Fiche technique / Etat des lieux

Armes biologiques : potentialités décuplées par la transgénèse

Par Eric MEUNIER

Publié le 30/04/2005, modifié le 09/12/2024

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d’après les rapports publiés par l’association “Sunshine Project »

Les armes biologiques sont une classe à part d’armes puisqu’elles sont une menace directe à la biodiversité et que leur développement est lié au contrôle qui sera effectué sur la biotechnologie moderne. Ces armes biologiques incluent des organismes vivants capables de se reproduire et de sévir au-delà des cibles prévues initialement. La biosécurité et la biodéfense dépendent toutes deux des nouvelles techniques de génie génétique et de la dissémination d’organismes vivants aux caractéristiques nocives. Le 10 avril 1972, la Convention sur les Armes Biologiques et Toxiques (BTWC – Biological and Toxin Weapons Convention) était ouverte à ratification. Cette convention rend illégaux le développement et la production d’armes biologiques. Elle a contribué au désarmement biologique et a empêché la mise en place d’une course à l’armement biologique. Mais la décennie écoulée a vu se dérouler des changements rapides dans les domaines des sciences biologiques qui ont considérablement facilité le développement de telles armes. Du point de vue législatif, certains articles du Protocole de Carthagène (contrôle du mouvement transfrontalier des OGM) et de la BTWC offrent des possibilités de synergie d’actions. Ces deux conventions partagent des éléments communs dans leurs objectifs, leurs sujets, la précaution mise en avant, les transferts de technologie, la volonté d’agir pour le développement du bien-être humain et leur souci de contrôler les mouvements des agents biologiques. Dans cet article, des pistes sont avancées sur les usages possibles de ces deux conventions.

Les propriétés des agents biologiques qui les rendent utilisables en tant qu’armes sont : capacité infectieuse, virulence, toxicité, pathogénicité, période d’incubation, transmissibilité, létalité et stabilité. Les caractéristiques qui les différencient des agents chimiques sont leur capacité à se reproduire, se multiplier dans le temps et donc, augmenter leurs effets nocifs. Historiquement, la plus grande utilisation d’armes biologiques date de la seconde guerre mondiale. L’armée japonaise basée en Mandchourie (Nord-est de la Chine) expérimenta des armes biologiques sur des prisonniers et des villages chinois, en utilisant des bombes ou divers appareils recouverts, entre autres, de bactéries responsables de la peste. Depuis cette époque, d’autres cas d’utilisation ont été reportés. Le génie génétique, qui débuta dans les années 70, a ouvert de nouvelles voies de création d’armes biologiques. La biotechnologie actuelle est même utilisée comme menace lors de conflits commerciaux ou politiques entre Etats.

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Révolution biotechnologique et armes biologiques

Au cours des années 80, les implica tions militaires du génie génétique se sont précisées. Ainsi, en 1989, dans un article de la Revue de la Marine Américaine (Naval War College Review), un stratège américain déclarait : “Les perspectives des armes biologiques sont très intéressantes. Les armuriers commencent à peine à explorer ce domaine. Tout porte à croire que la plupart des découvertes sont à venir plutôt que passées” (1). Les micro-organismes par exemple, peuvent être rendus résistants à des antibiotiques, des vaccins, être plus mortels, plus faciles à manipuler, difficile à détecter et plus stables dans un environnement extérieur. Les exemples de l’encadré (p.4) montrent que ces objectifs ne sont plus du domaine de la science-fiction mais bien de la réalité.

Le développement d’armes biologiques efficaces et fiables nécessite un programme de recherche lourd qui doit répondre, étape par étape, à trois problèmes majeurs : comment se procurer des souches virulentes d’un agent biologique, comment en produire de grandes quantités sans perdre l’efficacité d’action et comment développer des méthodes de dissémination efficaces. Ce dernier problème est assez ardu et a rarement trouvé de réponses probantes.

Mais la faible propension des agents pathogènes à devenir des armes de guerre ne doit pas être sous estimée. Au sens militaire, un organisme doit répondre à un “cahier des charges” particulier. Il doit pouvoir être produit en grandes quantités, agir rapidement, et persister dans l’environnement. Les maladies doivent disposer d’un traitement afin de protéger les troupes militaires offensives. Le Bacille d’Anthrax, par exemple, répond à l’ensemble de ces exigences militaires et les victimes peuvent être guéries, même après plusieurs jours, par un traitement aux antibiotiques. Ainsi, seule une minorité de personnes mourront d’une attaque à l’anthrax dans des circonstances où la réponse médicale est disponible, comme ce fut le cas lors des attaques terroristes en 2001 aux Etats-Unis. Dans ces conditions, une simple manipulation génétique visant la résistance aux antibiotiques de l’agent pathogène pourrait le rendre bien plus létal en affectant l’efficacité et les délais des traitements. Les possibilités techniques de telles manipulations sont multiples et des méthodes ont été mises au point avec succès. De nombreux exemples pourraient démontrer cela mais un est particulièrement parlant : le transfert de gènes de “bronzage”. De nombreux micro-organismes sont rapidement éliminés par une exposition au soleil et sont donc limités en tant qu’armes biologiques. Ces micro-organismes sont donc utilisés de préférence la nuit pour atteindre une grande efficacité d’action, puisqu’ils ne sont pas exposés aux rayons ultraviolets de la lumière du soleil. Mais des “gènes de bronzage” ont pu être transférés dans leur génome, procurant à ces organismes une protection contre ces rayons ultraviolet. Ces gènes peuvent être, par exemple, impliqués dans la synthèse de caroténoïdes (Sandmann et al. 1998).

D’autres organismes ont été modifiés afin de pouvoir s’attaquer directement à certains matériaux (plastique, caoutchouc, métaux…) et donc avoir “clairement le potentiel d’armes de guerre ou d’agression si utilisés contre du matériel crucial pour le déroulement de la vie civile”, selon le gouvernement britannique (2). Ainsi, un microbe génétiquement modifié pour être capable de détruire le manteau en plastique recouvrant les avions militaires en moins de 3 jours, a été mis au point par les laboratoires de recherche de la marine américaine.

Les plantes transgéniques : nouvelles armes biologiques ?

Les Etats-Unis ont accentué leurs efforts depuis une dizaine d’années afin de produire des organismes vivants modifiés (OVM) capables de s’attaquer directement aux cultures produisant de la drogue (cf. encadré).

Ils ont aussi développé la technologie Terminator (cf. Inf’OGM n°48, décembre 2003) qui rend les semences de plantes stériles afin de protéger les intérêts des semenciers et qui pourrait être utilisée dans le cadre de la guerre économique. Si les cultures de plantes Terminator se répandent dans le monde entier, il serait alors aisé pour une entreprise transnationale d’arrêter les ventes de semences à un pays ou une région pour des raisons économiques ou politiques. En effet, après plusieurs années de culture de ces plantes stériles, seules de petites quantités de semences seraient disponibles, paralysant l’agriculture et exposant le pays à une crise économique et / ou une famine.




Des virus modifiés pour tuer

Dans les années 90, des chercheurs russes ont modifié génétiquement des propriétés de la bactérie Anthrax. Ces modifications avaient pour conséquences de rendre obsolètes les vaccins existants et les méthodes de détection de la bactérie (1). Ils ont également développé un nouveau vaccin contre cette bactérie modifiée. Faisant suite à ces travaux, des chercheurs américains du Ministère de la Défense ont également modifié génétiquement cette bactérie (2). Ces expériences auraient pour objectifs de comparer la souche modifiée américaine à la souche modifiée russe. En 1986, des chercheurs américains ont introduit dans la bactérie Escherichia coli (inoffensive et présente dans l’estomac humain), un gène codant pour une toxine de la bactérie Anthrax. Escherichia coli modifiée synthétisait cette toxine et avait donc acquis des propriétés meurtrières (3).

La peste a également été étudiée. Selon des scientifiques russes, la bactérie responsable des épidémies de peste a été modifiée afin de résister à 16 antibiotiques différents (4).

Des chercheurs allemands ont modifié génétiquement le virus Ebola et ont découvert que ce virus devenait encore plus mortel lorsqu’une partie d’un de ses gènes était supprimée. Les chercheurs venaient de supprimer la fonction virale diminuant la toxicité de ce virus (5).

Enfin, des scientifiques japonais ont réalisé une combinaison de gène du virus du SIDA humain avec des gènes du même virus attaquant les singes et un gène humain codant une protéine impliquée dans le système immunitaire. Les résultats obtenus ont montré que le gène humain stimule la multiplication d’un tel virus, et, selon les chercheurs, “a un effet sur la multiplication virale et la toxicité chez l’Homme” (6).

1, ”Expression of cereolysine ab genes in Bacillus anthracis vaccine strain ensures protection against experimental hemolytic anthrax infection”, Pomerantsev AP et al. (1997), Vaccine 15:1846-1850

2, New York Times, 4 September 2001

3, “Molecular cloning and expression in Escherichia coli of the lethal factor gene of Bacillus anthracis”, Robertson DL et al. 1986, Gene, 44(1):71-8

4, A. Hay, cité dans ‘The bugs of war’, Nature 411:232-235

5, “Recovery of Infectious Ebola virus from complementary DNA : DNA Editing of the GP gene and viral cytotoxity”, Volchkov VE, et al. (2001),

Science 291 : 1965-1969

6, “Construction of SIV/HIV-1 chimeric virus having the IL-5 gene and determination of their ability to replicate and produce IL-5”, Kosyrev et al.,

Arch Virol 2001, 146,1051-62


La production de vaccins médicaments ou d’autres substances actives biologiquement dites “comestibles” (moléculture), car produites par des cultures agricoles, peut rapidement se révéler dangereuse dans le cadre d’une utilisation hostile. Depuis une dizaine d’années, les modifications génétiques des plantes agricoles cherchent, entre autres, à produire et fournir des vaccins. Plusieurs articles démontrent que les plantes transgéniques peuvent induire une réponse immunitaire chez l’Homme (Haq et al. 1995, Streatfield/Howard 2003), et des essais cliniques sur patients humains sont en cours de réalisation, testant des vaccins produits par des cultures (3). Ces vaccins peuvent être extraits de la plante en vue de traitement ultérieur ou bien directement administrés aux patients par consommation de la plante productrice. Les vaccins ne sont qu’un exemple des différentes molécules pouvant être produites par des cultures transgéniques. Plusieurs entreprises utilisent cette technologie afin de produire des enzymes industrielles, des hormones de croissance ou encore, des produits pharmaceutiques, ce qui pose un problème sérieux pour la santé humaine et l’environnement, surtout lorsque ces molécules pharmaceutiques sont produites par des plantes comestibles (4). En ce sens, la récente mission parlementaire française sur les enjeux des essais et de l’utilisation des OGM a proposé dans son rapport d’“adapter les conditions de ségrégation d’une culture OGM à finalité médicamenteuse en fonction du danger potentiel que représenterait une ingestion accidentelle. En particulier, utiliser des plantes qui n’ont pas de finalité alimentaire, sauf nécessité absolue dûment justifiée […] et protéger matériellement les parcelles de plantes transgéniques à finalité médicale contre les intrusions humaines et animales ; requérir l’avis du ministère de la santé” (5).

Dans le cas de conflits prolongés, il pourrait être tentant d’utiliser de telles cultures pour répandre des molécules nocives, induisant par exemple des cancers ou des diminutions de fonctions vitales comme la fertilité chez les Hommes ou les animaux, ou encore en introduisant la fragilité d’une culture qui pourrait conduire à sa destruction complète. De tels “outils guerriers” pourraient aisément être introduits dans les stocks de semences, grenier alimentaire d’un pays. Une telle action peut être simplement effectuée sous couvert de distribution d’aide alimentaire.

Des molécules comme celles agissant sur la composition sanguine pourraient représenter une arme efficace et la production de ces molécules ne serait pas techniquement difficile. Ainsi, l’entreprise américaine Epicyte a développé un maïs contraceptif en modifiant génétiquement le maïs afin qu’il produise un anticorps contre le sperme humain. Elle souhaite dorénavant pouvoir le produire en grande quantité afin de vendre ces anticorps sous la forme d’un gel contraceptif. Pourtant, il n’existe encore aucune preuve de l’intérêt économique des “plantes-médicaments” par rapport à la production des mêmes molécules par des cellules GM cultivées en fermenteur. De plus, cette technologie ainsi que les produits qui en résultent sont très difficiles à contrôler. Le scandale du maïs Starlink (cf. Inf’OGM n°18) ou plus récemment du maïs Bt10 aux Etats-Unis sont là pour nous le rappeler (cf. Inf’OGM n°62).

Quels contrôles législatifs ?

Le premier traité international interdisant l’utilisation d’armes biologiques est le Protocole pour la Prohibition des Gaz Asphyxiants, Empoisonnants ou autres et des Méthodes de Guerres Bactériologiques, connu sous le nom de Protocole de Genève. Négocié sous les auspices de la Société des Nations au lendemain de la première guerre mondiale, ce protocole présentait plusieurs défauts : les interdictions ne portaient pas sur la production, le développement et le stockage d’armes biologiques (et chimiques) et plusieurs pays se sont réservés le droit d’utiliser des armes biologiques comme instruments de représailles. Dans les années 50, le Royaume-Uni puis les Etats-Unis dans les années 60, ont renoncé au développement d’armes biologiques. Ces décisions ont conduit à la Convention de 1972 (BTWC) sur l’interdiction de développer, produire et stocker des armes bactériologiques et toxiques, et à la destruction des stocks existants. A ce jour, 144

pays sont signataires de cette convention (6).




Quand le contrôle biologique légitime les armes biologiques

Fin des années 90, deux champignons GM étaient prêts dans les laboratoires, Pleospora papaveracea et Fusarium oxysporum. Le premier fut testé en 2001 en Ouzbékistan, avec financements et appuis scientifiques américains, pour ses capacités à détruire des champs d’opium. Le deuxième devait être testé en Colombie en 2000 pour sa capacité à détruire les cultures de coca, mais un mouvement international de protestation a fait suspendre temporairement le projet. Afin de prévenir les critiques évidentes qui, sur la base de la BTWC, pourraient dénoncer l’utilisation de ces organismes destructeurs de cultures, les promoteurs de ces organismes expliquent que l’objectif n’est pas la guerre mais un contrôle biologique des mauvaises herbes ou insectes dans le cadre d’une agriculture durable. Cet argument est dénoncé par des scientifiques spécialisés dans le contrôle biologique qui déclarent : “nous rejetons tout lien entre un contrôle biologique légitime et l’utilisation d’agents biologiques dans l’élimination des parasites. Nous souhaitons également souligner que le contrôle biologique est inoffensif pour l’environnement et n’est jamais utilisé sans l’accord des agriculteurs…”. Ainsi, le contrôle biologique régule les populations de parasites mais n’éradique pas les cultures cultivées comme le font les deux champignons modifiés génétiquement.

“Warning against the use of biological agents in forced drug eradication”, Déclaration de plus de 25 experts internationaux sur le contrôle biologique,

avril 2000


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Cette convention interdit donc le développement, la production, le stockage, l’acquisition et la rétention d’armes biologiques ou toxiques “quels que soient la méthode de production, le type et la quantité concernés qui ne soient pas à usage prophylactique, défensif ou autres usages pacifiques”. Cette interdiction s’étend également aux “armes, équipements ou modes de dissémination destinés à l’utilisation de ces armes biologiques ou toxiques à des fins hostiles ou dans le cadre de conflits armés”. La convention définit les armes biologiques par des critères généraux. Ces critères n’interdisent pas des organismes vivants spécifiques ou leurs produits dérivés. Ils n’interdisent que leur développement à des fins hostiles puisque tout organisme vivant peut être utilisé à des fins pacifiques. Mais les connaissances et l’équipement nécessaires pour en faire des armes sont les mêmes que dans le cadre de recherches civiles. Pour exemple, la toxine du Botulinium (“Bot Tox”) est une arme biologique du fait de ses effets sur les muscles mais également un produit de cosmétique réputé pour agir sur les rides du visage.

En signant cette convention, les pays s’engagent à détruire ou convertir à des utilisations pacifiques tous les agents biologiques et équipements en leur possession, à prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les exigences de la convention soient respectées et à coopérer pour faciliter tout échange d’équipement, de matériels et d’informations scientifiques et techniques sur les utilisations pacifiques de ces agents biologiques et toxiques. Les plaintes concernant l’absence d’application de cette convention sont adressées au Conseil de Sécurité des Nations unies.

Négociations ardues

Mais ce traité est dénué de toutes possibilités de vérification des exigences énoncées par les pays signataires. En 1994, une négociation sur un Protocole de Vérification a donc été entamée. Ce protocole fournirait le cadre général définissant les besoins de transparence entre les pays signataires par le biais de déclarations internationales sur les avancées biotechnologiques qui pourraient être liées à des recherches sur les armes biologiques ou détournées pour la production de ces armes ; d’inspections effectuées par une équipe d’experts internationaux sur les lieux déclarés, procédure nécessaire lorsque les déclarations internationales s’avèrent confuses ou incomplètes ou que des productions, stockages ou utilisations d’armes biologiques sont suspectés.

En novembre 2001, ces négociations sur le Protocole de Vérification furent suspendues lorsque les Etats-Unis déclarèrent qu’ils ne soutiendraient pas et ne permettraient pas la finalisation d’un tel accord multilatéral. Les raisons invoquées par les représentants du gouvernement américain concernaient, entre autres, leur conviction que d’autres pays trichaient lors de ces négociations, leur souhait que les Etats-Unis ne soient pas soumis aux mêmes exigences que les autres pays et enfin, leurs craintes que les industries américaines de biotechnologie ne soient espionnées par les inspecteurs (7). Théoriquement, les Etats signataires de la convention peuvent utiliser une procédure de vote pour redémarrer les négociations sur ce protocole de vérification mais une telle procédure n’est que très peu utilisée dans le domaine du désarmement. La plupart des Etats signataires considèrent qu’au vu des développements biotechnologiques américains et de leur force militaire, ce pays doit être signataire de ce protocole de vérification, faute d’efficacité. Un autre protocole pourrait aider à limiter le développement de telles armes : celui de Carthagène, dont les liens sont étroits avec le BTWC (cf. encadré).

Le cas de la France

Très peu d’informations sont disponibles sur les expériences de génie génétique dans le programme français de biodéfense. Certains indices suggèrent qu’au moins deux agents d’armes biologiques ont été produits par les moyens du génie génétique par des chercheurs du Centre d’études du Bouchet (CEB) au début des années 90. En 1991, des chercheurs du CEB ont présenté une production de toxine de serpent à l’échelle pilote lors d’une conférence aux États-Unis sur la biodéfense. Selon cet exposé, le gène de l’Erabutoxine A., provenant d’un serpent marin asiatique, a été introduit dans des bactéries E. coli afin de produire cette toxine à l’échelle pilote (8). Cette étude a été présentée comme un exemple de travail “d’évaluation de la menace”. Selon les titres de deux présentations faites par des chercheurs du CEB, cet organisme s’est engagé à la fin des années 90 dans la production et la purification de “toxine epsilon” (9) vraisemblablement la toxine létale de Clostridium perfringens. Le rapport annuel 1998 de l’Unité bactéries anaérobies et toxines de l’Institut Pasteur, qui a collaboré avec le CEB dans la production de toxines clostridiales, déclare : “la toxine epsilon pourrait être utilisée comme une arme biologique et le Service de Santé de l’Armée s’intéresse à cette toxine. Des études de pharmacologie de cette toxine ont été entreprises au CEB. En collaboration avec le CEB, nous étudions l’expression et la régulation de la toxine epsilon (…) Nous avons transféré ce gène [pour la toxine epsilon] dans différents vecteurs navettes E. coli-C. perfringens (…) et nous avons transformé des souches de E. coli et de C. perfringens non toxiques (…). Nous avons obtenu ainsi une souche produisant environ 10 fois plus de toxine epsilon que la souche sauvage…” (10). Donc, en coopération avec le CEB, le gène d’un agent au potentiel d’arme biologique a été inséré dans des souches non pathogènes afin de produire 10 fois plus de cet agent que les souches naturelles. Dans une autre étude mentionnée dans le même rapport annuel, une toxine produite par C. perfringens a été insérée génétiquement dans une autre souche et a été produite avec une concentration de 40 à 80 fois supérieure à celle de la souche sauvage. Dans le même laboratoire, des études sur (et des transferts de gènes avec) des gènes de la toxine botulique ont également été réalisées par un chercheur invité venu du centre des forces armées US pour la biodéfense médicale, l’USAMRIID.




Biosécurité et biodéfense : liens et synergies

La convention sur les armes biologiques (BTWC), vieille de trente ans, est, théoriquement, un instrument puissant. Le Protocole de Carthagène est, quant à lui, un instrument récent destiné à répondre à plusieurs problèmes posés par la biotechnologie moderne. Ce dernier est entré en vigueur le 11 septembre 2003. Ce protocole a été l’occasion de pointer de nombreux problèmes de la BTWC, reconnus par les Etats signataires mais qui n’ont pas trouvé de solutions (1).

Etude comparée de la BTWC et du Protocole de Carthagène

Sujet : la BTWC concerne les armes biologiques, modifiées génétiquement ou non. Le Protocole de Biosécurité de Carthagène concerne les OVM (organismes vivant modifiés). Ce dernier a donc des recoupements avec la BTWC sur les organismes génétiquement modifiés (OGM).

Objectifs : la BTWC interdit le développement, la production, le stockage, l’acquisition et la rétention de toute arme biologique. Le Protocole de Carthagène vise à “prévenir et réduire les risques sur la biodiversité, en prenant en compte les risques sur la santé humaine issus du développement, de la manutention, de l’utilisation, du transfert et de la dissémination de tout organisme vivant modifié”.

Méthode : la BTWC, par le biais des critères généraux définissant les objectifs, impose des limites aux recherches sur les agents biologiques. Ces critères établissent les types et quantités d’agents biologiques à visée non pacifique qui deviennent donc illégaux. Le Protocole de Biosécurité adopte une approche basée sur le principe de précaution qui précise que l’absence de certitudes scientifiques ne doit pas empêcher les gouvernements de prendre toutes mesures nécessaires afin d’éviter des effets secondaires. Ni les critères généraux définissant les objectifs, ni le principe de précaution ne sont limités à certaines activités spécifiques. Les deux établissent des principes généraux qui s’appliquent à un ensemble d’activités scientifiques plus larges, éliminant ou limitant ainsi celles qui pourraient devenir dangereuses.

Santé humaine : la pierre angulaire d’une loi de contrôle des armes biologiques, comme la BTWC, est la protection des civils des violences dues aux armes. Dans le cas de la BTWC, cette pierre angulaire s’étend à l’interdiction totale de toutes classes d’armes biologiques et toxiques offensives. Le Protocole de Carthagène est issu des objectifs de la Convention pour la Biodiversité (CBD) portant sur la conservation, l’utilisation durable et le partage équitable des bénéfices de cette diversité biologique. Il ajoute, dans ces objectifs généraux, que cette loi sur la biosécurité prend également en compte les risques pour la santé humaine. Cette dernière disposition rapproche ce protocole de la BTWC.

Champ d’application : la BTWC s’applique à toutes les armes biologiques, quels que soient leur localisation et leur type. Les dispositions du Protocole de Carthagène, à l’inverse, concernent les mouvements transfrontaliers des OGM mais ne s’appliquent pas, par exemple, aux organismes à usage confinés. Certains pays signataires du Protocole de Carthagène ont étendu ces dispositions minimums aux organismes à usage en milieu confiné. De telles politiques trouvent leurs justifications dans les objectifs, dispositions générales et la portée du Protocole de Carthagène (articles 1, 2 para. 4, et 4) et dans l’article 19 de la Convention sur le Biodiversité (CBD) qui a donné lieu à l’accord. Cet article se réfère à “tout organisme génétiquement modifié” ayant des impacts sur la biodiversité.

Mouvement des organismes : les deux protocoles demandent aux Etats signataires de s’assurer que les OGM franchissant dans un sens ou dans l’autre leurs frontières ne seront pas utilisés à des fins nocives sur les humains, animaux et plantes. Cette relation offre de nombreuses synergies d’action dans le champ d’application de ces accords, permettant de plus grandes possibilités de protection face aux armes biologiques.

Transfert de technologie : l’article 10 de la BTWC demande aux Etats signataires “d’entreprendre […] le plus d’échanges possibles d’équipement, de matériels et d’informations scientifiques et technologiques pour l’utilisation d’agents bactériologiques et toxiques à visée pacifique”. Le Protocole de Carthagène et la CBD contiennent également des obligations sur le transfert de technologies, incluant les biotechnologies, liées à la biosécurité. Les deux accords contiennent une obligation de développer des systèmes de transfert qui soient sécurisés, équitables et qui répondent aux dispositions que les deux protocoles ont adoptées, relativement aux pays en développement.

Mais ces contrôles à venir ne permettront pas de s’affranchir de l’erreur humaine. Ainsi, le récent cas des échantillons de virus de grippes perdus entre des laboratoires est peu encourageant quant aux capacités des autorités à maîtriser les problèmes potentiels. En octobre 2004, le Collège des pathologistes américains a, en effet, envoyé par inadvertance les échantillons du virus responsable de l’épidémie de grippe asiatique dans les années cinquante à 3700 laboratoires dans 18 pays pour évaluer leurs capacités d’identification. Or la trace de ces échantillons a été tout simplement perdue, provoquant une réaction “d’inquiétude” de la part de l’Organisation Mondiale de la Santé (2).

1, Au cours de la 5ème conférence générale de la BTWC ainsi que lors de réunions antérieures, plusieurs gouvernements ont reconnu que la prolifération des biotechnologies et du savoir correspondant accéléraient la menace posée par les armes biologiques. Voir la contribution du gouvernement britannique à cette 5ème conférence générale, document BWC/CONF.V/4/Add.1, HTTP://www.opbw.org.

2, HTTP://radio-canada.ca/nouvelles/Sa…


L’objectif général de ces recherches sur les venins reste peu clair. La plupart des toxines étudiées sont des neurotoxines, et de nombreuses études neurologiques ont été réalisées, incluant l’analyse des effets neurotoxiques de venins bruts, des recherches fondamentales sur les mécanismes de la toxicité, sur les effets d’une toxine de poisson sur l’activité du cerveau (11), et sur les effets comportementaux de mycotoxines (12). Une vaste gamme de toxines de serpents a été étudiée au CRSSA, dont la dendrotoxine, la paradoxine, la crotoxine, et l’ammodytoxine (13). Il est notable qu’un élément constant des travaux français de biodéfense a été et reste les recherches sur la grippe. La grippe est le seul virus sur lequel travaille le CEB. Des recherches sur les infections de la grippe par voie aérienne ont été publiées dès 1974 par des chercheurs du service de santé de l’armée française (14). Plus récemment, le CEB et l’hôpital militaire HIA Bégin, en collaboration avec des chercheurs universitaires, étaient impliqués dans plusieurs projets se concentrant sur le développement de traitements possibles contre les infections de la grippe propagées par voie aérienne (15). Un des volets de ce travail est la surinfection par d’autres pathogènes d’animaux infectés par la grippe (16). Selon une publication récente, une “souris modèle d’infection par le virus létal de la grippe A” a été créée pour ces expériences. Ce type de recherches n’est pas exceptionnel, et les personnels militaires sont autant sujets aux infections par la grippe que le public en général.Unprogramme militaire de recherches sur le traitement de la grippe ou sur sa prophylaxie peut aisément être justifié. Il faut noter, cependant, que le CEB est un complexe dédié à la biodéfense et que l’hôpital militaire Bégin est l’une des trois principales institutions militaires de recherches en biodéfense Il est donc prudent de présumer que ces recherches sur la grippe se consacrent spécialement à la défense biologique. Bien que le virus de la grippe puisse réellement être une arme biologique efficace – en particulier si l’on considère des souches modifiées génétiquement portant des gènes de la souche mortelle de 1918 (17) – il n’est pas, d’un point de vue militaire, le principal agent viral d’armes biologiques. La plupart des experts considèrent d’autres virus tels qu’Ebola, Lassa ou la variole comme des menaces biologiques majeures (18). La question reste ouverte de savoir pourquoi la communauté militaire française de biodéfense a maintenu une attention spéciale sur la grippe, au moins de 1974 jusqu’à aujourd’hui.

Inéluctable ?

Les récentes discussions au sein de l’Assemblée Mondiale de la Santé sur le virus de la variole sont une excellente description de ce que peut être la réalité de la situation sur les OVM. Suite à un rapport du Comité d’Experts Ad-Hoc sur la variole, cette assemblée constitutive de l’OMS doit s’exprimer sur le bien fondé de la demande des Etats-Unis et de la Russie à ne pas éradiquer les dernières souches du virus de la variole, en raison de travaux en cours dans ces deux pays pour le modifier génétiquement (19).

De nombreuses nouvelles armes, dont certaines encore inimaginables aujourd’hui, vont suivre. Les compréhensions croissantes des interactions entre le vivant et ses maladies vont permettre le développement, par le génie génétique, d’armes ciblant les cultures agricoles ou les élevages. Le décryptage du génome humain, les gènes et organismes synthétiques, les nouvelles approches de thérapie génique et de délivrance des médicaments, et enfin les expérimentations du génie génétique sur des micro-organismes potentiellement pathogènes vont accroître les disponibilités d’agents biologiques aux fins hostiles. L’Humanité saura-t-elle s’autocontrôler avant de lâcher ces germes mortifères ?

1, “Averting the Hostile Exploitation of Biotechnology”, Meselson M., CBW Conventions Bulletin, Juin 2002, pp 16.

2, Contribution du gouvernement britannique à la 5ème conférence générale de la BTWC, document BWC/CONF.V/4/Add.1

3, cf. par exemple, le communiqué de presse de ProdiGene USA du 12 août 2002 : Prodigene et l’Institut National à la Santé débute la phase 1 d’étude d’un vaccin oral issu de maïs transgénique.

4, Pour plus de détails sur les effets possibles sur l’environnement et la santé humaine, cf. “Manufacturing drugs and chemicals in crops”, publié par les Amis de la Terre, www.foe.org/camps/

comm/safefood/biopharm/BIOPHARM_REPORT.pdf

5,www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2254-t1.asp

6, www.sunshine-project.org/

7, Sur ce dernier point, l’Europe a exprimé son désaccord. Des pays de l’Union européenne ont conduit des inspections factices mais selon les critères du protocole. Leurs conclusions furent que la propriété industrielle ne serait pas menacée par ces inspections. Des ONG ont souligné que même si un régime d’inspection poussé contenait un tel risque, c’était un prix à payer fort raisonnable pour éviter une course à l’armement biologique effrénée.

8, “Expression of erabutoxin-a gene in Escherichia coli cultivated in pilot fermenter”, P. Silvestre et al., US Army CRDEC Scientific Conference on Chemical Defense Research, 19-22 novembre 1991, livre d’extraits, p 27.

9, Conférences données par Didier Hilaire, MRC françaises 1998, page 230, et Valérie Morineaux, MRC 1999, page 49.

10, www.pasteur.fr/recherche/RAR/RAR1998/Anaer.html

11, “Anomalies électroencéphalographiques chez le rat après administration de venin de poisson-pierre (Synanceia verrucosa)”, Breton P. et al., (1999), Extrait d’une affiche au Colloque SFET 1999. www.sfet.asso.fr/resumbreton.htm

12, “Effects of penitrem A on rat’s performances in passive avoidance and Morris water maze test”. Mycopathologia 138:99-104. Breton P. et al., (1998) Brain neurotoxicity of penitrem A : electrophysiological, behavioural and histopathological study”, Deschaux O. et al., (1997) , Toxicon 36:645-655.

13, “Secreted phospholipase A2-induced neurotoxicity and epileptic seizures after intracerebral administration : an unexplained heterogeneity as emphasized with paradoxin and crotoxin”, Dorandeu F. et al., (1998), J Neursc Res 54:848-862.

14, “Local immune response in experimental airborne influenza of Balb/c mice infected with myxovirus influenza A/Hong-Kong/1/68 (H3N2)”, Lemercier G. et al., (1974), Arch Gesamt Virusforsch. 45:113-121. Bottex C. et al. (1977) “Affinity chromatography purification of surface antigens from Myxovirus influenzas”, C R Hebd. Seances Acad Sci Ser D 284:2059-2062.

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17, Pour une discussion de la résurrection génétique du virus de la grippe espagnole de 1918, voir la page d’accueil du site www.sunshine-project.org.

18, Cf., par exemple, les listes d’agents de bioterrorisme du CDC, qui inscrivent en catégorie A uniquement les filovirus (Ebola, Marburg) et les arenavirus (tels que Lassa).

19, www.smallpoxbiosafety.org

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