n°176 - juillet/septembre 2024

Brevets sur le vivant : médecine et « technologies de rupture »

Par Annick BOSSU

Publié le 01/07/2024, modifié le 17/09/2024

    
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Parallèlement aux brevets portants sur des plantes, des animaux et des micro-organismes, il est un champ très vaste investi par les brevets, celui de la médecine et de la pharmacie, indissociables de nos jours des technologies numériques. À couper le souffle !

Dans un dossier appelé « Micro et nano technologies pour la santé » publié par le CEA-Leti2, on lit : « l’émergence de technologies de rupture transforme l’industrie du médicament ». Les technologies dites de « rupture » sont principalement issues de la convergence NBIC – nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives – dans une dynamique de fertilisation croisée depuis deux décennies au moins. La micro-électronique est prégnante dans toutes ces technologies. Elle s’introduit avec force dans le domaine de la santé. Le nombre de brevets déposés par le CEA-Leti est très parlant : sur un total de 2 800 familles de brevets, une très grande majorité relève du domaine de la santé4. Il s’agit d’une santé dite « globale », mais pour le moment l’espèce humaine est la plus concernée. Quels sont les nouveaux médicaments que nous offrent ces technologies ? Où en est-on de leur réalisation ? De leur mise sur le marché ? Que dire des structures biologiques (tissus, organes) nouvellement construites avec ces mêmes technologies de rupture ?

Des biomédicaments…

Les biomédicaments sont des médicaments produits à partir de cellules vivantes. Le domaine d’application est immense : des molécules, telle l’insuline humaine produite depuis longtemps dans des fermenteurs à partir de bactéries génétiquement modifiées… aux thérapies géniques, telles celles utilisant les lymphocytes Car-T modifiés par Crispr/Cas ou les thérapies ciblées sur les cellules tumorales et associées à l’intelligence artificielle. On peut aussi citer les vaccins à ARN ou ADN modifiés issus des nano-biotechnologies et de la biologie de synthèse, ou encore les thérapies tissulaires (greffes). Encore n’est-ce là que quelques exemples.

Un médicament sur deux en développement dans le monde est un biomédicament7, c’est dire la croissance attendue du nombre des brevets. Brevets qui portent sur ces biomédicaments et sur leurs procédés d’obtention. 76 biothérapies brevetées sont déjà commercialisées en Europe8.

…aux organoïdes sur puces

Différents des organoïdes déjà présentés dans nos colonnes, voici venir les organoïdes sur puces. Des cellules souches d’organes sont placées sur des « canaux » baignant dans un « composant microfluidique » qui reproduit certaines des conditions physiques rencontrées dans les organes réels, et apportent les nutriments indispensables. C’est la micro-électronique fluidique qui permettrait la vascularisation (formation des vaisseaux sanguins) dans l’organoïde10.L’hybridation vivant/non vivant est totale. Ces organoïdes sur puces miment les fonctions des organes.

Les promesses qui y sont liées concernent l’étude des maladies ou leurs thérapies, notamment des cancers, la médecine régénérative, l’évaluation des médicaments et la réduction du nombre des animaux de laboratoire…

Par exemple, des amas de cellules pancréatiques ont montré avec ce dispositif une meilleure capacité à produire de l’insuline. En les injectant à des personnes diabétiques (type 1), on peut envisager de les guérir.

Tous ces procédés, nombreux et variés, sont brevetés. « Des brevets ont été déposés, mais les résultats expérimentaux n’ont pas encore été publiés », indique le chercheur Xavier Gidrol, engagé dans le PEPR (programme d’équipement prioritaire de recherche) financé par l’État pour ce type de travaux11.

Dans le domaine de la santé12, l’étendue des brevets est pour l’instant très floue. Les brevets sur les procédés vont-ils déboucher sur une propriété privée de cellules appartenant à une personne ? Verra- t-on venir en Europe la privatisation des protocoles thérapeutiques comme cela se fait aux États-Unis ? La question est vertigineuse mais les promesses, surtout dans le domaine sensible de la santé, n’ont pas fini de se transformer en or pour les firmes multinationales, les laboratoires et les start-ups…

2CEA : Commissariat à l’Énergie Atomique. Organisme public. En 2010, il a élargi son champ aux « énergies alternatives ».
CEA- Leti : le CEA-Leti, domicilié à Grenoble, se présente comme un institut de recherche technologique, leader mondial des micro et nanotechnologies dans nombre de domaines, dont celui de la santé et de la biologie.

8Ibid.

10 Le Monde Science & Médecine, 13 mars 2024.

11Ibid.

12Toutes les « innovations » n’ont pas été évoquées dans cet article mais sont décrites dans le dossier en note 1.

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