OGM : ambiguïté de l’industrie de la sélection animale
Pour certaines industries européennes de la sélection animale, les nouvelles techniques de modification génétique peuvent contribuer à un système alimentaire durable. Mais, précisent-elles, leur utilisation doit se faire avec grande précaution, de manière à ne pas mettre en jeu la sécurité alimentaire ainsi que la santé et le bien-être animal. Une précaution doublée d’un appel à « un cadre légal sur les importations de manière à assurer la transparence des introductions d’animaux GM et de produits en Europe », une transparence déjà prévue par la réglementation OGM actuelle.
Depuis 2020, la Commission européenne a mené des consultations sur une possible proposition de déréglementation des OGM obtenus par « mutagénèse dirigée et cisgénèse » [1]. Parmi les acteurs du dossier OGM ayant répondu, il en est que l’on a peu entendu publiquement durant les deux décennies de débat sur les OGM transgéniques, ceux de la filière animale.
Pas de commercialisation « pour l’instant »
Utiliser ou non les nouvelles techniques de modification génétique est une question qui se pose différemment pour les animaux que pour les végétaux, selon une organisation d’industriels de la filière animale. En 2021, en réponse à la consultation organisée par la Commission européenne, le Forum européen des éleveurs d’animaux de ferme (European forum of farm animal breeders – EFFAB), représentant des industries de sélection animale, expliquait que « une partie des membres d’EFFAB utilise cette technologie comme outil de recherche, avec, pour l’instant, aucune intention de commercialiser quelque produit que ce soit » [2]. Elle précisait également avoir des doutes sur l’acceptabilité de tels produits modifiés génétiquement par les citoyens, ajoutant subrepticement qu’« ils sont légalement des OGM ».
Par ailleurs, obtenir une nouvelle caractéristique chez un animal en utilisant une méthode de modification génétique est difficile. Comme l’EFFAB le souligne, « les caractéristiques monogéniques sont de bonnes cibles […] mais de nombreuses caractéristiques sont polygéniques ». Au-delà de cette complexité à devoir modifier plusieurs séquences génétiques pour une nouvelle caractéristique, les entreprises utilisant ces techniques doivent également prendre en compte les effets non intentionnels que, de leur côté, les promoteurs des biotechnologies végétales balayent d’un revers de main, les « souffrances » d’une plante n’étant pas considérées, contrairement à la souffrance animale. Ainsi, « une recherche scientifique étendue doit être menée. L’identification des effets à long terme et des effets hors-cible de même que des résidus dans le génome […] doivent être plus étudiés ».
Traçabilité et transparence réclamées… et possibles
Les industries représentées par l’EFFAB souhaitent être protégées des importations d’animaux GM en Europe. Lors d’un séminaire organisé en mars 2021 [3], l’organisation européenne FABRE-TP (Plateforme technologique de sélection et reproduction d’animaux de ferme), également représentante d’industries de sélection animale, réclamait « un cadre réglementaire sur les importations pour assurer la transparence quant à l’introduction d’animaux [génétiquement modifiés par les nouvelles techniques] ou leurs produits en Europe ». À défaut, « les producteurs et éleveurs européens seront injustement mis en concurrence avec ces produits […] importés ».
Ces industries expliquent d’ailleurs disposer des outils pour faire respecter transparence et traçabilité. En 2021, l’EFFAB expliquait que les entreprises et associations d’éleveurs ont « une longue expérience dans la traçabilité des semences animales, pedigrees et enregistrement de performance […] Toutes les données sont enregistrées dans des bases de données mondiales / nationales / privées » [4]. Dès lors, il serait « facile de collecter (si tant est qu’elles soient disponibles) et stocker les informations additionnelles à propos des [nouvelles techniques de modification génétique] pour assurer la traçabilité de même que l’évaluation des impacts à long terme ». En effet, obtenir ces informations implique que les entreprises de pays hors de l’Union européenne renseignent les modifications génétiques effectuées, les méthodes de modification utilisées et les procédés de détection et de distinction de leurs produits. L’EFFAB a précisé à la Commission européenne que les entreprises du secteur discutent déjà « de la faisabilité d’introduire des clauses légales spécifiques dans leurs contrats pour éviter d’importer des animaux et des semences animales obtenus par ces [nouvelles techniques] en provenance de pays tiers ».
Bien que possibles, ces procédures de traçabilité appliquées aux nouvelles techniques relèveraient « de la bonne volonté des acteurs économiques » selon l’EFFAB. Cette organisation suggère donc de mettre en place une initiative internationale qui, bien que coûteuse et non-exhaustive, pourrait « renforcer le séquençage des génomes complets » de tous les taureaux commercialisés par exemple, rendant possible de détecter toutes nouvelles séquences et recombinaisons renvoyant à un évènement de modification génétique.
Une filière non concernée par la modification législative à venir
Contrairement aux industries semencières, celles de la sélection animale ne réclament pas la suppression de l’étiquetage ni de la traçabilité, qu’elles considèrent possible. Cette différence de positionnement explique probablement pourquoi la Commission européenne a restreint sa potentielle proposition d’un nouvel encadrement des produits obtenus par « mutagénèse dirigée et cisgénèse » en 2023 aux seuls végétaux. Il serait en effet impossible de proposer une législation qui convienne à la filière végétale et à la filière animale qui ont, sur la traçabilité et la transparence, des demandes opposées.
Plutôt que de demander l’application de la réglementation actuelle qui répond pourtant à ses attentes en termes de transparence et traçabilité, ces industries de sélection animale représentées par l’EFFAB ont saisi l’occasion pour réclamer leur propre législation. Une législation qui aurait pour objectif la protection des acteurs européens vis-à-vis de leurs concurrents non-européens, tout en assurant une certaine liberté d’utilisation de ces technologies avec pour cadre des règles éthiques. En mars 2021, lors du séminaire organisé par l’EFFAB, FABRE-TP a expliqué que « cette technologie ne devrait pas être interdite par une législation. Cependant, […] elle devrait probablement être réglementée pour assurer que ses utilisateurs suivent des règles éthiques et de sécurité alimentaire strictes » [5]. Sans oublier la nécessaire transparence pour assurer que la filière européenne ne soit pas laissée seule face à la concurrence extérieure.