des moustiques disséminés portant majoritairement la modification génétique… Dans les deux cas, le but est une réduction drastique du nombre des moustiques et donc du vecteur du paludisme. Pour le professeur Diabaté, chercheur principal du projet, « Target Malaria cherche à mettre au point une technologie « autonome », dans laquelle la modification serait transmise d’une génération de moustiques anophèles à l’autre ; ainsi, il ne serait pas nécessaire de réintroduire aussi souvent des moustiques en grand nombre et à intervalles réguliers. Cela est plus approprié aux caractéristiques géographiques du paludisme ».
Mais, comme nous le précise Delphine Thizy, salariée du projet Target Malaria depuis 2014, ces moustiques génétiquement forcés (gene drive) ne sont pas encore prêts à être disséminés, et les populations locales pas encore prêtes à les recevoir. Le travail fonctionne donc en étapes.
Un premier lâcher sans aucun impact sur la réduction du palu
La prochaine étape, imminente, consistera en un lâcher d’un maximum de 10 000 moustiques transgéniques stériles. Concrètement, ce moustique a été modifié pour produire une enzyme qui « cible un site spécifique sur le chromosome X et le découpe en morceaux, rendant le mâle stérile. Il en est de même lors de la fertilisation de l’œuf de sorte que les œufs pondus par les femelles inséminées par ce mâle sont non viables. À ce stade, la transmission de l’enzyme aux générations suivantes de moustiques est impossible, étant donné que les œufs ne peuvent pas se développer. Ce gène est associé à des marqueurs génétiques fluorescents qui permettent d’identifier les moustiques modifiés », nous explique le professeur Diabaté. Ce n’est pas la même modification que celle déployée par Oxitec, qui a modifié génétiquement le moustique mâle Aedes aegypti qui, lorsqu’il s’accouplera avec une femelle sauvage, engendrera une progéniture stérile. Mais à cette étape-là, la stratégie est proche : il s’agit d’un lâcher de mâles stériles. Une stratégie qui ne fonctionne pas de façon autonome car il faut relâcher en permanence des moustiques modifiés. Il s’agit d’une étape qui, nous précise Delphine Thizy, n’aura aucun impact sur le paludisme, car 10 000 moustiques stériles ne peuvent pas être compétitifs face aux quelque 300 à 500 000 moustiques sauvages mâles [2] présents au même moment et ils ne persisteront pas dans l’environnement. Ces moustiques ont été obtenus à partir d’œufs importés au Burkina Faso, en novembre 2016. Ils ont été fécondés et élevés dans un laboratoire et un insectarium rénovés entièrement de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS), à Bobo-Dioulasso.
Malgré l’absence d’impact sur la transmission de la maladie, Target Malaria considère cette étape comme très importante. Selon D. Thizy, elle permet de créer des synergies entre les différentes équipes, au Royaume-Uni, en Italie, au Burkina Faso, au Mali, et en Ouganda, de renforcer leur capacité technique sur le terrain, d’acquérir de nouvelles connaissances (Comment ces moustiques vont-ils survivre à l’extérieur ? Quels comportements auront-ils ? Jusqu’où vont-ils voler ? Vont-ils aller dans les essaims, attirer des femelles ?), de travailler avec les responsables politiques (notamment l’Agence nationale de biosécurité) et les communautés. Cette étape vise autant l’acquisition de connaissance que l’acceptabilité sociale de cette technologie.
Et, cette étape permet aussi d’y aller doucement avec la population. En amont du lâcher, Target Malaria a organisé de nombreux débats dans les villages, en plénière ou par groupe (femmes, éleveurs, religieux, etc.). Delphine Thizy nous assure que « tout le monde a pu participer. Des réunions d’informations sur les moustiques et le paludisme, des réunions autour de la collecte de moustiques dans les maisons, puis des réunions sur le travail de modification génétique pour obtenir le mâle transgénique stérile. D’après notre interlocutrice, il y a eu beaucoup de réunions, « une ou deux fois par mois les premières années, et plus le projet avançait, plus les réunions étaient fréquentes. Certaines réunions ont réuni des centaines de personnes mais d’autres réunions, plus ciblées (celles avec les chefs locaux ou la société civile au niveau national) n’ont réuni que quelques dizaines de personnes. Vraiment, notre travail de consultation du public a été fait de façon sérieuse et en mobilisant de façon très large ». Et depuis un an, un salarié du projet vit à Bana, l’un des trois villages prévus pour la dissémination, et sensibilise la population au quotidien : « Il fait presque du porte à porte ».
Le but de ce travail de vulgarisation et de sensibilisation est d’obtenir un « consentement » signé. Plusieurs consentements ont été recherchés : de la part des voisins de l’insectarium à Bobo-Dioulasso pour l’importation des moustiques pour utilisation en milieu confiné ; et de la part des villageois pour la collecte de moustiques dans les maisons et dans l’espace public et pour le lâcher des 10 000 moustiques. Inf’OGM a demandé à recevoir ces consentements, pour le moment en vain. Interrogé sur le statut de ces documents, Target Malaria nous répond : « Les formes de consentement sont la propriété d’IRSS. Le problème pour celles qui sont signées est qu’il nous faudrait aller demander l’accord aux communautés (ou en tous cas à leurs représentants signataires) pour rendre cela public dans un media. Les protocoles d’éthique qui sont en place pour la recherche au Burkina (tout comme les autres pays) sont très stricts en ce qui concerne la confidentialité des informations personnelles et donc avant de rendre public les noms nous devons demander l’autorisation aux personnes qui sont sur ces documents ». Une demande a donc été faite auprès de l’IRSS récemment [3]. Ce qu’il faut noter, c’est que le consentement pour le lâcher n’est pas individuel, contrairement à celui lié à la collecte des moustiques. Ce consentement-là a été signé par un groupe censé représenter la communauté et composé du chef du village, et d’un représentant des différentes composantes (une femme, un religieux, etc.).
Tapsoba Ali de Goamma, un des responsables du Collectif citoyen pour l’agro-écologie (CCAE), a rencontré les villageois de Bana avec d’autres membres de la coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen). Il précise à Inf’OGM que le consentement a été donné par un petit groupe, de 5 à 10 personnes, composé de chefs de village, de leaders paysans, de religieux, totalement acquis à la cause de Target Malaria.
Un gros travail d’acceptabilité sociale
Target Malaria a travaillé à partir de 2017 avec les linguistes et les communautés pour expliquer avec « des mots suffisamment neutres » ce qui était prévu. Le consortium a donc au final rédigé un glossaire dans les trois pays (en dioula au Burkina, en bamanakan au Mali, et en luganda en Ouganda) pour les termes scientifiques. Mais Tapsoba Ali de Goamma nous précise que « Target Malaria a abusé de l’analphabétisme des communautés locales. Le mot « OGM », difficilement traduisible dans nos langues, a été soigneusement évité. Et comme avec l’échec du coton Bt le vocable OGM n’était plus le bienvenu, alors Target Malaria a seulement parlé de moustiques transgéniques, un vocabulaire nouveau et méconnu des villageois ».
Sur la base de ce travail linguistique, ont été développés des visuels (13 pour le milieu confiné, 22 pour le lâcher) qui servent de support aux discussions dans les villages. D’ailleurs, un audit a été réalisé en interne [4] afin de déterminer le niveau de compréhension, quelles parties prenantes ont été engagées, comment la communauté va être impliquée dans le suivi des activités, etc. Et cet audit, nous précise-t-on, « n’est pas public car il s’agit d’un document interne d’évaluation donc non destiné à être partagé ». Dommage. Enfin, l’équipe en charge de la communication finalise aussi des vidéos en langue locale sur les techniques de recapture de moustiques.
Selon un article publié dans Le Monde [5], tous les villageois ne semblent pas aussi convaincus par la démarche. Ainsi, l’article cite une femme qui « se demande comment ils pourront capturer les moustiques modifiés une fois lâchés s’il y a un problème. (…) De toute façon, on n’a pas notre mot à dire, ce sont les hommes qui prennent les décisions ici ». Et Omar Karambiri, instituteur à Sourkoudiguin, déclare, toujours dans ce même article : « la manière dont ils sont venus nous expliquer l’étude m’a laissé perplexe. C’est un sujet que nous ne maîtrisons pas, je pense que les habitants ne comprennent pas tout, on leur a dit que c’est pour éradiquer le paludisme, alors ils se sont jetés la tête la première dans le projet ».
Delphine Thizy reconnaît qu’au niveau local, les discussions avec les communautés et autres parties prenantes « sont ouvertes à tous » mais qu’ils n’invitent « pas spécifiquement de personnes critiques ». Autrement dit, les réunions d’information sont réalisées par les personnes du projet, et sans débat contradictoire.
D’ailleurs, nous précise encore Delphine Thizy, le Consortium était prêt à importer les premiers mâles stériles il y a deux ans, mais un audit (lui aussi gardé secret) a révélé que le niveau d’engagement de la population au niveau national était trop faible et l’importation a été repoussée de quelques mois jusqu’à ce que cet engagement ait lieu (l’importation a eu lieu en novembre 2016). Elle nous soutient que leur but n’est pas de faire contre les populations mais avec. Et qu’ils sont prêts à attendre, « dans le cas où les populations locales refusent cette activité, ce qui aujourd’hui n’est pas le cas » ; car il faut que le projet soit bien compris, bien discuté et accepté.
Cependant, Ali Tapsoba considère, lui, que la majorité des villageois restent sceptiques. Il nous raconte d’ailleurs qu’un chef de village a demandé à la Copagen, dans une lettre qu’Inf’OGM s’est procurée, de ne pas publier les enregistrements audio et vidéo des échanges.
La Copagen se mobilise
La Copagen [6], a, à plusieurs reprises, exprimé ses doutes sur cette expérimentation à ciel ouvert. Récemment, au cours d’un point presse organisé à Ouagadougou, ses membres se demandaient « quelles seraient les conséquences si une femelle génétiquement modifiée, malgré toutes les précautions, piquait un malade du paludisme et le transmettait à d’autres sujets au sein de la population ? », « quelle serait la nature de la descendance des femelles génétiquement modifiées qui s’accoupleraient avec des mâles non stériles ? » [7]. Ils n’ont pas obtenu de réponses satisfaisantes de la part des responsables du projet ou des autorités politiques. Et le Collectif citoyen pour l’agro-écologie (CCAE) a organisé le 2 juin 2018 une manifestation à Ouagadougou qui a réuni plus d’un millier de personnes pour dénoncer le projet Target Malaria. Le porte-parole du collectif, Ali Tapsoba [8], considère que « il y a beaucoup de doutes » et refuse que la population soit « utilisée comme des cobayes ». Quant à Blandine Sankara [9], coordinatrice de la manifestation, elle considère que « les Burkinabés sont mal informés, [et qu’il] n’y a pas eu assez de vulgarisation ni de sensibilisation autour du projet ».
[1] L’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS), qui gère le projet au Burkina, est une institution publique. Mais elle reçoit les financements du projet Target Malaria pour la conduite des activités dans le cadre du consortium de recherche à but non lucratif. Ce financement couvre des salaires de l’équipe, le matériel, l’infrastructure, etc. liés aux activités directes de ce projet.
[2] Oxitec dissémine en permanence des millions de moustiques stériles, avec des résultats très modestes au regard du travail et des coûts de gestion de ces moustiques.
[3] Nous avons préféré publier sans attendre leur réponse mais nous serons vigilants à vous faire part de la suite de cette démarche.
[4] Le dernier audit (préalable à la demande d’autorisation du lâcher) a été mené par une personne du MRTC (Mali) impliquée dans le projet, une experte extérieure spécialisée dans les questions de performance sociale et d’engagement et Delphine Thizy.
[5] « Des moustiques OGM contre le paludisme : le projet qui fait débat au Burkina », Le Monde, 29 juin 2018.
[7] « Moustiques OGM au Burkina : la demande de la Copagen« , Burkina24, 5 avril 2018.
[8] Invité à parler de ce thème dans un forum de l’Onu, le Canada a refusé de lui accorder un visa : https://twitter.com/GRAIN_org/status/1014808104276353025
[9] Sœur de Thomas Sankara, l’ex président assassiné en 1987.