« Justice Pesticides » : en finir avec les pesticides
Un nouveau site est né : Justice Pesticides [1]. Son but : en finir, au niveau planétaire, avec les pesticides, et indemniser les victimes. Arnaud Apoteker, consultant, ex-salarié de Greenpeace, ex-responsable de la mise en place du Tribunal Monsanto, et par ailleurs administrateur d’Inf’OGM, est chargé du développement de ce site. Interview.
Inf’OGM – Qui a créé l’association et le site « Justice Pesticides » ? Et pourquoi ?
Arnaud Apoteker –
« Justice Pesticides » est d’une certaine façon la suite du Tribunal international Monsanto. Ce Tribunal est né du constat partagé que les multinationales de l’agrochimie, comme Monsanto, généraient des dommages considérables à toute la planète, mais qu’il était très difficile pour les victimes de réclamer justice. Car il n’y a pas d’instance internationale permettant de juger ces entreprises. Ainsi, ce Tribunal symbolique, fictif mais avec de vrais juges, a rédigé un avis juridique concernant les atteintes à des droits humains fondamentaux provoquées par les activités de Monsanto, avis qui peut être utilisé dans des procès nationaux ou régionaux en cours ou à venir.
Dans la continuité donc et pour faciliter la défense des victimes, il nous a paru utile de créer un grand réseau pour alimenter un site interactif qui recense l’ensemble des affaires juridiques dans le monde concernant les atteintes diverses et variées liées à des pesticides. Ceci devrait permettre d’avoir une vue d’ensemble des poursuites juridiques en cours ou passées, une sorte de cartographie des litiges, classée géographiquement ou par type de produits, d’avoir des exemples d’affaires dans d’autres pays, de voir ce qui a marché ou ce qui n’a pas marché dans les jurisprudences, en sachant bien entendu que les législations nationales étant différentes, il n’est pas dit que l’on puisse transposer une victoire dans d’autres pays ; d’élaborer des stratégies juridiques contre les entreprises afin de les rendre comptables des dommages dus à leurs activités et les obliger à réparer les dégâts qu’elles ont causé à l’environnement et à la santé ; et enfin, d’en finir avec la fabrication et l’utilisation sur la planète entière de produits toxiques.
Concrètement, Justice Pesticides est une association française (loi 1901). Son conseil d’administration est composé d’une quinzaine de personnes, reconnues pour leur engagement contre les pesticides venant d’associations (Criigen, Générations futures, Pesticide Action Network), du monde de la recherche (éco-toxicologue), des avocats, des responsables d’entreprises (Sébastien Couasnet, directeur général d’Éléphant Vert) et des euro-députées européennes (Corine Lepage et Michèle Rivasi).
À qui est destiné ce projet ?
Le projet de Justice Pesticides est destiné en premier lieu à toutes les victimes des entreprises agrochimiques : agriculteurs, voisins, chercheurs, consommateurs, collectivités publiques, etc. Lorsque Justice Pesticides parle des chercheurs victimes des pesticides, elle parle de ces chercheurs dont la carrière a été rendue plus difficile à cause de leurs avertissements sur leur dangerosité. On pense à Séralini, bien sûr, et c’est par exemple un chercheur de son équipe, Nicolas Defarge, qui a témoigné au Tribunal Monsanto sur la difficulté à se faire employer après leur travail avec Séralini. Il y a également Shiv Shopra, du Canada, Ignacio Chapela, feu Andrès Carrasco, etc. Lors du Tribunal international Monsanto, certains nous ont fait part de leur émotion d’avoir pu exprimer leurs épreuves pour la première fois, devant des juges venus du monde entier pour les écouter et devant le public et d’autres victimes, d’ailleurs. Nous espérons que ce site leur permettra, pour les uns, d’échanger leurs arguments et les études sur lesquelles elles se fondent, et pour d’autres, de se pourvoir en justice, mieux armés.
Justice Pesticides s’adresse aussi aux collectivités et aux associations qui représentent des victimes, ainsi qu’à leurs avocats, qui pourront trouver facilement tous les cas juridiques sur des affaires similaires dans le monde. Et qui pourront échanger sur les stratégies juridiques sur un site sécurisé prévu à cet effet.
Ce site devrait également intéresser les journalistes. J’insiste sur le fait que ce site est collaboratif, et que nous avons besoin de la contribution de tous ceux qui suivent des affaires juridiques ou qui sont impliqués ou ont connaissance de telles affaires.
Quels sont les attendus de cette nouvelle association et de son site ?
Nous voulons contribuer à la multiplication des procès contre les empoisonneurs et augmenter leurs chances de succès. Ce nouveau site montrera à toutes les victimes qu’elles ne sont pas les seules à se battre contre les entreprises qui les ont empoisonnées, mais que partout dans le monde d’autres personnes ont engagé les mêmes démarches ou s’apprêtent à le faire. C’est la multiplication de ces victoires qui obligera les compagnies à changer leurs activités, soit directement par la loi qui les contraindra, soit indirectement par les contraintes financières, les amendes et les dédommagements, qui pourraient inciter les actionnaires de ces entreprises à se désengager avant les faillites.
Les affaires juridiques, passées ou en cours, peuvent être inscrites dans la base de données à l’aide d’un formulaire que les internautes qui ont connaissance d’affaires juridiques peuvent remplir. Elles sont présentées sur le site sous forme d’un résumé, contenant les informations essentielles (nature du cas, produit visé, plaignants et défendeurs, jugements, lorsqu’ils ont eu lieu, références scientifiques utilisées par les plaignants ou dans les jugements). Cela permet de rechercher dans toutes les affaires juridiques, en fonction de l’intérêt de l’utilisateur, celles qui sont relatives à un produit (par exemple le Roundup), ou celles qui ont donné lieu à des poursuites pénales, ou dont les plaignants ont été des ONG de défense de l’environnement, etc. De plus, les références scientifiques seront également accessibles par mots-clés identiques à ceux des affaires juridiques, afin de permettre d’utiliser au mieux les références pertinentes et de dégager des pistes de recherche académique qui pourront être utiles dans les procès.
Parlez-nous de deux ou trois types de procès pertinents
Nous n’en sommes qu’au tout début de la recension des procès et il est donc difficile de déterminer dès maintenant lesquels sont les plus symptomatiques ou les plus importants. Mais je crois par exemple, puisqu’on est en France, que le procès de Paul François, un agriculteur qui a attaqué Monsanto suite à un empoisonnement à l’herbicide « Lasso », est très emblématique. C’est la première fois au monde qu’un agriculteur gagne contre cette multinationale. Monsanto a contesté le jugement devant la Cour de Cassation… laquelle a renvoyé le procès en cour d’appel, ce qui signifie que le jugement n’est pas définitif. Mais c’est bien Monsanto qui avait été jugé responsable en première instance et en appel. Malheureusement, c’est Paul François qui doit encore supporter le harcèlement juridique et les coûts afférents malgré sa maladie.
D’autres procès emblématiques sont sans doute les centaines de poursuites contre Monsanto et son Roundup par des agriculteurs, des jardiniers ou des particuliers atteints de lymphome non-hodgkinien. Ces procès font suite à l’annonce par le Centre International de Recherche sur le Cancer en 2015 que le glyphosate était un cancérogène probable. Ces procès ont dévoilé quantité de correspondances qui montrent la collusion entre l’industrie agrochimique et les agences d’évaluation et les pressions et campagnes médiatiques montées contre les avis divergents de leurs intérêts.
Un dernier exemple pourrait être la récente confirmation, en Argentine, de la condamnation d’un producteur agricole pour pulvérisation illégale de pesticides par la Cour Suprême. Dans le même temps, le Tribunal de Libourne (France) rend une ordonnance de non-lieu dans le cas d’une pulvérisation de pesticides près d’une école.
Pour interdire un pesticide, quelles autres pistes non judiciaires seraient envisageables ?
Ce serait bien qu’il n’y ait pas besoin de procès pour faire interdire les pesticides particulièrement toxiques, mais dès lors qu’ils sont autorisés grâce à la complicité d’agences d’évaluation publiques censées protéger les citoyens contre les risques de leur utilisation, le recours au droit est souvent nécessaire. Ce sont souvent des procès contre des agences ou des gouvernements qui ont permis d’interdire, ou plus souvent de limiter, l’utilisation de certains produits toxiques. C’est vrai que les produits interdits le sont généralement lorsque des produits de substitution existent et sont prêts à les remplacer comme le glyphosate qui pourrait être remplacé par du Dicamba ou du 2-4-D.
Les poursuites juridiques ne peuvent en aucun cas se substituer à la pression citoyenne mais être une part de la mobilisation pour un environnement préservé. C’est la combinaison de différents types d’actions, manifestations, pétitions, dénonciations, travaux politiques et juridiques qui permettra d’en finir avec cet héritage toxique que nous laissent les entreprises agrochimiques.
Et surtout, au-delà de la fin de la production et de l’utilisation de pesticides chimiques que nous réclamons, nous voulons que les victimes soient reconnues, écoutées et dédommagées à la hauteur de ce qu’elles ont subi et subissent encore.