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Brésil – Un brevet de Monsanto sur un soja OGM contesté
Les producteurs de soja du Mato Grosso, premier état brésilien producteur de cette légumineuse, s’opposent au brevet de Monsanto sur le soja transgénique Intacta RR2 PRO, qui couvre environ les deux tiers des cultures de soja au Brésil [1]. En janvier 2018, l’Office des brevets brésilien a préconisé l’annulation de ce brevet. Et le 3 juillet 2018, un juge fédéral a ordonné à Monsanto de verser sur un compte de séquestre les royalties perçues sur le soja breveté en attendant la décision finale de la Cour fédérale.
Octroyé en 2012 par l’office brésilien des brevets à Monsanto, le brevet sur le soja transgénique Intacta RR2 PRO [2] est valide jusqu’en 2022. Ce soja fait partie des 41 % des plantes transgéniques mondiales modifiées pour avoir à la fois un caractère de tolérance au Roundup et un caractère de production d’un insecticide Bt [3]. Pour Brett Begemann, président et directeur commercial de Monsanto, l’autorisation de la culture commerciale de ce soja en 2013 au Brésil a été une « étape importante pour les agriculteurs brésiliens et notre entreprise » et « illustre la prochaine vague d’innovation qui devrait conduire à la décennie du soja pour Monsanto ». Plus encore, « l’introduction de Intacta RR2 PROTM offre un nouveau choix dans la lutte contre les insectes et le confort des agriculteurs brésiliens, et crée l’opportunité d’étendre notre plateforme soja au fur-à-mesure que nous accélérons l’innovation dans cette culture » [4]. Pour Monsanto, l’autorisation commerciale de culture au Brésil devait être un catalyseur pour le lancement du soja Intacta RR2 PRO dans toute l’Amérique du Sud.
Saisine de la Cour fédérale de l’état du Mato Grosso
Depuis 2013, la culture du soja transgénique Intacta RR2 PRO est effectivement devenue importante au Brésil, et plus largement en Amérique du Sud. Selon Rodrigo Santos, directeur général des opérations de Monsanto en Amérique du Sud, en 2017, près de 170 000 agriculteurs brésiliens ont cultivé du soja transgénique Intacta. En Amérique du Sud, la culture de ce soja représente 22 millions d’hectares, toujours selon Rodrigo Santos [5].
Mais si les agriculteurs brésiliens cultivent le soja Intacta RR2 Pro, ils sont beaucoup moins enclins à accepter le brevet qui couvre ce soja transgénique et qui les contraint depuis 2013 à payer des royalties à Monsanto [6]. Et ce d’autant plus qu’ils considèrent que ce brevet n’aurait jamais dû être accordé. Ils estiment en effet que le brevet de Monsanto ne respecte pas un certain nombre de conditions stipulées par la loi brésilienne sur la propriété industrielle. D’où la saisine de la Cour fédérale de l’état du Mato Grosso, par Aprosoja (association des producteurs de soja et de maïs du Mato Grosso), afin d’obtenir l’annulation du brevet de Monsanto sur le soja Intacta RR2 PRO.
Aprosoja, qui collecte les royalties dues à Monsanto auprès des agriculteurs [7], met en cause le brevet sur le soja Intacta sur plusieurs points. Selon l’association d’agriculteurs, le brevet ne respecterait pas la condition de l’activité inventive. L’avocat de l’association d’agriculteurs, Sidney Pereira de Souza, explique ainsi que « l’entreprise n’a fait rien d’autre que combiner des technologies existantes à l’époque, et qui étaient déjà connues des producteurs et des scientifiques. C’est insuffisant pour pouvoir prétendre à un brevet devant l’INPI (NDLR. Office brésilien de la propriété intellectuelle) » [8].
Par ailleurs, toujours selon Aprosoja, l’invention ne serait pas décrite de manière assez précise. En effet, en droit des brevets, la divulgation de l’invention est présentée comme la contrepartie du monopole temporaire conféré par le brevet à celui qui le détient. Or, souligne Aprosoja, la description du brevet de Monsanto n’est pas suffisamment précise et empêche les autres entreprises de s’approprier la technologie brevetée quand le brevet arrivera à expiration. Une manière de maintenir le monopole sur l’invention brevetée au-delà de la période de validité du brevet…
Quand l’Office brésilien de la propriété intellectuelle se désavoue
La Cour fédérale du Mato Grosso n’a pas encore rendu sa décision finale. Mais en attendant, Aprosoja a déjà trouvé un allié inattendu dans l’Office brésilien de la propriété intellectuelle, qui est co-défendeur dans cette affaire, et qui a délivré le brevet sur le soja Intacta de Monsanto. Dans un avis technique transmis à la Cour fédérale en janvier 2018, l’Office a en effet curieusement déclaré qu’il n’était pas possible de reconnaître l’activité inventive de l’invention, et qu’il y aurait donc lieu d’annuler le brevet de Monsanto.
L’entreprise compte cependant bien défendre son brevet. Dans une communication, elle explique que l’avis technique de l’Office de la propriété intellectuelle est en contradiction avec l’analyse rigoureuse réalisée par ce même Office et aux termes de laquelle son brevet a été délivré. « Par conséquent, ce brevet pour la technologie INTACTA RR2 PRO® a suivi les règles d’examen les plus strictes et toutes les exigences de brevetabilité ont été dûment respectées », estime Monsanto.
Des royalties sous séquestre
Les ventes de semences du soja Intacta rapporteraient chaque année 2,6 milliards de reales de royalties (615 millions d’euros) [9].
Mais l’entreprise ne touchera pas les royalties liées au brevet sur le soja Intacta pendant un moment. Car le 3 juillet 2018, un juge fédéral a ordonné à Monsanto de verser ces royalties sur un compte de séquestre en attendant la décision finale de la Cour fédérale du Mato Grosso, ce qui peut encore durer des années. Antonio Galvan, le président de Aprosoja, considère qu’il s’agit d’une première et importante victoire [10].
Si la Cour fédérale annulait le brevet de Monsanto, cette décision n’aura d’effet que sur le brevet brésilien de l’entreprise sur la technologie Intacta RR2 PRO. Les brevets que détient Monsanto dans d’autres pays, notamment en Argentine, resteront en place. Il n’en reste pas moins que cette affaire offre une nouvelle illustration des relations tumultueuses entre Monsanto et les agriculteurs des pays d’Amérique du Sud, du Brésil et d’Argentine spécialement, qui sont pourtant parmi les principaux producteurs d’OGM [11] [12].
[1] Estimation Aprosoja
[2] Le soja GM est une plante empilée : MON87701 x MON89788. Cette plante est donc autorisée à l’importation dans l’Union européenne.
[3] Selon l’Isaaa, 47 % des plantes transgéniques ont le seul caractère de tolérance à un herbicide et 12 % le seul caractère de production d’un insecticide.
[4] Monsanto, News release, Monsanto Company Receives Final Key Regulatory Approval For Intacta RR2 PRO™ Soybeans, Setting Up Commercial Launch In Brazil, Juin 2013.
[5] Monsanto will prevail in Brazil patent dispute, South American CEO says, Reuters, Décembre 2017.
[6] , « Brevets interdits : Monsanto encaisse quand même », Inf’OGM, 5 mars 2018
[7] Le paiement des droits de licence peut se faire de trois manières : via l’achat de semences certifiées, via une sollicitation de Monsanto en cas de semences de ferme ou au moment de la livraison de la récolte.
[8] Brazil soy farmers challenge Monsanto’s Intacta soy patent, Agricensus, Janvier 2018.
[9] Monsanto pode perder R$ 2,6 bi por ano do Brasil, Exame, Janvier 2018.
[10] Justiça concede liminar à Aprosoja em ação contra Monsanto, Aprosoja, 4 juillet 2018.
[11] , « OGM en Argentine : l’enfer du décor », Inf’OGM, 18 décembre 2014
[12] , « BRESIL – La justice refuse à Monsanto le droit de prélever des royalties sur le soja OGM », Inf’OGM, 27 avril 2012