n°143 - janvier / février 2017Fiche technique / Etat des lieux

Pour maintenir la biodiversité animale, repenser la sélection

Par Alexandre Hyacinthe, Ardear Rhône-Alpes (*)

Publié le 15/02/2017

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Depuis quelques années, des voix s’élèvent dans l’élevage pour repenser la sélection animale en adéquation avec des systèmes agricoles durables, paysans et biologiques. S’inspirant de l’exemple du végétal et des semences paysannes, des éleveurs et éleveuses s’organisent pour analyser les freins au maintien de la biodiversité animale dans les fermes, et envisager une autre approche de la diversité animale domestique.

Si la lutte contre l’érosion de la biodiversité – animale ou végétale, sauvage ou domestique – fait largement consensus, les définitions de cette biodiversité sont toutefois nombreuses.

Quelle diversité animale ?

Le plus souvent, la biodiversité est abordée de manière statique, à travers des inventaires d’espèces ou de races à « sauver » ou « conserver ». Cette approche pose d’une part un problème d’échelle : la « race » [1] dans le cas des animaux (comme la « variété » dans celui des végétaux) devient l’unité de mesure centrale (avec l’espèce), laissant de côté la prise en compte de la diversité à l’intérieur d’une population définie comme « race ». Pourtant, la notion de « race » et son usage dans l’élevage sont récents et liés à la fixation de catégories dans le cadre d’une politique de gestion centralisée de l’élevage. D’autre part, cette approche de « conservation » tend à considérer la diversité biologique comme une donnée figée et stable dans le temps. Pourtant la diversité biologique est un phénomène dynamique, et les populations animales sont en permanente transformation, en lien avec un contexte pédoclimatique, et des pratiques d’élevage et de sélection de la part de générations de paysans et paysannes.

Des populations animales aux contextes diversifiés

Pour autant, la notion de race reste un levier d’action important dans l’élevage, au niveau des pratiques comme des institutions. Au cours de ces dernières décennies, face à l’émergence de races productives prédominantes dans le cadre de l’industrialisation de l’agriculture, la défense de races dites « locales » a permis le maintien in situ d’une large diversité de populations, adaptées à des contextes et des pratiques diversifiés : élevage sous la mère, pastoralisme, pratiques d’estive par exemple. Ce maintien in situ varie toutefois selon les productions. Ainsi, si chez les ruminants, de nombreuses races locales – vaches Vosgiennes, chèvres du Massif Central ou de Savoie, brebis Brigasques, Raïoles ou Thônes & Marthod, dont certaines à faible effectif – sont présentes dans des systèmes de production ; pour les volailles, les races locales sont surtout présentes dans des systèmes vivriers, la production étant dominée par des races industrielles issues de croisements.

Au sein de ces races locales, les contextes sont très diversifiés, en terme de démographie mais aussi de pratiques de sélection et d’organisation collective. Mais elles sont aujourd’hui plébiscitées par les éleveurs notamment dans une démarche d’adaptation de leurs pratiques à un contexte local. Ainsi les races ovines du Languedoc, comme la Raïole, seront choisies dans des systèmes de pastoralisme intégral, les vaches Tarines pour produire du Beaufort AOP, ou encore les races ovines basques pour la production laitière en montagne.

Repenser les schémas de sélection

Si le choix de races locales permet le maintien d’une diversité génétique et l’adaptation à certaines pratiques, il n’apporte pas toutes les réponses au développement de modèles agricoles durables.

Concernant les ruminants, les dispositifs collectifs de sélection – impliquant donc les paysans et paysannes – suivent un schéma pyramidal, y compris pour beaucoup de races locales. La première critique adressée à ce système est ce caractère pyramidal et centralisé, que résume bien un éleveur rhônealpin : « C’est un modèle élitiste, un système basé sur la mise en avant d’une élite de reproducteurs mâles, issus d’une élite de fermes ou « d’exploitations », et pensé par une élite sociale et professionnelle : chercheurs en sciences appliquées, zootechniciens, élus agricoles. Ce modèle ne peut pas prendre en compte la réalité et la diversité de nos pratiques ».

Ensuite, ces dispositifs de sélection utilisent trois outils principaux : le contrôle de performance (volume et qualité de lait, etc.), les index de sélection (pour garder les « meilleurs » comme reproducteurs), et dans certaines productions, l’insémination artificielle (qui permet d’obtenir plus de descendants), dans un but d’amélioration des performances selon différents critères. Ces critères – encore aujourd’hui centrés surtout sur la production – sont sujets à discussion. Certains pointent en effet l’absence de prise en compte de critères de durabilité, comme la rusticité, la « discrétion sanitaire », la valorisation des fourrages locaux… Et cette démarche reste basée sur l’idée de diffuser largement un « progrès génétique », plaçant les éleveurs comme simples « utilisateurs » de cette génétique.

Enfin, l’arrivée récente de la génomique s’accompagne d’un nouveau paradigme de sélection et d’un rôle renforcé des biotechnologies, qui suscitent des inquiétudes spécifiques.

Retrouver la confiance dans ses pratiques

En 2007, la loi d’orientation agricole modifie discrètement le Code rural (art. L653-6) et propose qu’ « à compter du 1er janvier 2015, le matériel génétique support de la voie mâle acquis par les éleveurs de ruminants [soit] soumis à obligation de certification, qu’il s’agisse de semence ou d’animaux reproducteurs ». Cette proposition calquée sur le modèle végétal – utilisation de semences certifiées – suscite une forte opposition chez certains paysans qui souhaitent défendre leur autonomie, leur rôle dans la sélection, et le maintien de la diversité animale dans les fermes. Quelques années plus tard, l’article a été supprimé, pour non-conformité avec la réglementation communautaire. Mais les éleveurs et éleveuses ont poursuivi leurs réflexions sur le modèle de sélection animale en France et les possibilités de le repenser, en affirmant que le premier pas pour maintenir la biodiversité animale dans les fermes, c’était de garder une autonomie sur la sélection, et de confronter des pratiques et des points de vue. Quelle place laisser à la notion de race et aux leviers qu’elle constitue ? Faut-il maintenir coûte que coûte des populations trop restreintes, ou au contraire accepter les mélanges et croisements ? Comment prendre en compte des critères de sélection adaptés à ses propres pratiques, en privilégiant par exemple une faible intervention sanitaire ou le plein-air intégral, en tenant compte de la réalité de chaque ferme ? Comment constituer des espaces d’échanges basés non pas uniquement sur un critère de « race », mais sur une communauté de pratiques paysannes ? Tenter de répondre à toutes ces questions impulse des dynamiques émancipatrices, comme l’exemple des semences paysannes l’a montré.

En démarrant des réflexions collectives sur le sujet, il est frappant de voir à quel point les savoirs paysans sont dévalorisés. Ainsi nombreux sont celles et ceux qui de prime abord énoncent « je ne fais pas de sélection, je ne travaille pas là-dessus », et qui pourtant gardent leurs femelles de renouvellement, les choisissent, les observent. Cette voie femelle, pour les ruminants, est même centrale, comme en témoigne une étude de l’Inra : « Quelles que soient les espèces et filières, la sélection des femelles de renouvellement est le moyen privilégié pour poursuivre les objectifs de sélection de l’éleveur ». Et ce travail reste dans les fermes, ancré dans un contexte social, économique et environnemental. Depuis 2011, à la suite d’un travail de la Confédération paysanne, et de différentes rencontres, différents groupes locaux tentent de valoriser les savoir-faire paysans et de partager les réflexions sur la sélection, reprenant à leur compte l’appel lancé à Graz en Autriche en 2010, qui invitait les éleveurs et éleveuses à « retrouver d’abord la confiance dans leurs pratiques ».

Repères Quelques races (…)

Repères

Quelques races dominent la production agricole mondiale : par exemple, les vaches de race prim’Holstein fournissent les deux-tiers de la production laitière mondiale, et les porcs Large White représentent un tiers de la production porcine mondiale.

- L’institut de l’élevage recense 179 races « locales », au sens du Code Rural (« une race majoritairement liée par ses origines, son lieu et son mode d’élevage, à un territoire donné »). Parmi celles-ci, 143 sont considérées comme « menacées d’abandon pour l’agriculture », dans différentes espèces (caprins, ovins, bovins, équins, ânes, porcs, volailles). Élever ces races menacées permet de bénéficier d’aides européennes spécifiques.

- Les 15 races bovines recensées « à très faible effectif » par l’institut de l’élevage représentent au total 8 500 vaches adultes seulement, pour 1 200 éleveurs environ, quand pour la seule race Prim’Holstein, on compte plus de 3 300 000 femelles.

- En France, on dénombre environ 70 initiatives de préservation de la diversité animale agricole : association de races à faible effectif, conservatoires des ressources génétiques, groupements d’éleveurs, auquel il faut ajouter des initiatives individuelles ou collectives locales difficiles à recenser.

[1Une race est « un ensemble d’animaux qui a suffisamment de points en commun pour pouvoir être considéré comme homogène par un ou plusieurs groupes d’éleveurs » (Code rural, article D-653-9).

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