n°173 - octobre / décembre 2023

Objectif des multinationales : en finir avec la traçabilité et l’étiquetage des OGM

Par Charlotte KRINKE

Publié le 24/10/2023, modifié le 09/01/2024

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Pour les quatre multinationales semencières, l’étiquetage et la traçabilité seraient des obstacles à la commercialisation des OGM. Ces obligations garantissent la liberté de choix des consommateurs et l’existence de filières sans OGM. Sous prétexte d’inadaptation au progrès technique et de l’urgence à répondre à des enjeux climatiques, environnementaux…, ces règles sont aujourd’hui menacées.

Dans l’Union européenne (UE), la liberté de choix des consommateurs est garantie par l’obligation d’étiquetage des OGM. L’effectivité de cette obligation est étroitement liée à la capacité de détecter et tracer les OGM. La traçabilité doit être assurée à tous les stades de la chaîne de production et de distribution. Avec la détection, elle est indispensable à l’existence de filières sans OGM, biologiques ou non.

Une « charge réglementaire » depuis longtemps critiquée

La demande de commercialisation d’un OGM doit inclure une méthode de détection et de traçabilité. Une fois commercialisé, l’OGM doit être étiqueté. Depuis longtemps, les multinationales semencières, y compris européennes, critiquent les réglementations qu’elles considèrent comme un frein à l’innovation. Un rapport de l’Organisation européenne de coopération économique (OCDE) de 1997 montre la constance de leurs revendications. Il indique que « (s)elon l’industrie, une approche favorisant l’innovation dans le domaine de la biotechnologie devrait : être basée sur les caractéristiques et les risques des produits eux-mêmes plutôt que sur les processus par lesquels ils sont produits ; être conçue pour minimiser les charges pesant sur les producteurs ; mettre l’accent sur les normes de performance plutôt que sur la conception ; refléter les développements techniques rapides dans le domaine de la biotechnologie ; être plus harmonisée entre les pays et incorporer des procédures de reconnaissance mutuelle » [1]. Les années 90 sont marquées par la libéralisation des capitaux et des marchandises et par l’arrivée des OGM transgéniques. Les règles d’étiquetage et de traçabilité sont vues comme un obstacle au développement commercial de ces OGM. Elles signifient que ce ne sont pas des produits comme les autres. Elles impliquent la division des filières, des règles de surveillance et de coexistence, de responsabilité en cas de contamination. Elles adressent aussi un signal aux consommateurs.

Les multinationales semencières souhaitent aujourd’hui se débarrasser de ces obligations imposées par le droit des OGM de l’UE dans les années 1990 et 2000. Ces obligations ont été acquises notamment grâce à la mobilisation des citoyens, consommateurs et paysans européens contre les OGM. Mais l’industrie a développé des nouvelles techniques de modification génétique et veut, cette fois, pouvoir commercialiser largement les OGM qui en sont issus. Sa stratégie : invisibiliser ses produits. Pour y parvenir, elle présente ces OGM comme étant différents des OGM transgéniques. Elle défend, à tort, qu’ils ne pourraient pas être distingués des plantes conventionnelles et donc pas être tracés. Ces OGM seraient en outre « un ajout important à la boîte à outils de l’Europe en matière de solutions de durabilité et de résilience » [2].

Des revendications entendues ?

La Commission européenne a été sensible à ces arguments. Elle a d’abord affirmé que le droit des OGM est inadapté aux OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique. Puis elle a lié la « nécessaire » réforme de ce droit à l’urgence de répondre à des enjeux globaux que ces OGM permettraient de résoudre : changement climatique, pollution des sols, sécheresse, faim dans le monde… Et c’est ainsi que la Commission européenne a proposé, le 5 juillet dernier, sur la base de fausses promesses [3], de supprimer l’obligation de traçabilité et d’étiquetage pour une majorité d’OGM.

Adoptée telle qu’elle, la proposition de la Commission menace l’existence des filières sans OGM. Et cela d’autant plus que les États membres ne pourront pas, d’après cette proposition, s’opposer à la culture de ces OGM sur leur territoire. Le coup funeste viendrait ensuite des règles de libre circulation des marchandises, garanties par les traités de l’UE : elles permettront à ces OGM de se diffuser dans l’ensemble des États membres, sans que des mesures restrictives ne puissent en principe être adoptées à leur encontre. Ce serait un coup gagnant pour les multinationales semencières : la porte du marché intérieur de l’UE leur serait enfin largement ouverte.

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<p><span class= »spip_note_ref »>[<a href=’#nh2-1′ class=’spip_note’ title=’Notes 2-1′ rev=’appendix’>1</a>]&nbsp;</span>&#171;&nbsp;Regulatory reform and innovation&nbsp;&#187;, OECD, 1997.</p>
</div><div id=’nb2-2′>
<p><span class= »spip_note_ref »>[<a href=’#nh2-2′ class=’spip_note’ title=’Notes 2-2′ rev=’appendix’>2</a>]&nbsp;</span>EuropaBio, <a href= »https://www.europabio.org/the-ngt-proposal-is-an-important-step-towards-europes-bioeconomy-driven-strategic-autonomy-competitiveness-and-sustainability-ambitions/ » class=’spip_out’ rel=’external’>&#171;&nbsp;The NGT proposal is an important step towards Europe’s bioeconomy-driven strategic autonomy, competitiveness and sustainability ambitions&nbsp;&#187;</a>, 5 juillet 2023.</p>
</div><div id=’nb2-3′>
<p><span class= »spip_note_ref »>[<a href=’#nh2-3′ class=’spip_note’ title=’Notes 2-3′ rev=’appendix’>3</a>]&nbsp;</span><span class= »vcard author »><a class= »url fn spip_in » href=’https://www.infogm.org/_eric-meunier_’>Eric MEUNIER</a></span>, <a href=’https://www.infogm.org/7894-aux-etats-unis-une-decennie-de-promesses-sans-commercialisation’>« Aux États-Unis, une décennie de promesses sans commercialisation »</a>, <i>Inf’OGM</i>, 31 octobre 2023.</p>
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