Autorisations de pesticides dans l’UE : déficientes selon la CJUE
Inf’OGM a interrogé le Cabinet TUMERELLE, avocat à Montélimar dans la Drôme [1], sur l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en matière de pesticides le 1er octobre 2019. Verdict : la législation n’est pas correctement appliquée.
La très controversée molécule de glyphosate, composante de nombre de produits herbicides, a fait l’objet le 23 mars 2015 d’un avis du CIRC (Centre international de recherche sur le cancer des Nations unies) le classant « cancérigène probable ». Mais après deux ans de tergiversations, l’Union européenne renouvelait pour cinq ans l’autorisation de la molécule suspecte. Parallèlement à ces discussions européennes, les procès engagés aux États-Unis permettaient de dévoiler des échanges de mails de l’entreprise Monsanto apportant d’importantes suspicions.
Positif au glyphosate : même l’avocat !
Face à l’inaction des pouvoirs publics, des collectifs de citoyens ont décidé d’agir, au premier rang desquels les faucheurs volontaires qui ont lancé une série de manifestations nationales fin 2016 et début 2017 au sein de magasins vendant des pesticides à base de glyphosate. Ils ont investi les magasins et ont peint les étiquettes de produits à base de glyphosate, les rendant impropres à la vente. Ces actions symboliques ont dans quelques cas fait l’objet de plaintes et de poursuites pénales pour dégradation de biens. Nous avons assuré la défense des collectifs de faucheurs volontaires.
En Ariège 17 personnes avaient investi deux magasins de bricolage. Après avoir posé soigneusement une bâche plastique au sol pour ne rien salir, ils ont peint les étiquettes dénonçant la vente libre et l’usage de ces produits. Le parquet les a poursuivis pour dégradation du bien d’autrui.
Pour leur défense, nous avons choisi de soumettre les prévenus et avocats à des prélèvements d’urine. Les analyses réalisées sous contrôle d’huissier ont démontré une contamination au glyphosate de tous les prévenus et des membres du cabinet. Nous avons également soulevé l’illégalité des autorisations de vente de ces produits et la saisine de la CJUE, la destruction d’un produit illégal ne constituant pas une infraction. Ces prélèvements en Ariège ont été à l’origine de la campagne nationale glyphosate.
Contre toute attente, le parquet a suivi nos demandes. Madame le procureur, dans un réquisitoire en faveur de l’environnement, a demandé la saisine de la CJUE pour savoir si la législation en matière de pesticides était conforme au principe de précaution. Le Tribunal a rendu sa décision le 3 octobre 2018 et a saisi la CJUE de quatre questions préjudicielles.
La CJUE, par un arrêt du 1er octobre 2019, a répondu à ces quatre questions et interprété la réglementation sur les produits pesticides. Cet arrêt valide le règlement européen, le déclarant conforme au principe de précaution, mais montre que les normes en matière de pesticides ne sont pas correctement appliquées.
Identification des substances actives
Le Tribunal interrogeait la Cour sur la déclaration par le fabricant des substances actives dans son dossier de demande. Nous avons en effet relevé que de nombreuses substances contenues dans certains pesticides étaient non déclarées, ou déclarées substances inertes alors qu’elles avaient un effet important parfois jusqu’à mille fois plus toxique que la substance déclarée active.
La Cour considère qu’il incombe aux autorités compétentes de s’assurer que l’obligation d’identifier les substances actives contenues dans le produit visé par une demande d’autorisation, a été respectée. À défaut, l’autorisation sera retirée.
Effet cumulé des composants d’un pesticide
Le Tribunal interrogeait la Cour sur le défaut de prise en compte du cumul des molécules toxiques présentes dans un produit, appelé « l’effet cocktail ».
La Cour répond par une interprétation des textes que « les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit ».
Cet effet cocktail des substances doit donc être pris en compte tant au niveau de la validation de substances actives que de l’autorisation de mise sur le marché de produits finis. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pour l’exemple du glyphosate, l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA) explique qu’elle n’a analysé que les articles portant sur la seule molécule glyphosate non sur les effets cocktail alors que le CIRC a tenu compte de toutes les publications scientifiques, y compris concernant les formulations complètes (donc avec analyse de l’effet cocktail). L’arrêt de la CJUE montre clairement que l’AESA n’applique pas correctement la législation européenne.
Études scientifiques produites par le demandeur
Le Tribunal interrogeait la Cour européenne sur la fiabilité de dossiers de demandes d’autorisations montés par les demandeurs, dossiers par nature partiaux.
Pour la Cour, les autorités instruisant les dossiers « ne sauraient se fonder sur des essais, des analyses et des études pour lesquels celui-ci n’aurait pas fourni d’éléments démontrant qu’ils ont été réalisés par une institution fiable sur la base de méthodes conformes aux principes scientifiques admis » et que « il incombe aux autorités compétentes, en particulier, de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale et de ne pas donner dans tous les cas un poids prépondérant aux études fournies par le demandeur ». Les autorités ne peuvent donc se contenter d’un copié-collé et doivent réaliser une analyse rigoureuse écartant les données non indépendantes.
Publicité du dossier de demande d’autorisation
Nombre d’ONG, de scientifiques et de députés européens se sont plaints d’un refus de communication des données des dossiers de demande sous couvert de secret industriel.
La Cour rappelle (tout comme l’avait fait le tribunal de l’Union européenne dans une décision du 7 mars 2019 saisi par des députés européens demandant l’accès aux études de toxicité et de cancérogénicité du glyphosate) que les données concernant les émissions dans l’environnement doivent être communiquées. Cet arrêt interdira toute opposition à communication de données lors d’une prochaine procédure d’approbation ou d’autorisation.
Absence d’études sur les formulations complètes
Actuellement, les molécules isolées sont analysées sur leur toxicité et leur cancérogénicité à long terme au niveau européen. Les formulations complètes par contre ne font l’objet que de vérification succincte sur les effets à court terme comme par exemple sur l’irritation de la peau. Les formulations complètes telles que commercialisées et auxquelles nous sommes exposés sont pourtant nettement plus toxiques que les molécules isolées.
Le Tribunal et les demandeurs interrogeaient la Cour sur la double procédure d’analyse, d’une part au niveau européen concernant exclusivement les « substances actives » et d’autre part au niveau des États membres concernant la mise sur le marché des produits finis qui ne sont pas analysés sur leur toxicité à long terme.
La Cour répond clairement que les analyses à long terme de toxicité et cancérogénicité doivent être effectués dans les deux procédures, c’est-à-dire à la fois pour l’autorisation de substance active au niveau européen, et pour les autorisations de mise sur le marché des formulations complètes au cas par cas. Cette législation n’est donc pas appliquée actuellement. Les autorisations de mise sur le marché sont délivrées sans analyse de toxicité et cancérogénicité à long terme.
La Cour par son arrêt du 1er octobre valide donc le règlement européen mais en réalise une interprétation complète qui démontre de notre avis que la législation n’est actuellement pas correctement appliquée. Le défaut de respect de ces procédures devrait entraîner le retrait immédiat de nombreux pesticides insuffisamment évalués. Il est indispensable que les produits pesticides soient évalués sur le long terme dans leurs formulations complète pour leur toxicité et les risques de cancer, ce qui n’est pas le cas actuellement. Nous allons engager de nouveaux recours en ce sens.
[1] Le Cabinet Tumerelle, avocat à Montélimar (Drôme), travaille en droit rural et droit de l’environnement. Avocat des faucheurs volontaires depuis près de dix ans ainsi que de nombreuses associations professionnelles agricoles ou ONG environnementales, le cabinet intervient également dans la défense des victimes et plus généralement pour la défense des agriculteurs, de l’environnement et de la santé.