n°126 - janvier / février 2014Fiche technique / Etat des lieux

Les citoyens face à l’explosion des techniques de biotechnologies

Par Eric MEUNIER

Publié le 24/01/2014

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En Europe, les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) sont en débat depuis la fin des années 90, mobilisant un pan important de la société civile. Mais l’acronyme OGM renvoie généralement aux seuls organismes transgéniques alors que durant ces quinze ans, les entreprises de biotechnologie ont développé de « nouvelles techniques » de modification du vivant. Ces développements ont été, et sont toujours, occultés alors même que les entreprises pourraient décrocher leur Graal sous peu, en obtenant le droit de modifier le génome de plantes (pour commencer), brevets à la clé, sans être soumises à la législation sur les OGM. Dans ce débat, citoyens et gouvernements voient toujours leur liberté de parole et de décision politique restreinte, puisqu’on les enferme, socialement et légalement, dans une expression uniquement scientifique.

Novembre 2013 : le semencier Pioneer annonce collaborer avec l’entreprise Precision BioSciences pour modifier, à l’aide de méganucléases, le génome de plants de maïs mâles pour les rendre stériles [1]. Pioneer, comme Syngenta, Monsanto, Bayer CropSciences, a également signé un accord de licence avec la fondation Two Blades pour utiliser les protéines TALENs permettant de modifier le génome de plantes en le coupant à un endroit précis [2]. En France, Euralis Semences a signé en juillet un accord de licence avec BASF pour développer des tournesols Clearfield, résistants à des herbicides [3]. Ces exemples illustrent que la transgenèse est une technique obsolète au regard de ce qui se fait aujourd’hui en laboratoire et dont les industries s’emparent.

Un débat confidentiel

Depuis fin 2008, l’Union européenne se demande si les « nouvelles techniques de biotechnologie » appliquées aux plantes et / ou aux micro-organismes donnent ou non des organismes devant être soumis à la législation européenne sur les OGM. Il aura fallu attendre janvier 2012 pour avoir accès à ce qui est encore aujourd’hui la seule information officielle émanant d’une instance décisionnaire : l’opinion d’un groupe d’experts mandatés par la Commission européenne pour répondre à la question posée du statut de sept techniques [4]. Cf. aussi « Nouvelles techniques de manipulation du vivant, pour qui ? Pour quoi ? », coll. Emergence, éd. PEUV, octobre 2011, 80 p.]] ]]. Eric Poudelet, directeur du bureau sécurité de la chaîne alimentaire de la Commission européenne, indiquait en mai 2012 dans les colonnes d’Inf’OGM que c’est « un sujet difficile qui préoccupe beaucoup la Commission mais les scientifiques ne sont pas toujours très d’accord […] ce sera aux États de prendre une décision » [5]. Si des discussions étaient annoncées pour l’été 2012, la Commission européenne indiquait fin 2013 à Inf’OGM être toujours en cours de réflexion. Bientôt une réponse alors ? Impossible à savoir puisque « il n’est pas possible à ce stade de donner un calendrier ou des indications quant aux modalités de la publication de ces travaux par la Commission ». Pas plus qu’il n’est possible de savoir comment est menée cette analyse et par qui en interne à la Commission européenne…

Des débats ont pourtant bien lieu puisqu’en 2010, l’Institut d’études prospectives technologiques (IPTS), organisme public sous tutelle de la Commission européenne, a organisé un atelier sur ces nouvelles techniques avec la Commission européenne, l’OCDE, des instituts de recherche nationaux, des administrations, des entreprises et des associations. Les seules associations présentes étaient : Copa–Cogeca, EuropaBio (le lobby des semenciers et des biotechnologies dans l’UE), l’association allemande des semenciers et l’Union Française des Semenciers. Si un rapport a été publié en 2011 par l’IPTS [6], se basant notamment sur cet atelier, « il n’y [aura] pas de compte-rendu » formel selon l’IPTS : une absence de transparence peu compréhensible au vu des enjeux sociétaux.

Les entreprises intensifient leur lobbying

Si d’aventure les plantes obtenues par ces techniques devaient échapper à la législation sur les OGM, cela signifierait une absence d’évaluation des risques avant autorisation, d’étiquetage des produits alimentaires contenant de telles plantes et de suivi post-commercialisation de ces plantes. Or ces obligations déplaisent aux entreprises car elles ont un coût, imposent des délais, bref, perturbent la commercialisation de leurs produits brevetés. Depuis janvier 2012 avec la sortie officielle du rapport du groupe d’experts, le lobbying conduit par les entreprises de biotechnologie s’est intensifié plus ou moins directement : articles scientifiques, papiers de position d’organismes représentant les entreprises, prise de position d’académies des sciences…

Qu’il s’agisse de la plateforme européenne de technologie « Plantes pour le futur » [7] ou de l’association européenne des semenciers (ESA) [8], le message à la Commission est qu’elle doit fournir aux entreprises une base légale solide afin de garantir que « leurs investissements ne seront pas vains et que leurs futurs produits ne soient pas soumis aux fruits de procédures réglementaires politisées  » selon l’ESA, car elle craint « une procédure d’autorisation coûteuse et chronophage à l’instar [de celle] des OGM ». Les arguments généraux avancés rejoignent ceux de la transgenèse : assurer la sécurité alimentaire mondiale, parer aux effets du changement climatique sur l’agriculture et assurer le maintien d’emplois en Europe. En juillet 2013, le Conseil européen des académies des sciences a demandé à la Commission européenne de déclarer comme non soumis à la législation sur les OGM les produits modifiés ne contenant pas d’ADN inséré et que la décision finale ne prenne en compte que le produit et non le procédé de modification. Une option qui va à l’encontre de la philosophie européenne de considérer la technique de modification mais qui pourrait devenir une option sérieuse depuis que le Comité agriculture du Parlement européen envisage de la faire sienne. Ce qui est encore un projet de rapport [9] sur l’amélioration des plantes reprend à sa façon les arguments des entreprises et souligne qu’une législation basée sur les techniques, et non le produit obtenu, ouvre la porte à des difficultés…

La question des brevets présents dans les plantes modifiées du fait de la technique utilisée est, elle, absente de ces argumentaires. Les entreprises souhaitent que la plupart de ces techniques ne soient pas considérées comme donnant des OGM ou qu’elles soient exclues du champ d’application de la loi. La demande du Conseil européen des académies des sciences de considérer seulement le produit final et non la technique utilisée pour le modifier apparaît contradictoire avec la propriété industrielle revendiquée sur ces mêmes produits. Car si un produit final devait être classé comme OGM ou non OGM sans considérer la technique qui a permis de l’obtenir (avec comme seule question en toile de fond : la nature peut-elle également produire de tels organismes ?), la propriété industrielle (qui se base sur les notions d’innovation et de nouveauté) sera, elle, revendiquée du fait de brevets détenus par des entreprises et portant sur ces techniques. Or, dans le domaine agricole, surtout celui des semences, la question de la propriété industrielle est importante. Car elle aboutit à la privation, pour les agriculteurs, du premier maillon de la production, la semence. Les dernières évolutions de ce dossier montrent que le travail en cours vise à pénaliser encore plus l’activité paysanne (cf. les analyses du Réseau Semences Paysannes), déclenchant des mobilisations syndicales et citoyennes. Les nouvelles techniques permettent ces évolutions car elles fournissent aux entreprises l’outil leur permettant de concrètement faire valoir ce qu’elles considèrent être leurs droits : l’interdiction faite aux paysans de travailler avec des semences sur lesquelles un industriel souhaite étendre une propriété industrielle détenue via un brevet sur des gènes ou techniques.

Où sont les choix démocratiques ?

Ces nouvelles techniques interrogent aussi quant à la capacité de nos sociétés à opérer de réels choix démocratiques. Le débat sur les plantes transgéniques a soulevé cette question mais pour les nouvelles techniques, la complexité scientifique témoigne qu’il n’est pas possible pour une société de suivre au cas par cas les débats organisés selon l’agenda des entreprises et les seuls critères techno-scientifiques. Les positions des entreprises ou du Conseil européen des académies des sciences l’illustrent parfaitement : la décision législative finale sur le statut OGM ou non de ces techniques devra reposer sur les seules considérations scientifiques. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) impose une telle approche, rendant illégale toute décision nationale non scientifiquement justifiée (cf. plainte à l’OMC contre la politique européenne en matière d’OGM). Sans oublier que le traité bilatéral en cours de négociation entre les États-Unis et l’Union européenne pourrait fournir aux entreprises le droit de réclamer des dommages et intérêts suite à la fermeture du marché européen à leurs produits ou activités professionnelles, à l’instar du traité entre le Canada et les États-Unis [10]. Cette contrainte du tout scientifique prive gouvernements et citoyens de leur parole. Car tous ne sont pas scientifiques. Tous ne sont pas capables d’analyser 900 pages de résultats d’analyses de toxicologie. Mais tous ont le droit d’avoir un avis qui repose, non sur des considérations scientifiques, mais éthiques, culturelles, sociales et/ou économiques tout aussi légitimes pour fonder un avis politique, et tous ont le droit que cet avis soit pris en compte par les instances politiques. D’autant que la « vérité scientifique » n’est pas toujours partagée par tous les experts compétents… Le cadre techno-scientifique actuellement imposé résulte donc en des choix qui ne sont pas ceux d’une société dans sa diversité mais ceux que les entreprises imposent lorsqu’elles toquent à la porte du législateur.

Depuis fin 2008 et le début du travail de la Commission européenne, la liste des sept techniques s’est déjà allongée. Car les entreprises se sont depuis saisies d’autres techniques : méganucléases, Talens, accélération de floraison ou une nouvelle technique de production de semences récemment développée par Pioneer. La Commission européenne ambitionne donc que son analyse débouche sur des conclusions qui pourraient « également servir de référence pour d’autres techniques qui pourraient émerger dans le futur » [11]. Les citoyens ne sont pas les seuls débordés par les entreprises puisque plusieurs pays conduisent des travaux similaires à ceux de l’Union européenne sans pourtant analyser tous les mêmes techniques [12]. Une différence d’analyse qui conduira à des législations différentes, et donc des plaintes récurrentes des entreprises qui verraient bien une harmonisation internationale des législations sur les OGM. Mais tant que le débat est confidentiel, tout peut encore s’arranger…

[4Mutagenèse dirigée par oligonucléotide, cisgenèse, nucléase à doigt de zinc, amélioration inverse, agroinfiltration, greffe, méthylation de l’ADN, cf. : [[Eric MEUNIER, « Nouvelles techniques de biotechnologies : l’UE se met-elle volontairement en retard ? », Inf’OGM, 25 mai 2012

[5cf. note 4

[6« New plant breeding techniques. State-of-the-art and prospects for commercial development », http://ipts.jrc.ec.europa.eu/

publications/pub.cfm ?id=4100. Pour l’atelier organisé en 2010, cf. annexe 10 et 11

[7Initiée par la Commission européenne en 2003 et financée par elle jusqu’en 2007, elle regroupe industries semencières (Limagrain, association européenne des semences), d’agroalimentaire (Nestlé), de biotechnologie (Bayer CropSciences, Keygene), une association regroupant des instituts académiques et universitaires (EPSO) et une organisation d’agriculteurs (Copa-Cogeca), cf. http://www.epsoweb.org/file/1096

[11Source Inf’OGM

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