n°113 - novembre / décembre 2011Interview / débat contradictoire

Regards croisés : FNE et Générations Futures se prononcent sur la représentativité

Par Inf’OGM

Publié le 17/11/2011

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Au cœur de l’été, la publication de cinq décrets a fait beaucoup de bruit dans le monde des associations de protection de la nature et de l’environnement (APNE) (1). Ces textes conditionnent la possibilité pour ces associations de participer au débat au sein d’instances consultatives, en précisant les conditions d’obtention de l’agrément et les critères de représentativité. Pour comprendre cette réforme et en démêler les avancées et limite, Inf’OGM a interrogé deux associations, France Nature Environnement (FNE) ET Générations Futures, d’abord séparément, puis les a fait réagir sur chacune de leurs réponses respectives.

Quelle est la genèse de cette réforme et en quoi consiste-t-elle ?

Bruno Genty, Président de FNE – La réforme de l’agrément et représentativité des APNE est un des engagements du Grenelle, pris en 2007. FNE, avec d’autres associations et fondations, a participé à ce processus, notamment au sein du groupe 5 sur la gouvernance, groupe dont le travail a permis de nombreuses réformes importantes (par exemple, l’insertion d’un pilier « environnement » dans le CES qui est devenu en 2010 le CESE (Conseil Économique, Social et Environnemental) et les CESE Régionaux). Si les différents acteurs s’accordent sur l’intérêt et l’importance du dialogue environnemental initié avec le Grenelle, ce dernier a mis en évidence la faible structuration du milieu associatif environnemental : les associations éparpillées devaient faire face à d’autres représentants très structurés tels que les syndicats patronaux. De fait, plusieurs autres organisations participant au Grenelle ont demandé qui étaient les associations environnementales et ce qu’elles représentaient.

Le principe de la réforme a été discuté une première fois au moment du Grenelle. Le contenu du futur décret a également été discuté avec les structures concernées, interrogées par le ministère de l’Environnement. La publication de ces textes n’était donc pas une surprise. Au contraire, le texte final du décret est moins exigeant que celui issu des discussions du Grenelle (2).

En définitive, cette question de la représentativité, avec toutes les complexités qu’elle comporte, souligne l’extrême fragmentation du mouvement associatif français, laquelle ne favorise pas un rapport de force en sa faveur lors des grandes négociations. Cela étant dit, la partie du décret relative à l’agrément pose quelques difficultés en particulier pour les associations infra-départementales. Enfin, il faut bien intégrer que le décret n’aborde pas la question essentielle du statut du responsable associatif bénévole ni celui, tout aussi important, du statut des lanceurs d’alerte. Ce n’est pas sa vocation mais ces deux points font partie de nos revendications sur lesquelles nous attendons des réponses.

Nadine Lauverjat, salariée de Générations Futures

Générations Futures ne faisait pas partie des associations présentes dans les discussions du Grenelle sur ce sujet. C’est par le biais de l’Alliance pour la Planète et d’Écologie sans Frontière, qu’elle a été alertée, après le Grenelle, des discussions en cours sur la représentativité. Il s’agit là du premier écueil de cette consultation : beaucoup d’associations n’étaient pas conviées, seule les « _grosses_ » structures semblaient avoir voix au chapitre. Si l’Alliance pour la Planète a permis une meilleure prise en compte des autres associations, elle n’avait pourtant pas vocation à remplacer chaque association individuellement, ce qu’a parfois oublié le ministère en ne consultant plus que prioritairement via l’Alliance pour la Planète.

C’est seulement par la suite que Générations Futures a pu se faire entendre lors de deux réunions sur la question. Malgré l’enjeu, les associations présentes ne s’étaient pas concertées préalablement. C’est dans une « _ambiance tendue_ » que les débats se sont tenus, débats qui donnaient l’impression d’être vains à Générations Futures, tant était fort le sentiment que tout avait déjà été décidé par avance entre le ministère de l’Environnement et FNE.

Le processus même du Grenelle était très lourd de par la richesse des sujets abordés. Générations Futures a ainsi préféré se concentrer sur son objet, produits chimiques et pesticides, plutôt que de s’éparpiller sur des sujets plus généraux, comme la représentativité des associations. Cela explique peut-être pourquoi Générations Futures n’a pas été consultée par le ministère de l’Environnement, à l’instar d’autres associations, sur le texte en lui-même, issu du débat du Grenelle.

Générations Futures regrette l’absence de transparence et de démocratie dans l’élaboration même des critères. L’association accepte le principe d’une réforme sur cette question, pour peu que tout le monde y soit associé de façon démocratique.

Quelles étaient vos attentes par rapport à la réforme ? Comment percevez-vous ces décrets ?

Bruno Genty – Il était essentiel de fixer des critères de représentativité plutôt que de subir le « fait du prince ». Le choix de consulter telle ou telle association ne doit pas résulter d’un choix subjectif de l’autorité, nationale ou territoriale. Le décret est un pas en avant car il pose des critères objectifs (fonctionnement démocratique ; indépendance notamment financière ; nombre d’adhérents) pour déterminer quelles associations peuvent prétendre siéger dans certaines instances consultatives. Par exemple, il serait illusoire de penser que toutes les associations d’environnement puissent siéger au Comité national du développement durable et du Grenelle, lequel compte déjà plus d’une soixantaine de membres. Les critères retenus présentent l’avantage de clarifier le débat environnemental. Parmi la vingtaine d’instances consultatives nationales visées par ce décret, il est évident que tous ne peuvent y participer ; avant le décret, toutes n’y participaient pas !

FNE soutient de longue date la reconnaissance d’un statut protégeant les lanceurs d’alerte, mais cette question est différente de celle de la représentativité des APNE au sein d’organes consultatifs. Les associations expertes sur des sujets très particuliers sont évidemment nécessaires pour aiguiller le débat, mais leur présence est possible en tant qu’experts (par ex. en tant que personnalités qualifiées) et non en tant qu’associations représentatives. FNE a soutenu différents points, aujourd’hui insérés dans cette réforme. Une de nos principales revendications portait sur le fonctionnement démocratique des associations et la reconnaissance du poids de leurs militants. Ce critère fait désormais partiellement partie des conditions pour qu’une association soit représentative. Nous avons aussi obtenu que des associations « faux-nez » ne puissent pas être reconnues représentatives. Ainsi, le décret exclut les associations qui dépendent des « pouvoirs publics, des partis politiques, des syndicats, des cultes ou d’intérêts professionnels ou économiques ». Enfin, au niveau national, le seuil de 2000 adhérents semble dérisoire pour des associations de rang national. C’est pourtant ce point qui cristallise les oppositions, la portée du texte ayant peut-être été surestimée par certaines structures, FNE rappelle que ce seuil ne concerne que les associations nationales. Autre critère du décret : l’indépendance financière (3). FNE, qui dépend pour une part importante de financements publics, reconnaît pourtant l’importance d’un tel critère. Ces textes annoncent du travail pour les associations qui voudront se conformer aux critères, mais ce travail peut être utile. Il permettra une meilleure structuration (après tout, rien n’interdit de se regrouper et d’agir collectivement !) et donc de peser plus dans les rapports de forces, notamment vis-à-vis des lobbies.

Nadine Lauverjat – Générations Futures est consciente de l’intérêt d’un tel texte, notamment pour que des associations « faux-nez » ne se retrouvent pas de façon illégitime associées au débat public. Sur le principe, cette réforme pouvait être utile. Générations Futures conteste en revanche les critères retenus. Pour définir la légitimité d’une association, ne serait-il pas plus pertinent de considérer son expertise ou son engagement sur un sujet donné plutôt que son nombre d’adhérents ? Cette expertise fait partie des critères à remplir pour obtenir ce nouvel agrément, dès lors pourquoi demande-t-on des critères supplémentaires ? Ces conditions supplémentaires font l’effet d’un « super agrément » et c’est bien la nécessité de ce dernier qu’interroge Générations Futures. Cette réforme isole les associations spécialistes du débat, lequel se concentre alors entre les mains de deux ou trois grosses ONG, censées représenter l’ensemble de la société civile sur l’ensemble des sujets.
L’agrément en lui-même présente des zones d’ombre, par exemple dans son attribution, et c’est bien cela qu’il aurait fallu réformer.
Les associations spécialisées sont essentielles dans le débat environnemental. Elles font souvent face, au sein d’instances consultatives, à une industrie très majoritairement représentée. Leurs connaissances très pointues des sujets débattus sont donc essentielles pour s’imposer dans les débats. Les grosses ONG, plus généralistes, manquent souvent de cette expertise nécessaire sur certains sujets pour ne pas être dépossédées du débat. De plus, certaines grosses structures pourraient manquer d’indépendance vis-à-vis d’un pouvoir qui les finance pour une large part. Enfin, Générations Futures déplore que l’on exige des associations tout un tas de critères pour légitimer leur présence dans le débat public mais que la même démarche ne soit pas entamée pour les autres structures patronales siégeant au sein de ces mêmes instances consultatives. C’est donc une remise à plat plus globale qui devrait être envisagée.

Pouvez-vous réagir aux propos de l’autre association ?

Bruno Genty – Je note qu’il y a accord sur l’intérêt de la réforme. Il importe que soient écartées du débat public les associations « faux-nez ». Je partage aussi le fait que la partie relative à l’attribution de l’agrément comporte des « zones d’ombre » même si là aussi il y a des avancées (notamment la limitation de durée).
En revanche, il y a désaccord sur les critères retenus, Générations Futures ne souhaitant retenir que celui de l’expertise. Nous savons combien en matière d’environnement l’expertise est difficile à mesurer : elle est souvent révélée après les catastrophes ! FNE, bien que « généraliste », s’appuie aussi sur un grand nombre d’experts mais ce ne sont pas eux qui décident seuls des orientations politiques.
Vous témoignez avoir été alertés par l’Alliance après le Grenelle. Cela souligne la limite de collectifs dans lesquels la gouvernance n’est pas suffisamment établie. Vous dites aussi qu’il aurait fallu que les associations soient « associées (à la réforme) de manière démo- cratique », cela renvoie justement à la question du nombre. Si imparfaite que soit la démocratie, elle se traduit par des choix formulés par une majorité. C’est ce qui la distingue de l’aristocratie ou de la technocratie.
Enfin, il est faux de dire que FNE a co-écrit le décret avec le ministère. Nous avons fait entendre notre voix. L’hostilité de plusieurs hauts fonctionnaires au critère de nombre (celui-ci ne leur permettant plus de choisir leurs interlocuteurs) illustre bien les oppositions internes au ministère.

Nadine Lauverjat – Faute de réels échanges avec les autres structures, FNE ne s’est pas aperçu que la cristallisation du débat ne s’est pas faite, loin s’en faut, autour de ce chiffre de 2000 adhérents. Ce qui a créé la réponse des 50 associations signataires du courrier envoyé à NKM en juillet (dont de grosses structures, comme WWF France ou Greenpeace), résulte véritablement du manque de transparence et de démocratie dans la rédaction et la réflexion autour de ces textes, alors que les acteurs absents étaient probablement aussi légitimes que FNE. Je crois que le débat ne devrait justement pas porter sur cette notion de « représentativité » mais qu’il devrait s’assoir sur celle de « légitimité », qui est beaucoup plus large. En effet au-delà du critère de représentativité, le niveau d’implication dans les différents dossiers ou encore la reconnaissance des pairs sont des éléments qui confèrent une légitimité forte aux associations concernées, bien plus forte que celle que pourrait avoir la plus grande des associations si elle s’avérait inactive ou quelque peu complaisante à l’égard du pouvoir. Il s’agit là d’un vrai débat de fond qui ne peut se régler sur un coin de table à quelques-uns. La question centrale est bien de se demander quelles sont, aujourd’hui, les organisations les plus à même d’être des contrepoids à la puissance des lobbies qu’accompagne l’inaction – ou pire – de l’Etat et quelles sont les organisations qui défendront au mieux les intérêts généraux (protection de la santé et de l’environnement) dans les instances.

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