Dépendance en protéines végétales et OGM : des collectivités s’engagent pour en sortir
Quel rapport peut-il y avoir entre une cuisse de poulet et la monoculture du soja en Amérique latine ? Les élevages européens reposent sur l’importation massive de soja en provenance du continent américain. Et pour cause : le soja est une nourriture incontournable du modèle d’élevage intensif car ses qualités protéiques permettent une croissance rapide des animaux… Outre le fait que la culture du soja conduit à la déforestation, près de 70% du soja américain [1] est génétiquement modifié pour tolérer le Round-Up. L’application de l’herbicide, dans certains cas par voie aérienne, facilite le travail des agriculteurs, mais cause des dommages environnementaux et sanitaires importants, au nombre desquels l’appauvrissement des sols, l’apparition de résistances chez les plantes adventices, et des troubles sanitaires des populations voisines des champs.
Une situation de dépendance induite par les accords internationaux et la PAC
Selon un rapport du WWF France [2], l’agriculture française est la première consommatrice de soja en Europe avec 4,5 millions de tonnes importées chaque année. La production de viande absorbe à elle seule 84% de ces importations et seulement un cinquième est certifié « non OGM » à hauteur d’une présence inférieure à 0,9%.
Comment en est-on arrivé là ? Les négociations dans le cadre de l’OMC ou de la PAC ont renforcé une situation issue de la seconde guerre mondiale : la spécialisation de l’Union européenne dans la production de céréales au détriment des protéines végétales. Dès le début des années 60, l’exonération des droits de douane pour les importations de soja américain [3] a favorisé l’essor des productions animales européennes au travers d’un modèle d’élevage intensif. L’Europe avait troqué cette mesure d’exonération contre le maintien de la protection des productions céréalières européennes. En 1992, avec les accords de Blair House, les États-Unis ont obtenu la limitation de la surface européenne des cultures de colza, tournesol et soja destinées à l’alimentation, à 5,1 millions d’hectares, « ce qui est bien en dessous des besoins européens. [L’UE a] ainsi choisi de continuer à se concentrer sur la monoculture céréalière », commente le rapport du WWF. Choix confirmé à plusieurs reprises par les orientations de la PAC. En 2000, c’est l’interdiction des farines animales qui a renforcé la dépendance européenne vis-à-vis des producteurs américains de soja.
On observe plusieurs signaux politiques visant à limiter cette situation. En 2009, Michel Barnier, alors ministre de l’Agriculture, a proposé de soutenir la production française de protéagineux (pois, luzerne et lupin) afin de réduire cette dépendance ; mais selon l’analyse du groupe PAC 2013, cela « constitue un énième plan – certes bienvenu – mais dont le modeste poids ne rééquilibrera pas le déficit » [4]. Par ailleurs, dans la loi française sur les OGM de 2008, le Parlement demandait au gouvernement de lui remettre un rapport sur les possibilités de développement d’un plan de relance de la production de protéines végétales alternatif aux cultures d’OGM « afin de garantir l’indépendance alimentaire de la France ». Le rapport devait être remis six mois après la publication de la loi. Deux ans plus tard, le ministère de l’Agriculture vient de faire savoir qu’il paraîtra enfin à l’automne [5] (cf. encadré 1).
A défaut d’action politique déterminante au niveau national ou européen, les collectivités locales prennent le relais soit en cherchant à participer à la structuration de l’offre sans OGM, soit en développant les débouchés et la demande sans OGM. Certaines font les deux. Petit tour d’horizon non exhaustif des initiatives dans nos régions.
Côtes d’Armor et Poitou-Charentes : conditionnement des aides et soutien technique aux agriculteurs
Les départements et les Régions octroient des aides à l’agriculture : pour la construction de bâtiments, pour le développement de certaines filières, pour l’agriculture bio, etc. Des collectivités ont choisi de poser des conditions à l’octroi de ces aides : ne pas cultiver ou ne pas utiliser d’OGM sur l’exploitation. Ainsi, depuis janvier 2008, le Conseil général des Côtes d’Armor conditionne ses aides aux agriculteurs à l’absence de production de cultures GM sur l’exploitation. Idem en Poitou-Charentes depuis fin 2007 [6]. Plus de 700 agriculteurs ont déjà accepté de telles conditions. Pour l’instant, aucun contrôle n’est réalisé, faute de moyens. Mais pour aider les exploitants agricoles et les éleveurs à tenir ces exigences, la Région a mis en place un partenariat avec l’Institut régional de la qualité (IRQUA Poitou-Charentes) financé à 80% par la Région. Cet institut accompagne les filières dans la recherche d’alternatives aux OGM et dans la mise en place de l’autonomie alimentaire sur les exploitations. L’IRQUA a notamment entrepris un travail de sensibilisation pour convaincre les agriculteurs de se lancer dans la culture du lupin. La Région travaille également en réseau avec la fédération régionale des coopératives agricoles et avec les Régions Pays de la Loire et Basse-Normandie.
Seine Maritime : le « sans OGM » du champ à la fourchette
En 2004, la Seine-Maritime a pris des engagements sur la question des OGM, notamment le développement de repas de qualité issus de produits locaux et sans OGM. Six ans plus tard, la démarche a permis la mise en place de 150 000 repas « agriculture durable » par an (3 à 4 repas par collège et par an en moyenne) [7]. L’absence d’OGM est exigée dans les produits végétaux mais également dans l’alimentation donnée au bétail. Dominique Chachuat, responsable du service agriculture du département, rapporte qu’ « indépendamment des agriculteurs bio, une quarantaine d’agriculteurs du département sont engagés dans la démarche pour l’approvisionnement des plateaux ». Pour aider les fournisseurs à répondre à la demande et à respecter le cahier des charges, le département a créé en 2009 une aide à la production sans OGM par l’autonomie en protéines, par laquelle le département finance l’accompagnement des agriculteurs [8]. Aujourd’hui, moins d’une dizaine d’agriculteurs ont bénéficié de l’aide, « mais la demande en plateaux scolaires sans OGM est de plus en plus forte, des villes telles que Rouen ou Dieppe souhaitent s’y mettre et les producteurs n’ont malheureusement pas les capacités d’y répondre », a précisé Dominique Chachuat à Inf’OGM.
Rhône-Alpes : l’accompagnement des éleveurs vers l’autonomie alimentaire
La région Rhône-Alpes a mis en place un véritable dispositif d’accompagnement des agriculteurs pour développer l’autonomie des exploitations en aliments du bétail. La démarche présente plusieurs enjeux parmi lesquels diminuer les coûts de production, et éviter le recours aux OGM. Depuis janvier 2009, la Région propose aux éleveurs ovins, caprins et bovins des aides financières sur trois ans pour les accompagner dans une phase de diagnostic et de préconisation puis pour les soutenir dans leurs investissements [9].
Ainsi la Région a lancé, fin 2006, un appel pour la constitution d’un groupe de travail afin de recueillir toutes les expériences menées sur le territoire. Un large panel d’acteurs a répondu présent allant des différents syndicats, aux chambres d’agriculture, en passant par des acteurs de la filière laitière. Une soixantaine de personnes ont ainsi planché pendant deux ans sur la capitalisation des bonnes expériences, et sur la façon d’encourager leur diffusion à un plus grand nombre d’exploitations.
Gérard Leras, Conseiller régional en charge de l’avancement du projet, nous précise qu’il est apparu dès le départ que le projet intéressait plus les éleveurs de ruminants (bovins, ovins, caprins) que les éleveurs porcins ou avicoles. Il est en effet plus difficile d’atteindre une autonomie alimentaire sur l’exploitation avec les porcs ou les volailles (monogastriques), car leurs besoins en aliments concentrés sont plus importants. Par ailleurs, l’élevage de ruminants en Rhône-Alpes est déjà plus naturellement tourné vers une démarche de qualité et de circuit court (plusieurs AOC fromagères interdisent déjà les OGM et ont un objectif de 70% d’aliments provenant du territoire de l’AOC, cf. encadré 2). Dans un premier temps, il a donc été décidé de se concentrer sur l’accompagnement des éleveurs de ruminants.
Depuis 2009 et le vote des aides, plus de 250 exploitations ont bénéficié ou bénéficient d’un diagnostic, et la Région est passée depuis quelques mois à la phase d’aide à la réalisation des investissements, débloquant pour cela une enveloppe de 1,1 million d’euros sur son budget 2010.
En 2010, la Région a entamé un travail à destination des éleveurs de porcs et de volailles pour diminuer le déficit protéique sur ces types d’élevage. L’idée est d’augmenter la part des protéines végétales provenant de Rhône-Alpes ou du Sud-est de la France car, comme l’indique Gérard Leras, la réponse est plus difficile à trouver à l’échelle de l’exploitation sur ces filières. En juin 2010, la première réunion avec les acteurs a permis de dresser un état des lieux des difficultés techniques. Cela va se poursuivre par des rencontres avec les producteurs d’aliments et des visites d’exploitations. Il s’agirait donc d’augmenter la production de protéines végétales y compris, le soja. Un des arguments supplémentaires à la production de soja est le besoin de répondre aux attaques de la chrysomèle sur le maïs en Rhône-Alpes, en passant par une rotation des cultures [10].
Du Côté des initiatives privées
Les consommateurs souhaitent pouvoir acheter des produits issus d’animaux nourris sans OGM et certaines entreprises ou groupements de producteurs veulent répondre à cette demande. Au premier rang bien sûr, l’agriculture biologique interdit l’utilisation des OGM dans l’alimentation des animaux. Viennent ensuite nombre d’AOC fromagères : 21 fromages AOC sur 46 excluent les OGM de l’alimentation des animaux. Quelques entreprises et marques commerciales inscrivent la démarche dans leur cahier des charges (Poulets de Loué, la filière qualité Carrefour, etc.). La mise en place attendue d’un étiquetage « _sans OGM_ » pour les produits issus d’animaux non nourris avec des OGM devrait contribuer à grossir les rangs des acteurs économiques intéressés [11].
Comment se passer du soja OGM ?
Il existe la filière de soja tracé, principalement issue de l’État du Parana au Brésil, mais aussi d’Inde et d’Ukraine. L’approvisionnement des fabricants d’aliments pour bétail est parfois difficile car la production de soja non GM du Paraná au Brésil est en diminution au profit de celle de soja GM. La filière du soja français est aussi une bonne alternative. Ce soja, garanti 100% non GM et produit localement, présente des risques moindres de contamination. Les surfaces françaises concernées par le soja sont de l’ordre de 38 000 ha (soit seulement 0,1 % de la SAU française). Mais surtout, on peut réduire l’apport en soja dans l’alimentation animale. De nombreux végétaux, tels que le lupin, la luzerne, la fèverole ou encore le pois, adaptés à nos sols et climats, constituent une solution pour diversifier l’apport en protéines. Remettre progressivement les vaches à l’herbe peut aussi être envisagé, notamment avec le séchage en grange [12].