L’initiative citoyenne européenne : la démocratie participative selon l’UE
Depuis le 1er avril 2012, les citoyens européens disposent d’un nouvel instrument de démocratie participative. L’initiative citoyenne européenne (ICE) leur permet désormais de suggérer à la Commission européenne la mise en place d’un cadre juridique sur un sujet donné ou la modification d’une réglementation existante. Mais avec ce nouvel outil, les citoyens européens fixent-ils vraiment les priorités [1] ?
Introduite en 2007 par le traité de Lisbonne [2], l’initiative citoyenne permettrait aux européens de souffler à la Commission européenne une proposition de texte juridique dans le champ de compétence de l’Union européenne (UE). Par exemple, si vous êtes contre l’expérimentation sur les animaux, vous pouvez par le biais de ce mécanisme essayer d’en interdire l’usage… Pour peu qu’un certain nombre de vos concitoyens partagent votre opinion et surtout, que la Commission européenne retienne cette proposition, votre combat pourrait devenir loi.
Pour lancer une telle initiative, il faut tout d’abord réunir sept citoyens de l’UE, en âge de voter, et provenant de sept pays différents. L’initiative pourra alors être enregistrée auprès de la Commission européenne sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions de forme (ex. âge des sept citoyens…) et de fond (l’objet de l’initiative ne doit pas être en dehors du cadre d’attribution de la Commission) [3]. Les organisateurs ont alors douze mois pour recueillir au minimum un million de signatures à travers l’UE. Mais attention, afin de prouver que l’objet de la demande correspond bien à une réalité européenne, il faut que ces signatures proviennent « d’au moins un quart des États membres », et qu’un minimum de signatures par État soit atteint [4].
Le peuple suggère, la Commission décide
L’initiative est ensuite transmise à la Commission européenne qui dispose alors de trois mois pour faire connaître « ses conclusions juridiques et politiques » vis-à-vis de l’initiative ainsi que les actions qu’elle compte, ou non, entreprendre, en motivant sa décision dans tous les cas… [5]
En effet, l’initiative citoyenne n’est pas contraignante : la Commission européenne n’est pas obligée d’y donner suite. Elle peut estimer, malgré l’avis de plus d’un million de citoyens européens, qu’il n’est pas nécessaire de prendre ou modifier la réglementation sur un sujet donné. Rappelons qu’elle dispose d’une prérogative importante au sein des institutions de l’UE : celle de proposer l’élaboration d’un acte règlementaire [6]. Le Parlement peut lui suggérer une proposition de règlement, mais c’est toujours la Commission européenne qui prend la décision finale. Un pouvoir aussi lourd de conséquence ne mériterait-il pas d’être mieux partagé ? L’initiative citoyenne n’est donc au final qu’une simple suggestion à la Commission européenne, et en aucun cas un moyen de lui forcer la main pour proposer un texte.
À ce jour, neuf initiatives ont été lancées [7] et sont en cours de signatures. Elles abordent différents sujets parmi lesquels des questions environnementales (déchets, paquet climat énergie…), éthiques (droit de animaux, droit des embryons humains…) ou encore économiques (tarification des communications téléphoniques)… Aucune n’a encore atteint le nombre de signatures nécessaires pour pouvoir être présentée à la Commission européenne.
En décembre 2010, une initiative lancée par Greenpeace et Avaaz avait réussi à réunir plus d’un million de signatures de citoyens européens. Son objet : « l’interdiction des OGM jusqu’à ce que soient améliorées les procédures d’évaluation et d’autorisation des OGM en Europe ». Seul problème, elle a été faite avant que le règlement encadrant les modalités précises de l’ICE (règlement 211/2011) n’ait été publié et ne soit entré en vigueur (1er avril 2012). Greenpeace et Avaaz ont néanmoins tenu à remettre leur demande à John Dalli, Commissaire à la Direction Générale de la SANté et des COnsommateurs (DG SANCO), mais la Commission européenne a considéré que cette initiative n’était pas recevable, même si elle remplissait tous les critères : plus d’un million de signatures réunies en sept mois, dans tous les pays européens dont douze pour lesquels le quota minimal était atteint.
Un mauvais présage pour l’avenir de cet outil de démocratie participative ? Avis aux déçus de cet échec : la réglementation européenne n’empêche par de présenter à nouveau une initiative qui n’aurait pas abouti la première fois. L’esprit de ce nouvel outil de démocratie est de rapprocher citoyens et institutions européennes. Mais cette ouverture démocratique ne sera pas suffisante si, comme c’est souvent le cas notamment en France, la participation n’existe que pour la forme et les pouvoirs publics tiennent peu, voire jamais compte des résultats…
Initiative versus pétition [8]
Initiative ou pétition, il s’agit, dans les deux cas, d’apposer sa signature. Mais si l’initiative permet d’interpeller la Commission européenne, la pétition [9] elle, interpelle le Parlement européen (PE). Autres différences : la pétition n’exige pas de nombre de signatures minimum et le PE n’est pas sommé d’y répondre. Comme pour l’ICE, pour être recevable, la pétition doit porter impérativement sur les domaines de compétences de l’UE. La Commission des pétitions sera en charge de « traiter » la pétition et d’envisager les possibles actions (interpeller la Commission européenne, décider de creuser la question par un rapport parlementaire…). Un exemple : la pétition « Pour une protection de l’apiculture et des consommateurs face au lobby des OGM » [10] a atteint plus de 300 000 signatures en quelques mois. La Commission des pétitions l’a jugée recevable, mais le Parlement européen n’a, à ce jour, pas encore réagi.
[1] Site du registre officiel de l’ICE : « Vous fixez les priorités ! », http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/welcome
[2] Art. 11 du Traité sur l’UE et art. 24 du Traité sur le fonctionnement de l’UE
[3] Art.4 du règlement 211/2011
[4] Annexe I du règ. 211/2011. Par ex., l’Allemagne devra réunir un minimum de 74 250 signatures contre 3 750 pour Chypre. Ce chiffre est calculé en fonction du nombre d’habitants de chaque pays.
[6] Suite à cette proposition, la proposition de texte suivra une procédure législative de vote par le Parlement et le Conseil de l’UE.
[8] Article 227 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE