Armes biologiques : au nom de la défense et du soin ?
Aucune technique n’est neutre. Certaines techniques servent à faire des vaccins ou de l’insuline, mais aussi à faire des armes biologiques. Les usages bénéfiques sont indissociables des usages néfastes. On parle alors de techniques à usage dual (dual use en anglais). Nous allons faire un petit historique des armes chimiques et biologiques et des recherches duales, avec quelques exemples de « gains de fonction » (GOF) [1].
Au XVIIIe siècle, des soldats britanniques distribuaient des couvertures infectées par la variole aux amérindiens afin de les faire mourir, sachant qu’ils y étaient spécialement sensibles. Mais les techniques se sont ensuite améliorées pour être plus efficaces… C’est ainsi qu’en 1916, les britanniques inaugurèrent un centre de recherche en armes chimiques à Porton Down [2] à 130 km de Londres. Officiellement, ce centre était censé travailler à des défenses contre les armes chimiques allemandes. Alors que le Royaume-Uni avait signé le Protocole de Genève de 1925 qui n’autorisait l’utilisation d’agents de guerre chimique qu’en représailles, le Cabinet anglais autorisait la recherche et le développement de guerre chimique offensive dès 1938. Les anglais ont fait des expériences d’armes chimiques (gaz moutarde) sur des pakistanais à Rawalpindi (Pakistan) et expérimenté dès 1942 une arme biologique à l’anthrax (charbon en français) sur l’île Gruinard [3]. Les armes chimiques sont donc un point d’entrée pour des armes biologiques. Après la seconde guerre mondiale, les anglais ont souhaité travailler sur les gaz neurotoxiques (tabun, sarin, soman) par des expériences sur des humains (y compris des britanniques dont Ronald Maddison, qui en est mort). Le 1er août 1962, Geoffrey Bacon, un scientifique de Porton Down, est mort de la peste. Personne ne peut être catégorique sur son sujet de travail, mais le lecteur avisé aura une idée.
Peste, anthrax et autres « armes biologiques »
En 1986, des étasuniens ont introduit le gène létal du charbon [4] dans une bactérie anodine (E. coli). Des scientifiques issus du complexe soviétique Biopreparat ont dit qu’ils avaient fait une lignée de Yersina pestis, le bacille responsable de la peste, résistant à 16 antibiotiques [5]. D’autres usages ont été envisagés comme des armes alimentaires (des cultures GM faites pour produire une toxine). Afin de rassurer sur les techniques duales, on avance souvent qu’elles ne seront pas utilisées puisque l’envahisseur serait alors aussi touché. C’est la théorie de l’équilibre des forces (à l’instar de la dissuasion nucléaire – « équilibre de la terreur »). Cette théorie justifie la prolifération d’armes et une fuite en avant scientifique et militaire qui peut être refusée. Hélas, des chercheurs russes ont fait des anthrax GM résistants à plusieurs vaccins [6], et préparé un vaccin pour cette nouvelle lignée. Du coup, ils ont une arme dont ils ont l’antidote. L’argument d’un usage dual qui dissuaderait s’évanouit.
On remarque que pour vendre ces armes biologiques, comme les techniques de GOF [7], les États mettent en avant soit la possibilité de mettre au point une défense, soit celle de soigner. La possibilité de défense est balayée dès qu’ils peuvent passer à l’offensive, ce qui révèle leurs intentions. La possibilité de soins est vraie, mais très spéculative et donc un peu mensongère car développer une nouvelle arme offensive est infiniment plus facile que de développer un soin pour cette arme. La possibilité de développer des armes biologiques sensibles à un antidote choisi fait que ces armes ne sont pas duales en fait. Elles renforcent les plus puissants et les plus agressifs comme la plupart des développements technologiques et scientifiques. Leurs promoteurs nous promettent des soins aux maladies qu’ils développent. Il en va de même des GOF qui sont financés sur la promesse de trouver des vaccins. La question des armes biologiques n’est donc pas seulement sanitaire, mais politique.
[1] , « Gain de fonction : l’art de créer des supervirus », Inf’OGM, 10 septembre 2021
[2] Les éléments sur Porton Down sont issus de https://en.wikipedia.org/wiki/Porton_Down
[3] Petite île inhabitée du Royaume-Uni située sur la côte occidentale de l’Écosse
[4] Robertson DL, Leppla SH, « Molecular cloning and expression in Escherichia coli of the lethal factor gene of Bacillus anthracis ». Gene (1986) 44(1):71-8, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/3021591/
[5] Dennis, C. « The bugs of war », Nature, volume 411, pp. 232–235 (2001), https://www.nature.com/articles/35077161
[6] Pomerantsev AP. et al. « Expression of cereolysine ab genes in Bacillus anthracis vaccine strain ensures protection against experimental hemolytic anthrax infection », Vaccine 15(17-18):1846-1850, Dec 1997, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0264410X97001321
[7] , « Gain de fonction : l’art de créer des supervirus », Inf’OGM, 10 septembre 2021