Impacts des OGM sur la faune auxiliaire
Alors que le débat sur l’évaluation des risques sanitaires liés aux PGM a abouti à un règlement européen (1), la question de l’évaluation des impacts sur l’environnement devrait émerger. En effet, dès fin décembre 2008, les États membres de l’Union européenne demandaient unanimement à la Commission européenne de renforcer l’évaluation des risques environnementaux liés aux OGM avant commercialisation. Si la réponse de la Commission est toujours attendue, ces impacts environnementaux sont de plus en plus documentés, malgré une recherche freinée dans ce domaine.
Plusieurs plantes dont le maïs et le coton, ont été modifiées génétiquement pour produire une ou plusieurs protéines insecticides (plantes Bt). Ces protéines, selon leur nature, sont supposées anéantir tel ou tel insecte, appelé donc « insecte cible ». Les autres insectes, non cibles par définition, peuvent être l’objet d’impacts directs ou indirects des plantes génétiquement modifiées (PGM). Des études montrent la capacité d’insectes à développer des résistances aux protéines insecticides censées les tuer, mais également à « profiter » des PGM de type Bt.
Des insectes développent des résistances
Spodoptera frugiperda à Porto-Rico, Busseola fusca en Afrique du Sud, Helicoverpa zea aux Etats-Unis : ces insectes devenus résistants aux PGM censées les tuer avaient été « découverts » en 2009 (2). Depuis, d’autres cas sont apparus en Inde, aux Etats-Unis (3) et en Chine. Début avril 2013, la télévision TV Globo rapportait des témoignages d’agriculteurs brésiliens en proie à des chenilles de Spodoptera frugiperda alors qu’ils cultivent du maïs Herculex (TC1507) modifié génétiquement pour les tuer. Des chercheurs se sont intéressés de plus près à ce phénomène longtemps nié par les promoteurs de PGM. Ainsi, en 2011, l’équipe du Pr. Grassmann, de l’Université d’Iowa, montrait, en complément de témoignages d’agriculteurs, que la chrysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera virgifera) développe, après trois années de culture, des résistances à la protéine insecticide Cry3Bb1, présente dans des maïs génétiquement modifiés (GM) (4). Selon les scientifiques, un lien direct existe entre la capacité des chrysomèles à survivre et le nombre d’années de culture sans rotation (avec un minimum de trois années) de tels maïs transgéniques. Plus inquiétant, cette résistance acquise est, on le sait, héréditaire. En 2006 déjà, P.L. Clark et T.M. Nowatzki montraient, en laboratoire, que les larves de ces chrysomèles des racines du maïs pouvaient, au moins temporairement, s’adapter à la présence de protéine Cry3Bb1 (5). Pour le coton GM, c’est un article de 2012 coordonné par le Pr. Kongming Wu, de l’Académie des sciences agricoles chinoises, qui rapportait une résistance au coton Bt, apparue au champ, du ver rose du cotonnier (6).
Quand le problème devient la solution
Pour pallier ce risque d’insectes cibles devenant résistants, la Chine vient d’attribuer un budget de 370 000 euros à trois scientifiques (Xianchun Li et Bruce Tabashnik de l’Université d’Arizona, et Kongming Wu, de l’Académie chinoise des sciences agricoles) afin qu’ils étudient les résistances aux protéines Cry développées par le ver rose de la capsule du coton (Pectinophora gossypiella) et qu’ils proposent une stratégie de lutte (7). Les stratégies envisagées par les scientifiques sont celles mises en place aux États-Unis, dans l’état d’Arizona : implantation de zones « refuges » cultivées avec du coton non GM pour que les insectes sensibles puissent survivre, largage d’insectes rendus stériles pour diminuer les populations avant apparition de résistance et/ou utilisation de variétés de coton GM produisant non pas une mais deux ou plusieurs protéines insecticides. L’option de cesser les cultures de coton GM n’est pas envisagée, au contraire, le coton GM, origine du problème, est vu comme la solution… Et ce, alors même qu’aux Etats-Unis, les zones refuges n’ont pas la cote, les agriculteurs ne respectant pas l’obligation de les mettre en place. De plus, les entreprises militent pour une réduction de ces zones, car certaines vendent des lots de semences mélangées, GM et non GM, mélange censé retarder la résistance.
Les plans de surveillance post-commercialisation conduits par les entreprises ne semblent pas pouvoir détecter ces apparitions de résistances. L’AESA elle-même a, par exemple, critiqué plusieurs points de la méthodologie suivie par Monsanto pour conduire ces surveillances, demandant que « soient inclus dans les échantillons [prélevés aux champs] les insectes cibles survivants dans les champs de maïs MON810 afin de détecter des individus potentiellement résistants » (8). Considérer ces insectes survivants est effectivement le premier pas pour étudier leurs résistances !
Des insectes non cibles qui prolifèrent ou meurent !
Toujours pour les cultures de coton Bt en Chine, le Pr. Wu montrait en 2010 que la population de punaises, insectes non ciblés, avait été multipliée par 12 entre 1997 et 2010, l’utilisation du coton Bt s’étant accompagnée d’une utilisation d’insecticide à spectre d’action moins large (9). L’équipe du Dr Romeis, de l’Agroscope en Suisse (organisme public de recherche en agriculture), s’est justement intéressée au mécanisme par lequel des insectes non ciblés par les PGM Bt peuvent voir leur population augmenter. Dans le cas du coton Bt, les chercheurs ont montré que ces plantes contiennent des taux réduits de terpènes induits par les attaques de prédateurs. Or les terpènes sont des métabolites secondaires de défense et cette diminution de la quantité de terpènes serait donc liée à l’absence d’insectes herbivores, car tués par le Bt. En conditions confinées, les chercheurs montrent qu’une diminution de la quantité des terpènes induits dans une plante implique une vitalité, et donc une multiplication, accrues des insectes non sensibles aux protéines Cry. Si cette corrélation entre quantité de terpènes et quantité d’insectes non cibles observée en conditions confinées n’est pas exactement confirmée aux champs, les scientifiques notent néanmoins avoir observé dans leur expérience des pucerons en plus grande quantité sur du coton Bt que sur du coton non Bt (10) (que ce soit au champ ou sous serre), ce qui confirme des études déjà publiées. Ce travail complète celui de l’équipe du Pr. Xue de l’Université de Pékin qui, en 2008, a montré que les pucerons Aphis gossypii pénètrent et se nourrissent plus facilement sur le coton Bt que sur le coton non Bt, du fait d’une densité de poils (appelés trichomes) sur la surface des feuilles de coton Bt moins importante que sur celles des cotons non GM (11).
Les maïs GM, comme les maïs MON863 et MON88017, modifiés pour produire des protéines insecticides, posent également des problèmes. Des chercheurs de l’Agence de Protection de l’Environnement aux Etats-Unis ont montré que des larves de chrysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera virgifera) pouvaient tirer profit de ces PGM. Selon les scientifiques, des insectes résistants au Bt verraient un développement plus rapide de leur larve et une plus grande fécondité lorsqu’ils se nourrissent de plants de maïs MON863 plutôt que de plants non GM. Ces résultats « constituent une menace significative quant à la future viabilité du contrôle biotechnologique des parasites » selon les chercheurs (12). A noter que le maïs MON88017 de Monsanto est en attente d’autorisation pour la culture dans l’Union européenne et que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a déjà rendu un avis positif sur ce maïs.
Mais les PGM ne font pas que favoriser l’accroissement des populations d’insectes non cibles, elles peuvent aussi les tuer. En Suisse, des scientifiques de l’Institut fédéral de technologie de Zürich ont établi que la protéine Cry1Ab a un effet mortel sur des coccinelles (Adalia bipunctata), organismes non cibles de cette protéine. Ces résultats, critiqués par des scientifiques qui ont refait l’expérience, ont pourtant été confirmés à nouveau en 2012 par les scientifiques suisses, ces derniers dénonçant des différences de protocoles (13). Les résultats en eux-mêmes avaient d’ailleurs étonné les scientifiques suisses, l’action de cette classe de protéines Bt étant théoriquement restreinte aux lépidoptères.
Les PGM tolérant les herbicides toutes aussi nocives
La papillon monarque migre chaque année des Etats-Unis vers le Mexique : un spectacle apprécié autant par les mexicains que par les touristes. Mais sur les vingt dernières années, il n’y a jamais eu aussi peu de papillons arrivés en provenance du Nord. Si la tendance n’est pas nouvelle, une étude publiée récemment tire la sonnette d’alarme sur une situation qui s’accentue chaque année (14). Selon des résultats rendus publics mi mars, la population de papillons monarques arrivés cette année occupe une surface de 1,19 hectares contre 2,9 hectares un an plus tôt (soit une baisse de surface de 59%). A raison de cinquante millions de papillons par hectare, la chute de population est considérable ! Si parmi les raisons avancées à ce phénomène se trouvent des raisons climatiques, certains scientifiques avancent également comme explications la culture de PGM et notamment les cultures intensives de soja et maïs tolérant les herbicides à base de glyphosate. Comme pour Chip Taylor, de l’Université du Kansas, pour qui cette chute de population est en partie due à l’utilisation du glyphosate comme herbicide, utilisation rendue systématique avec les PGM Roundup Ready. Les 60 millions d’hectares de maïs et soja GM cultivés dans les états d’Iowa, Minnesota, Wisconsin… sont autant de surfaces où les papillons ne trouvent plus de quoi se nourrir, les plantes leur servant de nourriture – comme l’asclépiade – ayant disparu du fait de l’utilisation d’herbicides totaux (15). De son côté, Lincoln Brower, entomologiste au Collège Sweet Briar en Virginie, précise que « si les cultures de soja et maïs traitées aux herbicides sont un sérieux problème, le déclin historique depuis 19 ans a des causes multiples » (16). Ce risque lié aux cultures de PGM résistantes aux herbicides avait été énoncé dès 2000 par le Pr. Hartzler de l’université d’Iowa (17).
Une recherche muselée par les brevets
Toutes ces questions liées aux impacts des PGM sur la faune, et notamment les insectes, pourraient trouver des réponses par le biais de programmes de recherche. Mais des entomologistes étasuniens ont alerté en 2009 le gouvernement sur leur incapacité à travailler du fait des brevets détenus par les entreprises (18). En 2012, Inf’OGM rapportait l’exemple d’un chercheur qui expliquait avoir analysé, à la demande de Pioneer, les impacts, sur des insectes non cibles, du maïs GM Cry34Ab1 /Cry35Ab1, modifié pour tuer la chrysomèle. Les résultats montraient que près de 100% des larves de coccinelle, nourries avec ce maïs, mourraient après le huitième jour de leur cycle de vie. Pioneer a interdit la publication de ces résultats – le dossier de Pioneer contenait des analyses d’impacts faites sur sept jours – et a obtenu une autorisation commerciale par l’administration étasunienne, pourtant prévenue de ce que le chercheur anonyme qualifie « d’arnaque » (19).
La connaissance émergente de ces impacts des PGM sur la faune confirme donc que les PGM ne permettent pas de résoudre les problèmes posés par l’agriculture intensive, voire risquent de les amplifier à terme. D’autant que les solutions envisagées pour faire face à ces problèmes ont pour objectif de maintenir en place le modèle agricole basé sur l’utilisation de PGM et des intrants associés. A l’instar du projet de recherche en Chine, l’option de ne plus cultiver de PGM n’est en effet pas envisagée. Par contre, à l’image des PGM cumulant les tolérances aux herbicides pour éviter l’apparition d’adventices résistantes, c’est vers la possibilité de cultiver des PGM produisant plusieurs protéines insecticides que se dirige la recherche. Allez, aidons ces apprentis sorciers : pourquoi pas des insectes GM pour résister aux protéines insecticides produites par des plantes pour tuer d’autres insectes ? Ou la suppression totale des insectes après les avoir rendus stériles par mutagenèse ou transgenèse ?