Les gènes : guerre et paix
Je me permets de paraphraser le titre d’un livre de Bruno Latour, sociologue, “Les Microbes : Guerre et Paix », montrant bien comment se fabrique l’idéologie de la science, comment Pasteur pour devenir une célébrité et imposer une nouvelle vision du monde, avait fait alliance avec les Microbes. Aujourd’hui, après des mois d’une course au décryptage du génome humain les affrontant, les équipes de Celera Genomics et du Human Genome Project clament d’une seule voix qu’il n’existe qu’environ 30 000 gènes au sein du génome humain. Cette « nouvelle alliance » de la communauté scientifique avec nos 30 000 gènes, suite à l’annonce du « succès » de cette nouvelle aventure du XXIème siècle de la découverte du génome humain appelle quelques remarques. Tout ce battage médiatique sur « l’achèvement » du décryptage du génome humain me parait très intéressant car mêlant dans une ambiance de fantasme démiurge de notre capacité à lire le livre de la vie comme aime bien le dire certains journalistes (avec les relents d’une approche socio-biologisante de l’homme), un nécessaire rappel à la modestie et à la reconnaissance des limites de notre connaissance dans le domaine du fonctionnement du patrimoine génétique. Cette reconnaissance (enfin) par les scientifiques qu’on « ne sait pas vraiment comment çà marche » peut se lire comme un début d’une « nouvelle sagesse de la science » ; mais comment ne pas voir en même temps qu’elle cherche à ouvrir de nouvelles « terra incognita » de la découverte scientifique, à capter l’attention… et les crédits pour armer les vaisseaux de la recherche. La paix n’est qu’apparente, car l’avènement de l’idéologie libérale (concomitante du triomphe de l’idéologie de la science) dans nos sociétés occidentales ne doit pas faire oublier que « le commerce c’est la guer re sous d’autres formes », que l’OMC n’est pas l’ONU du commerce. Au final, pour ceux qui s’intéressent d’un peu près au débat sur le brevetage des gènes, il ne peut être question de participer à l’euphorie de la Science En Marche : la question sur la légitimité de l’appropriation privée du patrimoine génétique reste entière.