n°109 - mars / avril 2011Interview / débat contradictoire

Le coton GM en Afrique de l’Ouest : une introduction sans consultation du public

Par Christophe NOISETTE

Publié le 21/03/2011

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Le coton Bt a envahi le Burkina Faso, les pays d’Afrique de l’Ouest importent de nombreux OGM alimentaires sans étiquetage, et les lois de biosécurité sont tout juste en construction. Francis F. Ngang, secrétaire général Inades Formation, point focal régional de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), détaille, pour Inf’OGM, cette situation.

Le Burkina Faso cultive du coton Bt GM. Les gouvernements voisins ont-ils pris des mesures adéquates pour éviter la contamination des graines de coton ?

COPAGEN : A notre connaissance, il n’existe pas de mesure pour éviter la contamination via l’échange de graines de coton Bt entre paysans ou lors de la vente du coton. On peut, à juste titre, craindre des risques élevés de contamination dus aux mouvements transfrontaliers du coton Bt (graines et fibre), au regard de la porosité des frontières, surtout que nos pays ne disposent pas toujours de moyens conséquents pour effectuer des contrôles rigoureux aux frontières.

En plus du point de vue juridique, plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, et surtout les pays voisins du Burkina, ne disposent pas de loi de biosécurité, exception faite du Burkina lui-même, du Mali, du Ghana et du Bénin. Ainsi, il n’y a pas de cadre légal ni de structures adéquates pour contrôler les mouvements transfrontaliers des produits GM dans la région.

En effet, des initiatives nées du sommet de Rio de Janeiro de 1992, ont permis la construction progressive de cadres de biosécurité dans les différents pays. Ainsi, une stratégie d’aide aux pays en voie de développement a été approuvée par le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM), pour permettre le développement de leurs capacités. C’est dans ce cadre que tous les pays voisins du Burkina (Niger, Togo, Côte d’Ivoire, Mali, Bénin, Ghana) ont sollicité et obtenu du FEM, des ressources pour définir leur cadre national en matière de biosécurité, comme base pour l’élaboration des lois en matière de biosécurité.

La Côte d’Ivoire, par exemple, dispose d’un avant-projet de loi sur la prévention des risques biotechnologiques. Le Ghana dispose également d’un projet de loi sur la biosécurité en attente d’adoption. Au Mali, les choses semblent plus avancées : la loi a été adoptée, mais elle ne peut déployer ses effets pour le moment, faute de décret d’application. Au Bénin, la solution trouvée par les autorités paraît plus originale. Un texte sur la biosécurité est en cours d’adoption ; cependant pour parer au plus pressé et contrer la menace des OGM, les autorités du pays ont comblé le vide juridique avec la prise de deux moratoires successifs.

Il faut rappeler que l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est actuellement à pied d’œuvre pour imposer en Afrique de l’Ouest, un cadre de biosécurité. Si cette initiative a le mérite d’harmoniser les règles en la matière, on peut toutefois craindre des risques élevés de contamination, dus aux mouvements transfrontaliers des OGM puisque l’institution a érigé la libre circulation en sacro-saint principe.

La COPAGEN entend-elle organiser des contrôles ?

Bien naturellement, la COPAGEN, en tant qu’organe de veille, entend effectuer des contrôles dans la limite de ses moyens. Le premier niveau de contrôle concerne la circulation des produits GM dans la sous-région. Ainsi Il nous est déjà arrivé de faire faire des tests sur du riz suspect en Côte d’Ivoire, pour prévenir d’éventuelles catastrophes. Le deuxième niveau de contrôle, consiste à vérifier scientifiquement l’impact socio-économique, environnemental, sanitaire (humain et animal) de l’introduction de la production du coton Bt au Burkina Faso. Certains volets de l’étude sont en cours et les premières conclusions seront disponibles dans les mois à venir. La COPAGEN est disposée à aller au-delà de ce qu’elle fait déjà, mais malheureusement, elle est handicapée par le manque de moyens appropriés.

Enfin, la COPAGEN s’investit aussi dans le contrôle du respect des conventions et lois, en matière de biosécurité. C’est ce qui explique le travail que nous faisons en ce moment, autour du Projet régional Biosécurité de l’UEMOA dont l’objectif est l’élaboration d’un cadre communautaire de biosécurité.

La demande en coton bio a-t-elle augmenté ces dernières années ?

La filière coton bio bénéficie d’une bonne audience auprès du public. En effet, les données chiffrées, en notre possession, montrent que ce marché est en pleine expansion, malgré la crise économique. En 2009 par exemple, ce secteur qui jouit d’une bonne vitalité a progressé de 35 %. Les ventes mondiales de coton bio (vêtements et produits textiles pour la maison) ont atteint des pics, avec 3,5 milliards d’euros cette même année, selon le rapport sur le marché du coton biologique en 2009, publié par l’ONG américaine Organic Exchange le 25 mai 2010. Cette croissance survient alors que les ventes de textile ont décliné de près de 7% depuis 2008. Un succès qui ne va pas en rester là, puisque les prévisions font état d’une augmentation de 20 à 40% en 2010 et 2011, pour aboutir à un montant estimatif de 3,7 milliards en 2010 et 4,3 milliards d’euros en 2011. C’est donc une percée, une prouesse à mettre à l’actif de la filière.

Pensez-vous que les cultures de coton Bt pourraient perturber cette filière ?

Oui bien évidemment, les cultures de coton Bt peuvent perturber la filière. Il faut situer les risques de perturbation à plusieurs niveaux : du point de vue agro-écologique, les cultures de coton Bt peuvent coloniser les autres cultures non GM, notamment le coton bio sous l’effet de la pollinisation et le mélange des semences. La colonisation du coton bio par le coton transgénique Bt est d’autant plus prévisible et plus probable que les insectes jouent un certain rôle dans la pollinisation de cette culture.

Des études préliminaires récemment diligentées par la COPAGEN au Burkina Faso, font état des risques élevés de contamination. En effet, au cours de nos visites des champs des paysans producteurs du coton Bt, nous avons observé la non-existence des zones refuges et les champs du coton Bt et du coton conventionnel sont côte à côte.

Des aspects socio-économiques viennent se greffer aux aspects agro-écologiques mentionnés. L’introduction du coton Bt fait courir un grand danger à la filière du coton bio. Dans un premier temps, il y a le risque de compétition pour les terres disponibles entre les deux filières. Ensuite, l’exemple du Burkina Faso montre que les autorités sont de plus en plus enclines à subventionner le coton Bt, au détriment du coton Bio. En effet, les producteurs interrogés au cours de nos investigations terrains ont affirmé que l’introduction du coton Bt a fait grimper le prix des semences du coton conventionnel. Selon les données de la SOFITEX, au cours de la campagne de commercialisation 2010/2011, le prix des semences du coton non traité est passé de 870 FCFA à 3 255 FCFA pour un sac de 30 Kg. La SOFITEX justifie cette hausse de prix par la suppression de la subvention de l’Etat. Le prix d’un sac de 12 Kg de semences Bt est de 27 000 FCFA (soit 20 fois plus cher). On peut donc effectivement déduire, sur la base de la réflexion des paysans, qu’il s’agit de réduire un peu la différence de prix entre les semences de coton Bt et conventionnel et rendre ainsi le coton Bt relativement compétitif, en ce qui concerne les prix d’achat des semences.

Il existe cependant un fossé entre les prétentions des promoteurs du coton Bt et la réalité que les paysans vivent sur le terrain. Au Burkina Faso, les producteurs de coton Bt se rendent de plus en plus compte de la supercherie des discours que leur tiennent les firmes semencières. En effet, au cours de la campagne 2009, ceux-ci ont dû traiter plus de deux fois leur coton Bt et ce, sur conseil même des sociétés cotonnières qui leur avaient pourtant indiqué que les traitements se limiteraient à deux. Une grande incertitude plane donc sur la firme et les producteurs sont de plus en plus gagnés par le doute. Le pire est à craindre, quand on sait qu’en terme de qualité, le coton Bt laisse à désirer, comparativement au coton bio. Ces observations ont été faites par les paysans en comparant les prix sur le mar-ché. En plus, ils observent que les graines du coton Bt sont plus légères que celles du coton conventionnel. Or, le coton vendu bord champ comprend la fibre et les graines : le coton Bt sera donc moins payé.

L’UEMOA rédige un cadre réglementaire sur la biosécurité pour la sous-région. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, l’UEMOA est engagée dans un processus d’élaboration d’une réglementation communautaire pour les pays membres de l’Union. Dans la forme, l’initiative de l’institution est louable, puisqu’il s’agit d’harmoniser les règles en matière de biosécurité. Mais le contenu du texte suscite des interrogations aigües sur les intentions réelles de cette institution. En parcourant le texte dans ses grandes lignes, nous avons le net sentiment que l’UEMOA veut d’office faire accepter les OGM aux pays membres. En effet, le texte embryonnaire fait prévaloir, très subtilement, les nécessités du commerce sur l’approche de précaution, et ce, en violation flagrante de la philosophie du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques.

L’option en faveur d’un Règlement plutôt que d’une Directive, comme c’est le cas dans l’espace communautaire européen, en dit long sur les intentions cachées de l’UEMOA qui entend dicter aux États la voie à suivre, tout en leur déniant le droit d’élaborer des législations nationales plus strictes en matière de biosécurité. C’est tout ceci que nous entendons dénoncer au cours des différents ateliers nationaux.

La participation de la société civile à ces différents ateliers n’a pas été toujours aisée, puisque bien des fois, des représentants de l’Etat ont refusé de lui donner la parole pour qu’elle exprime ses points de vue. Nous protestons contre ces pratiques qui vicient et dévoient les processus décisionnels, lesquels doivent être le plus participatif possible.

En tout état de cause, nous pensons qu’un seul atelier par pays, de deux-trois jours, réunissant une cinquantaine de participants, n’est pas suffisant pour une large information et un débat public sur la proposition de cadre juridique communautaire. L’UEMOA considère ces ateliers comme des « ateliers de validation du document » mais nous protestons vigoureusement contre cela. A notre avis, il ne peut s’agir que d’un atelier de présentation du contenu du document au public. Des espaces doivent être aménagés pour un vrai débat autour du document avant son adoption. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrions parler de la participation du public et des organisations paysannes à ce débat.

Les pays de la sous-région importent aussi des OGM. Les consommateurs le savent-ils ?

Cette information n’est pas sur la place publique. Aussi, dans la plupart des cas, les populations ne savent même pas ce que sont ces OGM qu’ont veut mettre dans leurs assiettes, sans leur consentement. Notre rôle en tant qu’acteur de la société civile, c’est justement de sensibiliser les populations sur les risques et les enjeux des OGM dans l’agriculture et dans l’alimentation.

Il n’existe actuellement aucune réglementation en matière d’étiquetage des produits GM importés. L’avant-projet de cadre juridique communautaire de biosécurité de l’UEMOA semble minimiser la question de l’étiquetage des produits GM et dérivés. Il est d’ailleurs symptomatique de noter qu’aucun chapitre n’est consacré aux règles en matière d’étiquetage. Seules quelques dispositions vagues et aléatoires font office de mesures d’étiquetage. Pour nous, il est clair que les produits GM et dérivés doivent faire l’objet d’un étiquetage explicite. Ce n’est pas une simple option ou une simple faculté négociable, c’est une obligation. Nous entendons indiquer au législateur communautaire la voie à suivre, celle déjà tracée par la Loi modèle de l’Union Africaine [1] révisée sur la biosécurité en Afrique dont l’article 14 fait peser à la charge des parties l’obligation d’étiquetage.

L’aide alimentaire en Afrique est-elle toujours composée en partie d’OGM ? Etes-vous informé de leur présence ?

Nous ne disposons pas de cette information et ne sommes pas en mesure de dire si les autorités compétentes dis-posent de cette information. A l’heure actuelle, nous ne disposons pas de moyens de vérification. Cela dit, nous n’excluons pas la possibilité que des OGM sous forme d’aide alimentaire aient été introduits dans certains pays de la sous-région.

Présentation de la COPAGEN

* La Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN) regroupe des organisations de la société civile de l’espace de l’UEMOA – organisations paysannes, ONG, syndicats, associations de développement, mouvements des droits de la personne, associations de consommateurs, organisations de jeunes et de femmes. Créée en janvier 2004, la COPAGEN rêve d’une Afrique où ses ressources génétiques gérées durablement sont copropriétés de l’Etat et des communautés locales et sont mises au service de tous pour le bien des générations présentes et futures.

La COPAGEN est représentée dans neuf pays : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.

[1Cette loi transcrit le Protocole de Cartagena en respectant les spécificités africaines : Loi modèle de l’OUA sur la biosécurité 

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