n°97 - mars / avril 2009

Les biotechnologies au-delà de la transgénèse

Par Guy KASTLER

Publié le 28/02/2009

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Dans son n°95, daté novembre-décembre 2008, Inf’OGM publiait un article traitant de la définition des OGM, de ce qu’elle englobe et en bout de course, de la terminologie la plus adaptée au sigle OGM : Organisme Génétiquement Modifié ou Organisme Génétiquement Manipulé. Dans son numéro suivant (n°96), Inf’OGM continuait sa réflexion sur la question de la définition des biotechnologies et publiait une fiche technique sur la biologie synthétique. Guy Kastler, paysan et responsable du Réseau Semences Paysannes, a réagi à ces différents articles, et plus précisément sur l’approche adoptée pour essayer de définir une PGM. Nous publions bien volontiers sa réaction dans ce « courrier des lecteurs », qui pourrait devenir une nouvelle rubrique si vous nous écrivez.

Bravo pour votre dernière livraison (n°96) qui élargit bien le débat sur les biotechnologies au delà de la trangénèse. Je remarque cependant le besoin de préciser que l’approche volontairement non réductionniste de la biologie synthétique doit être également celle adoptée pour les modifications génétiques dont il est question dans le premier article sur la définition d’un OGM.

Il est vrai qu’il n’existe actuellement à ma connaissance aucune étude publiée dans une revue à comité de lecture montrant que les plantes articificiellement mutées (et non plantes mutantes : dans les labos, elles ne mutent pas seules !) ou polyploïdes puissent être considérées comme différentes de ce que peut produire la nature. Mais même si on admettait que la génétique puisse être réduite à une simple addition de substances chimiques regroupées dans des sacs appelés gènes, de nombreux travaux montrent que la transgénèse peut provoquer des dommages induits par la production non intentionnelle de nouvelles substances chimiques. Ces effets non intentionnels ne résultent souvent pas de l’expression du transgène. Des réarrangements génétiques et des interactions imprévus entre les gènes et leur environnement ont été constatés. A-t-on vérifié ce qui se passe suite à une mutation, une fusion cellulaire, ou une polyploïdie « incitées » ?

La question ne se réduit cependant pas à la simple composition chimique d’éléments isolés de leur contexte. Une substance chimique devient un élément biologique dès qu’elle est incluse dans un organisme vivant. Vous conviendrez qu’un organisme vivant ne se réduit pas à la simple addition de molécules chimiques ou de ses organes constituants. Que sait-on aujourd’hui du fonctionnement d’un gène isolé, du même gène dans un génome où il est à sa place naturelle, ou dans un génome où il a pris une place suite à un stress extrêmement violent (transgénèse aléatoire physique ou bactérienne, irradiation nucléaire ou agression chimique à la colchicine…). Ces agressions artificielles n’existent pas dans la nature et si des phénomènes ressemblant s’y produisent, ils n’existent ni avec la même intensité, ni avec le même isolement des cellules ou des organismes sortis de leur contexte environnemental habituel pour être « seuls » dans une éprouvette face à l’agression. Comment peut-on être certain de l’absence d’effet de ces stress sur l’organisation du génome ou sur les interactions entre gènes ou entre les gènes et leur environnement ? Comment peut-on être sûr de l’absence d’effets non intentionnels résultant de ces techniques artificielles de manipulation génétiques, effets non intentionnels n’étant pas nécessairement les mêmes que dans les cas de mutations, fusions cellulaires ou polyploïdies naturelles ? Est-ce parce qu’on n’a pas cherché qu’il n’y a rien ?

Il me semble nécessaire de manifester, pour ce qui est de la définition d’un OGM, la même prudence que celle que vous affichez face à la biologie synthétique. D’autant que l’enjeu de ce débat n’est pas que « scientifique » : il en va de la justification ou non d’un nouvel hold’up de l’industrie sur la biodiversité, sur les droits des paysans sur leurs semences et sur la souveraineté alimentaire des peuples. En effet, l’industrie nous propose aujourd’hui une nouvelle solution technologique, les plantes mutées par irradiation, pour remplacer la technologie précédente, les OGM, dont les dégats environnementaux, sanitaires, sociaux et économiques deviennent de plus en plus évidents. Il s’agit en fait d’une méthode aléatoire vieille de cinquante ans devenue aujourd’hui industrialisable grâce à la « sélection assistée par marqueurs ». L’industrie chinoise préfère arriver aux mêmes résultats en soumettant les graines au stress d’un voyage hors de l’athmosphère terrestre. Aurons-nous la moindre idée de ce qu’il se passe dans ces graines avant qu’elles ne soient disséminées dans nos champs au risque de se substituer à la biodiversité terrestre, naturelle ou cultivée ?

L’Agence Internationale de l’Energie Atomique fait la promotion des plantes mutées en reprenant les mêmes arguments que Monsanto ou l’AFIS à propos des OGM : « Nous ne produisons rien qui ne soit pas produit par la nature. Ce processus accélère simplement des mutations qui se produisent naturellement, mais à un rythme beaucoup plus lent ». Dans ce contexte, devons-nous cautionner cette propagande, alors même que le législateur a déjà inscrit dans la directive 2001/18 que les plantes mutées artificiellement ou issues de fusion cellulaire artificielle sont des OGM, même s’il a rajouté qu’elles sont exclues du champ d’application de cette directive ? Ne ferions-nous pas mieux de nous appuyer sur cette lucidité du législateur pour réclamer une régulation de la commercialisation de ces plantes, une information claire du consommateur, leur évaluation et le droit de refuser les brevets qui les protègent ou si nécessaire leur dissémination ?

Je souhaiterais que ce débat puisse être rouvert dans vos colonnes afin que l’ensemble des militants qui font confiance à la qualité de vos informations ne repartent pas chez eux avec la certitude que la messe est dite définitivement et que nous n’avons plus qu’à nous agenouiller devant le progrès merveilleux des nouvelles biotech de l’AIEA et autres manipulateurs du vivant ou de l’atome.


Réponse de la rédaction

La contribution de Guy Kastler nous donne l’occasion de préciser qu’Inf’OGM se doit d’adopter une nouvelle approche. Initialement créée pour apporter une information rigoureuse sur les OGM, l’association doit s’adapter, pour rester fidèle à ses aspirations initiales, face à un contexte qui évolue à grande vitesse.

Les technosciences, dans la diversité tant de leurs formes que de leurs capacités à agir sur l’environnement et la nature de l’Homme, sont actuellement dans la phase ascendante quasi verticale d’une surexponentielle (c’est-à-dire dont la vitesse de croissance est elle-même croissante). Face à une telle diversification des techniques (mutagénèse, biologie synthétique, nanotechnologie…), il est illusoire d’espérer pouvoir se tenir au courant et faire les analyses nécessaires pour poursuivre ce que l’association a fait pour les OGM jusqu’à présent. Toutes ces formes se mélangent pour tendre vers la réalisation de vieux fantasmes de l’humanité… Mais si de tels fantasmes sont culturellement assimilés, leur approche réelle voire leur réalisation n’est en aucun cas justifiée pour autant. Ainsi, plutôt que de se pencher sur chacune des expressions de cette véritable explosion des technologies, il nous paraît important de considérer plutôt le mouvement qui conduit à cette expansion.

Pour prendre une image, plutôt que de s’intéresser à toutes les branches, ce qui, de toute façon, dépasse nos capacités, mieux vaut s’occuper du tronc, qui est unique. C’est cette orientation que proposera Inf’OGM à son AG 2009 : se servir du cas exemplaire des OGM pour aider à comprendre le processus qui y mène.

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