n°115 - mars / avril 2012

FRANCE – OGM : les abeilles au cœur du débat réglementaire

Par Christophe NOISETTE, Pauline VERRIERE

Publié le 05/03/2012

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Actuellement, le débat réglementaire sur les OGM bat son plein en France… Coexistence, étiquetage, moratoire : pour ces trois sujets, l’abeille guette et montre les incohérences de la législation prise dans son ensemble…

En septembre 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a pris deux décisions qui ont remis les OGM sur le devant de la scène. D’une part, la CJUE a jugé que le moratoire français interdisant la culture de maïs MON810 était invalide ; d’autre part, elle a jugé que le miel contenant du pollen de ce même maïs GM n’était pas autorisé dans l’alimentation humaine. Immédiatement, les associations écologistes, les syndicats d’apiculteurs ou d’agriculteurs se sont mobilisés. Pour eux, le lien est clair : si le maïs MON810 revient dans les champs en 2012 et qu’un miel contaminé par son pollen ne peut être vendu, l’apiculture, déjà bien mal en point, sera à nouveau affectée, durablement… On assiste alors un réel regain de la mobilisation de la société civile pour que le gouvernement respecte ses engagements : occupation de certains locaux de Monsanto, manifestations, occupation de deux Directions régionales de l’Agriculture (DRAAF), à Lyon [1] et à Toulouse, pétition [2], lettre ouverte aux semenciers (cf. page 2)… A chaque action, le gouvernement a réitéré son engagement de prendre une mesure d’interdiction de la culture du maïs MON810…

Un moratoire incertain…

Premier pas concret vers l’interdiction du MON810 : le ministère de l’Agriculture écrit le 20 février 2012 à la Commission européenne pour qu’elle prenne une mesure d’interdiction en attendant une ré-évaluation du MON810. Le ministère précise que « cette demande s’appuie sur les dernières études scientifiques et notamment un avis de l’AESA de décembre 2011. Ces études montrent que la culture de ce maïs présente des risques importants pour l’environnement ».

Christophe Noisette, L
Le Conseil d’Etat à Paris

Le Conseil d’État, suivant la décision de la CJUE, avait annulé le moratoire français sur le maïs MON810 pour deux raisons principales. Sur la procédure d’abord, la France aurait dû saisir la Commission européenne avant de prendre une mesure d’urgence. Sur le fond de l’affaire, le Conseil d’Etat a estimé que la France n’avait pas prouvé l’existence d’un « risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale et l’environnement ».

Cette fois-ci, le gouvernement s’appuie sur de nouveaux faits, pour justifier un nouveau moratoire. Ces faits concernent en partie le maïs Bt11, mais sont « applicables sur les points évalués au maïs MON810 ». Cette évaluation, réalisée sur la base des nouvelles lignes directrices, « met en évidence des risques environnementaux importants : apparition de résistances […] dans les populations de lépidoptères cibles exposées et des réductions de populations de certaines espèces de lépidoptères non-cibles ». Or, l’évaluation réalisée pour le renouvellement du MON810 a été faite selon les anciennes lignes directrices. Ainsi, le gouvernement demande la « réévaluation complète » de cet OGM. Le gouvernement souligne aussi l’absence de zones refuges obligatoires pour le MON810 (pourtant recommandées pour le Bt11), « la puissance statistique des expériences sur les organismes non-cibles […] très limitée » et la non évaluation des éventuels effets sub-létaux. En attendant, la France demande donc à la Commission européenne de suspendre l’autorisation du MON810, et précise que si la Commission ne donne pas suite à sa demande « le Gouvernement envisage d’adopter, en raison de la proximité des semis, une mesure conservatoire visant à interdire temporairement la culture du maïs MON810 sur le territoire national afin de protéger l’environnement ». Ce qu’elle peut faire dès maintenant puisque, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans sa décision du 28 novembre 2011, « l’information de la Commission […] doit intervenir, en cas d’urgence, au plus tard de manière concomitante à l’adoption des mesures d’urgence par l’État membre concerné ».

Le gouvernement a en parallèle ouvert une consultation sur sa demande envoyée à la CE, jusqu’au 6 mars. On peut donc d’ores et déjà supposer qu’aucune décision d’interdiction ne sera adoptée avant cette date. Et si certains agriculteurs en profitaient pour semer un peu plus tôt ? Rien ne pourrait s’opposer à cette démarche. D’autant que les sacs de MON810 sont déjà prêts à être expédiés, et que Monsanto a, dans ses locaux à Trèbes, des sacs de semences de MON810 sur lesquels est inscrit « ne peut être vendu », comme l’ont révélé les Faucheurs volontaires. Monsanto va-t-elle les distribuer gratuitement pour aider à la contamination générale des champs ? Cette stratégie a déjà été utilisée avec succès au Brésil, en Inde… Pourquoi pas en France ?

…et une coexistence laxiste

La crainte de voir débarquer le MON810 est d’autant plus grande que, comme l’a lui-même signalé le ministère de l’Environnement, rien n’est encore organisé pour la coexistence des cultures… Certes, la France a notifié à la Commission européenne un arrêté définissant les mesures de coexistence entre champs de maïs GM et champs de maïs non GM… Mais ces mesures sont extrêmement laxistes. L’arrivée de ce texte sur la coexistence, alors que le gouvernement communique depuis septembre 2011 sur la mise en place d’un nouveau moratoire sur le maïs MON810, pose question. Pourquoi une telle précipitation ? Interrogés par nos soins à plusieurs reprises, les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture n’ont pas souhaité s’exprimer…

Mi-janvier 2012, le HCB rendait un avis concernant la coexistence, avis dont le gouvernement n’a aucunement tenu compte. Cet avis, très détaillé, proposait des solutions techniques pour permettre la coexistence des filières GM et non GM dans deux cas : celui du respect du seuil européen sur l’étiquetage des produits contenant des OGM (>0,9%) et celui du respect du seuil proposé par le HCB pour définir le « sans OGM » (<0,1%). Le HCB précisait d’ailleurs que le respect du 0,1% serait « extrêmement contraignant pour tous les opérateurs », obligeant quasiment à déterminer des zones de production GM et non GM. Ce débat sur les seuils, fondamental, a été tout simplement évincé dans le texte sur la coexistence et laisse place a un grand flou sur cette question. Car le projet d’arrêté sur la coexistence ne précise pas son objectif en termes de seuil. La seule référence se trouve dans le préambule qui évoque l’article L663-2 du Code rural et de la pêche maritime, selon lequel les règles de coexistence doivent « permettre que la présence accidentelle d’organismes génétiquement modifiés dans d’autres productions soit inférieure au seuil établi par la réglementation communautaire ». Or, rappelons-le, l’UE n’a fixé aucun seuil de présence d’OGM, celui de 0,9% étant un seuil d’étiquetage. En se basant sur ce dernier et uniquement sur lui, le ministre de l’Agriculture transforme ce seuil d’étiquetage en seuil de présence, dans un texte qui n’a pas à le faire. Concrètement, ce projet d’arrêté impose comme mesure de coexistence : soit 50 mètres entre une parcelle GM et une parcelle d’une culture non GM interféconde ; soit « l’implantation, sur chaque bord concerné de la parcelle de maïs GM, d’une bordure d’une largeur minimale de 9 mètres constituée d’une variété de maïs non GM de classe de précocité identique à celle de la variété de maïs GM ». Ceci correspond, à peu près, aux recommandations du HCB pour le respect d’un seuil de 0,9% de présence fortuite d’OGM. A peu près, car le HCB proposait des conditions plus complexes, intégrant notamment le décalage des semis. Et surtout, le président du Comité scientifique (CS) du HCB, Jean-Christophe Pagès, a évoqué lors de la conférence de presse de présentation de l’avis du HCB, qu’il souhaitait que les arrêtés n’établissent pas de distance pour le maïs mais que cela se fasse par le biais d’utilisation d’un logiciel car « la dispersion pollinique est particulièrement sensible aux conditions environnementales ».

Finalement, ce projet d’arrêté reprend les conditions de l’Association générale des producteurs de maïs, adoptées par le gouvernement lors des précédentes cultures de MON810 (notamment en 2007). 

L’arrêté oblige aussi le nettoyage complet de tout matériel, notamment les moissonneuses, si des végétaux « non GM » sont traités après des PGM. Ce nettoyage risque d’être bien compliqué et très coûteux… sans que l’on sache qui paiera. De plus, l’agriculteur qui cultive des OGM, même s’il respecte ces règles à la lettre, ne sera pas dédouané de sa responsabilité en cas de contamination de son voisin. Aucune assurance ne souhaite en effet couvrir ce risque et il n’existe toujours pas de fond d’indemnisation, bien que prévu par la loi de 2008 sur les OGM.

Le HCB avait aussi évoqué l’importance de mettre en place une concertation et des négociations – dont l’arrêté ne parle pas – pour gérer la coexistence en évitant les conflits.

Enfin, le projet d’arrêté mentionne exclusivement l’avis du CS du HCB et non la recommandation du Comité Éthique, Économique et Social (CEES). Si, d’après le Code rural, le gouvernement n’était tenu de consulter que le CS, le CEES s’était auto-saisi de cette question, considérant que la coexistence n’était pas seulement une affaire scientifique de distances mais engendrait, de fait, des questions d’organisation du territoire, de définition des responsabilités et de partage des coûts. Ces aspects ont donc été mis de côté par le gouvernement qui s’est contenté de reprendre l’avis du CS sur les cultures de maïs, betterave, pomme de terre et soja pour ce qui concerne les distances, en vue d’un seuil de contamination inférieur à 0,9%. De nouveaux arrêtés devront être pris si d’autres PGM venaient à être autorisées à la culture sur le territoire européen ou si des PGM avec empilements de transgènes étaient autorisées.

Par ailleurs, et de façon surprenante, à l’heure où le monde de l’apiculture est en émoi à propos des OGM, le ministre ne daigne même pas évoquer ce sujet, laissant les apiculteurs pratiquement sans protection contre des contaminations très lourdes de conséquences. Le CEES, lui, envisageait le cas de l’apiculture en recommandant de façon consensuelle « que les apiculteurs, y compris transhumants, soient à la fois destinataires des déclarations de mise en culture d’OGM et associés à la négociation ».

Et le sans OGM, comment pourra-t-il être maintenu ?

Autre texte réglementaire publié ces derniers mois : le décret définissant le « sans OGM » entrera en vigueur au 1er juillet. Ce texte définit plusieurs seuils : pour les végétaux (< 0,1%) et pour les produits issus d’animaux nourris sans OGM (< 0,1% et < 0,9%). Avec les règles de coexistence énoncé dans le projet d’arrêté, l’existence du seuil < 0,1% semble bien compromise.

Or, en cas de conflit entre deux textes, c’est le décret qui l’emporte sur l’arrêté. En l’absence de précision sur un objectif d’un seuil dans cet arrêté, ce serait donc les seuils du décret qui pourraient s’appliquer. Mais concrètement, en cas de cultures de maïs GM en France, les agriculteurs qui cultiveront cette PGM seront soumis à des conditions de mise en culture définies par cet arrêté qui ne leur permettront pas de garantir le respect du décret sur le « sans OGM ». La justice devra alors trancher, mais l’objectif de la coexistence, qui est d’assurer la bonne entente entre voisins, semble d’ores et déjà perdu. Ce décret prévoit également un étiquetage des produits issus de l’apiculture, question évincée du texte sur la coexistence. Dans ce contexte, difficile pour les producteurs et les consommateurs de faire valoir leur droit de produire et consommer sans OGM.

Quelle stratégie du gouvernement ces textes mettent-ils en avant ? Ménager la chèvre et le chou, ménager les pro et les anti OGM ? Au final, la France risque de se doter d’un ensemble de textes incohérents qui ne peuvent qu’aboutir à plus de conflits de voisinages et d’actions judiciaires.

[2« On a plus besoin des abeilles que des OGM » (pétition)http://www.ogm-abeille.org 

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