Les insectes OGM et stériles : une efficacité peu probante
Un certain nombre d’insectes sont considérés comme nuisibles, car vecteurs de maladies ou parasites des cultures. Pour les combattre, de nombreuses pistes existent : insecticides chimiques, pièges à phéromones, stérilité induite…
Plusieurs techniques sont développées pour induire une stérilité chez un insecte. Ces techniques – mutagénèse par irradiation, transgénèse, inoculation de la bactérie Wolbachia [1] et forçage génétique – donnent des insectes génétiquement modifiés. Les projets d’insectes stériles sont très nombreux. Il est difficile d’en connaître réellement l’efficacité, étant donné le peu de transparence des entreprises, et la complexité et la diversité des écosystèmes.
Pour la stérilité obtenue par irradiation, le « succès » le plus connu est celui de l’éradication du ver rose du cotonnier (Pectinophora gossypiella) en Arizona (États-Unis) [2]. Bruce Tabashnik, entomologue à l’Université de l’Arizona et un des responsables de ce programme, nous précise que « cet insecte a été déclaré éradiqué des régions cotonnières du continent américain en 2018 par le ministère de l’Agriculture des États-Unis » [3]. Plus de deux milliards d’individus avaient été recensés dans l’Arizona en 2005, avant la mise en place du programme. Pour les éradiquer, onze milliards de papillons stériles ont été lâchés de 2006 à 2015 dans le seul état de l’Arizona. Yves Carrière, co-responsable de ce programme, nous précise que « les insectes stériles n’auraient pas été suffisants pour éradiquer ce parasite : il a fallu les associer au coton Bt et à d’autres pratiques » [4]. Ce que confirme Bruce Tabashnik : « Les lâchers de papillons stériles seuls ont été essayés auparavant et n’ont pas permis de supprimer les populations établies parce que les papillons stériles n’étaient pas suffisamment nombreux par rapport aux papillons sauvages ». Autre précision de Yves Carrière : cet insecte est presque exclusivement associé au coton. C’est un avantage car « le problème des insectes stériles est qu’il est difficile de « couvrir » toutes les populations des insectes à éradiquer, si ces insectes exploitent plusieurs types d’habitats ». Les chercheurs précisent également que « en Inde, les populations de ver rose du cotonnier ont explosé après avoir développé une résistance au coton Bt. […] [N]ous n’avons pas connaissance d’exemples antérieurs où l’éradication des ravageurs a été réalisée par une culture transgénique seule ou en combinaison avec d’autres tactiques. Dans au moins 22 cas documentés dans le monde, neuf ravageurs majeurs ont développé une résistance pratique aux cultures Bt ».
Oxitec a, de son côté, mené un essai comportemental avec un tel papillon génétiquement modifié (pour la fluorescence) mais irradié (pour la stérilité), entre 2006 et 2008, dans l’Arizona [5]. Après avoir disséminé plusieurs dizaines de millions de papillons, Oxitec estime que « les attributs essentiels à [la technique d’insecte stérile] sur le terrain – capacité à trouver un partenaire et à initier la copulation, ainsi que la dispersion et la persistance dans la zone de lâcher – étaient comparables entre la souche génétiquement modifiée et une souche standard ». En 2012, Oxitec teste une nouvelle version de ce papillon (OX3402C), génétiquement stérile [6] en milieu confiné. Aucune information sur d’éventuels autres essais en champs. Bruce Tabaschnik nous précise que cette version transgénique est destinée aux pays, comme l’Inde [7], où le parasite prolifère et où il a développé une forte résistance au Bt. Oxitec précise que son papillon transgénique sera aussi utile là où la version irradiée n’est pas possible du fait de coûts et problèmes de sécurité prohibitifs liés à l’établissement des installations d’irradiation.
Mais l’insecte OGM le plus répandu reste le moustique. Des moustiques transgéniques, irradiés ou inoculés avec Wolbachia, ont été largement disséminés au niveau international.
Oxitec a mis au point successivement deux souches de moustiques Aedes aegypti transgéniques. En théorie, uniquement les mâles transgéniques sont disséminés et s’accouplent avec des femelles sauvages. Dans les deux cas, la progéniture a besoin de tétracycline pour survivre. Dans le premier cas, OX513, la descendance en entier meurt rapidement (3/4 jours d’après Oxitec) [8], alors que dans le second cas, OX5034, seules les femelles meurent précocement. Ainsi, ce deuxième moustique permet des cycles d’accouplement supplémentaires, ce qui permet de réduire le nombre de lâcher. Oxitec reconnaît qu’une faible part de femelles transgéniques est malgré tout disséminée (involontairement) et que des hybrides (transgénique x sauvage) peuvent atteindre l’âge adulte (entre 3 et 5 %).
Tous ces lâchers ont néanmoins été accompagnés d’autres mesures. Au Brésil, les municipalités concernées ont continué de pulvériser des insecticides et de réduire le nombre de points d’eaux stagnantes, où les moustiques se reproduisent, comme en témoigne l’accord entre Oxitec et la municipalité de Piracicaba [9], ou encore le témoignage, en mai 2022, de Ulisses Bernardinetti, coordinateur du programme de lutte contre la dengue à Indaiatuba [10]. Dans cette ville et celle de Jardim Morada do Sol, où les lâchers ont commencé au moins en 2018 et seront maintenus jusqu’à la mi-2023 [11], les moustiques transgéniques semblent peu efficaces. En effet, plusieurs centaines de cas de dengue ont encore été détectés en 2022.
Sans pouvoir le chiffrer exactement, ce sont des dizaines voire des centaines de milliards de moustiques qui ont été relâchés dans les villes brésiliennes. Mais l’incidence sur la dengue est, au final, assez faible. En 2022, l’OMS compte 929 morts, et 2 182 229 cas… à peu près autant qu’en 2016 (707 morts et 2 220 482 cas) [12].
Oxitec a plein d’autres projets d’insectes transgéniques en préparation : d’autres espèces de moustiques, vecteurs du paludisme, bien entendu [13], mais aussi des insectes parasites agricoles. Ils sont pensés pour palier les échecs des produits chimiques ou des plantes Bt. Oxitex a développé une version transgénique et stérile de parasites qui attaquent les arbres fruitiers (Ceratitis capitata), le soja (Chrysodeixis includens), le maïs (Spodoptera frugiperda), de plantes de la famille des choux (Plutella xylostella) ou les troupeaux (Rhipicephalus (Boophilus) microplus). Plutella xylostella GM a été testé en champs dans l’État de New York, en 2017, sur 2,6 hectares. Cinq ans après, aucun autre essai n’a été mené [14]. Interrogé par Inf’OGM, un des chercheurs, désormais à la retraite, nous répond qu’il s’agit seulement d’une question de temps et de ressources. Ceratitis capitata a été « testé » de façon minimaliste en milieu confiné (Australie [15], Brésil [16], Maroc [17], etc.), mais sans passer au stade commercial. En 2021, le Brésil autorisait Oxitec à commercialiser Spodoptera frugiperda transgénique. Impossible de savoir si des lâchers expérimentaux ou commerciaux ont eu lieu. Curieusement, la mouche de l’olivier transgénique (OX3097D), qu’Oxitec avait voulu expérimenter en Espagne, n’est plus mentionnée dans les projets en cours sur le site de l’entreprise.
Les nouvelles techniques pour contourner les lois
La transgénèse est une technique réglementée. Sous la pression de l’industrie, de nombreux pays ont décidé de ne pas considérer comme OGM des organismes modifiés avec d’autres techniques. Ainsi, au Brésil, trois insectes modifiés via une nouvelle technique de modification génétique ne sont pas considérés comme OGM. Il s’agit, d’une part, de Spodoptera frugiperda et Helicoverpa armigera, mis au point par l’entreprise Evolutta Agro Biotecnologia Ltda. Impossible de savoir si ces insectes ont été disséminés. Et, d’autre part, du moustique Aedes, « stérilisé » par l’entreprise Forrest en « éteignant » un gène [18]. Des centaines de millions d’individus du moustique Aedes ont été disséminés, notamment à Ortigueira (État du Parana), depuis fin 2020 [19]. À Ortigueira, l’épidémie de dengue n’a pas disparu [20]. Il est possible que le nombre de moustiques diminue momentanément mais, sur le long terme, la situation ne change pas fondamentalement. Ceci expliquerait sans doute pourquoi les villes voisines, qui semblent souffrir plus largement de la dengue, n’ont, elles, pas adopté ce moustique stérile… à moins que ce ne soit le coût de ces moustiques… Impossible de le savoir…
La quatrième stratégie, celle du forçage génétique, n’a pas encore été mise en œuvre. Un consortium, Target Malaria [21], espère mener prochainement une première expérience grandeur nature au Burkina Faso.