n°173 - octobre / décembre 2023

Animaux GM : les techniques changent, les promesses restent

Par Christophe NOISETTE

Publié le 24/10/2023, modifié le 09/01/2024

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Comme une histoire qui se répète, les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique sont parés des mêmes vertus que celles prêtées, mais jamais démontrées, aux OGM transgéniques au début des années 2000. Si on regarde de près, ces projets servent à capter des subventions, à amadouer l’opinion publique… mais jusqu’à présent, les promesses de leurs promoteurs n’ont jamais été concrétisées. Cette économie de la promesse ne concerne pas que les végétaux génétiquement modifiés. Les animaux GM, anciens hier ou nouveaux aujourd’hui, sont également concernés.

Les animaux GM peuvent-ils vraiment favoriser une agriculture plus écologique, réparer les échecs de l’agriculture industrielle ? La presse se fait largement l’écho de ces « miracles ». Retour sur un mirage technologique illustré par quelques exemples clés.

Une propagande pour noyer le poisson de l’échec commercial du saumon transgénique

A la fin des années 90, des chercheurs annoncent la mise au point d’un saumon transgénique qui grossit trois ou quatre fois plus vite. Ce saumon serait donc idéal pour lutter contre la faim dans le monde, fournir de délicieux Omega-3 à tout un chacun et limiter la pression humaine sur les ressources halieutiques. En effet, l’entreprise AquaBounty argumente que ce saumon OGM optimise mieux son alimentation produisant ainsi plus de viande avec moins de calories… Or, cette équation n’a jamais été démontrée. Il semblerait plus probable que ce saumon grossit plus vite car son appétit est plus grand. Un saumon transgénique et éthique donc, qui devrait redorer le blason des souvent mal-nommés « OGM pesticides » qui se sont développés dans le cadre d’une monoculture intensive.
Après des aller/retour entre l’entreprise AquaBounty et les autorités étasuniennes (FDA, EPA, USDA), une autorisation pour la commercialisation est finalement délivrée en 2015. Pourtant, ce pays n’est pas très regardant sur les évaluations…

Huit ans après, où en est-on ? Ce saumon a-t-il tenu ses promesses ? Les derniers chiffres de l’entreprise ne sont pas très encourageants. En 2022, l’entreprise indiquait dans son rapport financier avoir « récolté » 133 tonnes de saumon transgénique pour le premier trimestre, soit une augmentation de 46 % par rapport au trimestre précédent [1]. Une quantité tout à fait négligeable. En effet, la production de saumon, au niveau mondial, a culminé à 2,95 millions de tonnes en 2020 [2]. Autre élément qui souligne l’échec de ce poisson transgénique : la mise en pause de la construction d’une ferme piscicole dans l’Ohio. Cette usine, toujours d’après les données de l’entreprise, devait couvrir une surface de 44 500 m² et produire jusqu’à 10 000 tonnes de saumon génétiquement modifié AquAdvantage [3]. A noter que l’argument de la construction d’une nouvelle usine a été mis en exergue comme un gage de développement, et donc de rentabilité, par les responsables de l’entreprise. Cet argument avait alors été repris par le site The Motley Fool, qui incitait à acheter des actions AquaBounty [4]. De même, dans une lettre aux actionnaires rédigée en 2022, l’entreprise se lâche sur les promesses, explique ses retards, mais les considère comme derrière elle, et souligne que cette nouvelle usine (désormais à l’arrêt) sera une étape importante dans son développement [5].

Échec donc en termes de production, mais réussite en termes de lobbying. Combien d’articles dans la presse internationale et généraliste ont vanté les mérites de ce poisson « durable » [6] ? Et combien d’argent public (via des subventions ou des allégements de taxes) et privé a été consacré à ces projets [7] ? Un article du site pro-OGM Alliance for Science estimait, en 2021, que 80 millions de dollars avaient été dépensés sur une période de 30 ans pour le développement de ce poisson [8]. Au final, aucun impact sur la sécurité alimentaire ni sur la surpêche, mais des dividendes distribués aux actionnaires… A titre indicatif, la CEO, Sylvia Wulf, d’après le site salary.com, aurait, en 2022, touché 563 557 euros, une somme en légère augmentation par rapport à 2021 (elle avait alors touché 548 241 euros) alors que l’entreprise est face à des difficultés économiques croissantes [9].

Poissons GM : des tests pour les réglementations et l’acceptation sociale ?

Mais qu’à cela ne tienne. Avec l’essor des nouvelles techniques, AquaBounty voit de nouvelles opportunités pour élargir son marché. L’entreprise a ainsi reçu, fin 2018, une autorisation commerciale, en Argentine, pour un autre poisson, le tilapia, modifié génétiquement en utilisant notamment Crispr. Ce tilapia, lui aussi censé grossir plus vite, a été vendu comme une solution à une pression excessive sur les protéines animales. Or, à ce jour, il n’a jamais été produit ni, par conséquent, été commercialisé. Il semblerait que ce tilapia GM soit un test grandeur nature pour voir comment les autorités traitent les dossiers des nouveaux OGM. Une façon de vérifier la porosité du système et d’envoyer un signal clair à l’industrie biotechnologique que ses nouveaux produits animaux ne se heurteront pas à une barrière réglementaire. Rappelons qu’en 2015, l’Argentine a été l’un des premiers pays à réduire les contraintes réglementaires pour les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique.

Au Japon, deux poissons modifiés avec des nouvelles techniques ont été autorisés en 2021 : il s’agit d’une daurade rouge et d’un poisson globe tigré [10]. Ces poissons ne sont toujours pas sur les étals. L’entreprise qui a créé ces poissons, le Regional Fish Institue (RFI), startup japonaise basée à Kyoto, indique sur son site : « actuellement, le poisson génétiquement modifié n’est pas disponible sur le marché. Nous ferons de notre mieux pour être les premiers à le mettre sur le marché ». Avec ces projets, c’est l’acceptabilité sociale qui est recherchée. RFI a lancé un appel à dons avec comme contrepartie ces poissons cuisinés par un grand chef cuistot.

De nombreux projets… mais peu aboutissent

Les projets d’animaux modifiés pour produire plus de chaire sont vraiment très nombreux. Nous ne pouvons pas les citer tous. En 2015, le professeur Whitelaw, du Roslin Institut, en Grande-Bretagne, annonçait la création de moutons et de bovins à la musculature plus importante. En utilisant l’outil moléculaire Talen, ils avaient coupé la séquence génétique qui code pour la production de la myostatine, qui freine le développement musculaire. A cette époque, le chercheur, interrogé sur la commercialisation de ces animaux, répondait, confiant, que ces innovations verront le jour dans cinq à dix ans peut-être aux États-Unis, mais « plus vraisemblablement dans les BRICS [NDLR : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud] ». Précisons que l’idée de bloquer le gène de la myostatine était déjà un des projets dans les années 90/2000 avec la transgénèse et que, sur les centaines de projets qui ont été financés, notamment par des deniers publics, aucun n’a vu le jour. Le professeur Whitelaw précisait : « la transgenèse et l’édition de génome sont également stables génétiquement. L’édition de génome est plus précise, n’implique aucun transgène et est facile à réaliser. Et elle n’implique pas de clonage ». Il reste à voir si ces animaux GM seront effectivement commercialisés et dans quelle condition.

De nombreux autres projets visent à adapter les animaux à la production industrielle. Cette dernière, qui impose concentration et homogénéité des élevages, est relativement fragile : les maladies sont légions. Ainsi, en utilisant l’outil moléculaire Crispr, des chercheurs ont tenté de créer des poulets plus résistants au virus de la grippe aviaire, des porcs plus résistants au syndrome dysgénésique et respiratoire du porc (SDRP). Ces projets aboutiront-ils ? A l’heure actuelle, aucune date de commercialisation n’est donnée. Le doute est bien entendu permis. Rappelons que selon l’ONG GRAIN, « la souche mortelle H5N1 de la grippe aviaire est essentiellement un problème de pratiques d’élevage de volailles industrielles ». Les nouvelles techniques de modification génétique reprennent donc les mêmes promesses que les anciennes techniques.

Santé et changement climatique : deux excellents chevaux de Troie pour les OGM

Les projets d’animaux OGM destinés à nous soigner se multiplient, mais ces derniers restent souvent dans les laboratoires sans qu’on sache vraiment pourquoi. Ainsi, on peut évoquer les porcelets transgéniques pour favoriser les xénogreffes [11] ou les souris « crisperisées » afin de résister à la maladie de Lyme [12].

Un autre défi, le changement climatique, attise aussi les convoitises industrielles. Parmi les nombreux projets qui instrumentalisent les changements climatiques, citons celui des vaches génétiquement modifiées pour avoir une peau plus claire. De la sorte, les vaches seraient plus aptes à supporter des fortes chaleurs. Des chercheurs néo-zélandais, d’un centre de recherches en agriculture, ont annoncé avoir réussi à rendre les tâches noires des vaches Holstein plus claires par manipulation génétique [13]. Pour cela, en utilisant l’outil moléculaire Crispr, ils ont supprimé un des gènes impliqués dans la production de la mélamine, une protéine responsable de la couleur foncée. Seulement deux veaux sont nés et aucun n’a survécu au-delà de quatre semaines, pour des raisons officiellement liées au clonage. De manière révélatrice, ces travaux ont été financés par le ministère néo-zélandais du Commerce, de l’Innovation et de l’Emploi. D’autres expérimentations de ce type avaient déjà eu lieu. L’entreprise étasunienne Recombinetics avait modifié des bovins Holstein pour qu’ils aient des poils plus courts et plus fins [14]. Ces modifications génétiques feraient que les animaux, selon l’entreprise, auraient une température interne inférieure de 1°C et donneraient davantage de lait. En mars 2022, la FDA annonçait délivrer « sa première détermination de risque faible […] concernant le pouvoir discrétionnaire d’application de la loi pour une AGI [altération génomique intentionnelle] chez un animal destiné à l’alimentation » [15]. Aucune évaluation n’a donc été réalisée. La FDA annonce que des « produits à base de viande » issus de ces animaux « climate ready » seront disponibles pour le grand public d’ici deux ans.

Quand on sait que l’élevage nécessite de déforester pour produire du soja (largement OGM), quand on sait que les animaux produisent un important gaz à effet de serre (le méthane), n’est-ce pas un peu curieux que de modifier les vaches pour qu’elle résistent mieux à la chaleur alors que leur élevage industriel participe de l’augmentation des températures ?

Le site de l’entreprise Acceligen, une entreprise qui travaille avec Recombinetics, est à lui seul un excellent résumé de ces promesses tous azimut. Elle mentionne une longue liste de promesses qui concernent les bovins, les cochons, les poissons [16]. Ainsi, il est écrit qu’elle travaille pour améliorer la santé et le bien-être des animaux, notamment en proposant des animaux résistants à la tuberculose bovine, à la fièvre aphteuse ou qui ont une meilleure tolérance à la chaleur. Et grâce à ces modifications génétiques, Acceligen travaille donc à une meilleure durabilité des élevages : « réduction de la population animale, réduction des déchets, réduction des gaz à effet de serre, réduction de la consommation d’eau, adaptation locale au climat, réduction de l’utilisation d’antibiotiques et amélioration de l’efficacité alimentaire ». Rien que cela. A chaque nouvelle étape technique, l’industrie réitère les mêmes promesses, mais doit être crédible, et donc dénigrer la technique précédente. La transgénèse, c’était bien mieux que la sélection conventionnelle, mais cette transgénèse devient peu précise et coûteuse quand il s’agit de vendre les nouveaux OGM.

[3Chase, C., «  AquaBounty’s roadmap features new farms every two years, international expansion », Sea Food Source, 28 septembre 2022 (consulté le 27 février 2023).

[4Jon Quast, « Why AquaBounty Technologies Stock Fell Hard Today », The Motley Fool, 24 mars 2021.

[5AquaBounty Technologies, Inc., « AquaBounty Issues Shareholder Letter and Provides Corporate Update », Globe Newswire, 11 janvier 2022.

[6Joan Conrow, « Seafood distributors welcome AquaBounty’s sustainable GM salmon », Alliance For Science, 11 mai 2021.
« Can genetically engineered salmon save the world ? », Dirt to Dinner, 8 jun 2022.
Nina Fedoroff, « The Genetically Engineered Salmon Is a Boon for Consumers and Sustainability », New York Times, 2 décembre 2015.
Ashley Auerbach, « Genetically engineered fish the future of food ? », University of Washington, 18 mars 2018.
Hank Campbell, « GMO salmon needed to help feed the world », The San Diego Union-Tribune, 22 juin 2016.
T. Blix et A.I. Myhr, « Genome edited salmon : fish welfare as part of sustainability criteria », in Justice and food security in a changing climate, p.331-336, 13 juin 2021.
Rebecca Randall, « Can GM technology promote sustainable salmon farming ? », Medium, 25 février 2015.

[7Dans une lettre aux actionnaires, Aquabouty écrit en 2022 : « Nous avons entamé le processus de placement d’une combinaison d’obligations exonérées et imposables par l’intermédiaire de l’autorité portuaire du comté de Toledo-Lucas, dont le conseil d’administration a approuvé l’émission d’obligations à hauteur de 300 millions de dollars pour soutenir le financement du projet ».
AquaBounty Technologies, Inc., « AquaBounty Issues Shareholder Letter and Provides Corporate Update », Globe Newswire, 11 janvier 2022.

[8Joan Conrow, « Seafood distributors welcome AquaBounty’s sustainable GM salmon », Alliance For Science, 11 mai 2021.

[13Laible G, Cole SA, Brophy B, Wei J, Leath S, Jivanji S, Littlejohn MD, Wells DN, « Holstein Friesian dairy cattle edited for diluted coat color as a potential adaptation to climate change », BMC Genomics, novembre 2021, 26 ;22(1):856.

[16Voir leur page d’accueil : https://www.acceligen.com/

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