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AMERIQUE LATINE – Le soja OGM, un soja « responsable » ?

Par Christophe NOISETTE, Anne FURET

Publié le 23/07/2010, modifié le 27/02/2025

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Le 21 juillet, l’association de la Table ronde pour un soja responsable (RTRS) a rendu publics les principes et critères retenus pour la définition du soja responsable [1]. Gros point noir : le soja génétiquement modifié n’est pas explicitement exclu des critères pour valider le soja comme « responsable ». Le soja Round-up ready (tolérant le glyphosate) pourrait donc être labellisé « soja responsable ».

Le fruit d’un consensus entre des organisations peu représentatives ?

La table ronde a été créée en 2004 afin de définir des normes globales de production responsable de soja, par « un consensus entre les parties prenantes à la table ronde » [2]. Les participants vont des producteurs de soja, aux représentants d’industries (Cargill, Monsanto ou Syngenta), du commerce et de la finance en passant par quelques organisations de la société civile comme WWF (l’un des vice-présidents de la table ronde est le coordinateur du programme agriculture et environnement du WWF-Brésil). Mais nombreuses sont les ONG qui n’ont pas voulu participer à ce qu’elles considéraient comme de l’écoblanchiment. Ainsi, en juin 2010, plus de 200 ONG de différents continents adressaient une lettre publique aux participants à la table ronde pour dénoncer le manque de représentativité, et le peu d’appui de la société civile et des mouvements sociaux à cette initiative [3]. Une manifestation a même été organisée le 19 mai 2010 devant le siège néerlandais de WWF. Un mois après, en juillet 2010, plusieurs dizaines de scientifiques ont signé un rapport fournissant plus de 150 références scientifiques démontrant que le soja GM certifié durable est une imposture. Et au cours des discussions, deux gros producteurs de soja brésiliens ont décidé de quitter le processus.

Le soja transgénique n’a rien de « responsable »…

La lettre ouverte critique vivement la nette insuffisance des critères retenus en terme de limitation de la déforestation. C’est également la possibilité de certifier du soja GM comme responsable que les ONG rejettent. Elles expliquent que si la monoculture du soja induit intrinsèquement des atteintes à l’environnement et aux populations locales, cela est encore plus vrai pour le soja GM tolérant le Round-up. Le soja RR permet en effet l’épandage de Round Up, un herbicide à base de glyphosate, par voie aérienne de manière non sélective, ce qui a conduit à un accroissement considérable de l’utilisation de cet herbicide, à l’appauvrissement des sols, à l’apparition de plantes résistantes et à de sérieux problèmes de santé dans les populations rurales dont les habitations et les champs jouxtent les immenses étendues de soja RR. Par ailleurs, la RTRS a été mise en place en 2004 : mais depuis cette date, il n’a pas été constaté une diminution de la déforestation en Amérique latine.

Suite à la pétition pour que WWF se retire de cette table ronde qui ne sert qu’aux grandes entreprises semencières à se donner un semblant de responsabilité sociale et environnementale, le directeur de WWF France, Serge Orru, avait répondu que « les critères de soja responsable de la RTRS n’ont pas encore été validés et notre soutien à cette initiative reste relative à la possibilité de différencier la certification d’un soja OGM ou non. Les critères et indicateurs en discussion prévoient la limitation de l’usage des pesticides, l’arrêt de la déforestation, le respect des populations traditionnelles et les droits des travailleurs… Fin mai, si les critères et indicateurs retenus ne satisfont pas à nos exigences, le WWF se réserve le droit de ne plus soutenir cette initiative » [4]. Or, malgré l’acceptation des OGM dans les critères finalement retenus, le WWF n’a pas quitté la RTRS et n’a pas émis publiquement de critiques, ni au Brésil, ni en France.

Le WWF a aussi expliqué que si l’exclusion des OGM n’avait pas été acceptée, cette table ronde permettait, malgré tout, un progrès car d’autres critères écologiques avaient été acceptés par les industriels. D’autre part, pour le WWF, il est important, si ce n’est obligatoire, de travailler de concert avec l’industrie. Cette organisation ne croit pas dans l’affrontement direct. Loin de là, « le WWF croit qu’en développant un cahier des charges avec d’autres acteurs, [il] peut avoir un impact plus grand qu’en refusant de participer » [5]. Tout le débat est là : accepter des compromis pour faire avancer des idées en risquant de servir de caution à des pratiques peu recommandables.

…mais il permet d’attirer des crédits carbone

Et ce soja responsable devrait alors aussi devenir éligible au mécanisme de développement propre, mécanisme mis en place avec le protocole de Kyoto qui permet à une entreprise qui fait bénéficier un pays en développement d’une « technologie propre » (terme non défini, bien entendu…) de récupérer des crédits carbone. Le soja transgénique est considéré par ses promoteurs comme permettant de pratiquer une agriculture sans labour et donc d’être classé dans les techniques de l’agriculture de conservation. Or, pour de nombreux agronomes ou ONG, les bénéfices réelles de l’agriculture sans labour par rapport à la crise climatique sont annulés par l’utilisation massive d’herbicide ou la déforestation. Et si le gain global pour l’environnement est nul, les conséquences sociales, elles, sont grandes.

D’autres critères existent qui excluent formellement les OGM

Concernant la culture du soja en Amérique latine, un autre travail défendu par WWF avait été mené et rendu public sous le nom de « critères de Bâle », en 2004 [6]. Ces critères sont plus exigeants et refusent par exemple l’utilisation des plantes transgéniques pour recevoir la certification (critère 2.3.1). Le critère suivant est lui aussi très pertinent car il impose que « seuls sont utilisés des semences et des plants de qualité dont la provenance est connue ». Autrement dit les producteurs qui s’engagent dans cette démarche devront « conserver les attestations et certificats attestant la qualité, la pureté, le nom et le numéro de lot de la variété achetée ainsi que le nom du vendeur ». Concrètement, en Autriche, en 2008, 100000 tonnes de soja certifié selon les critères de Bâle ont été importées, soit 17% des importations de soja autrichien.

Le consommateur bientôt perdu ?

Se pose aussi la question du devenir de ce label « soja responsable » en Europe. Est-ce que cela deviendra un élément de marketing, augmentant la confusion dans l’esprit des consommateurs français et européens ? Si ce label venait à être utilisé par l’industrie agro-alimentaire, on pourrait alors voir apparaître des étiquettes sur de la viande de porc nourri avec du soja « responsable » transgénique. Ce label entrerait aussi en concurrence directe avec le label « sans OGM », qui n’arrive pas à émerger en France, malgré un avis très intéressant du Haut Conseil sur les Biotechnologies.

Plus fondamentalement, beaucoup dénoncent finalement une certification qui entretient le système de production basé sur la monoculture du soja et ne remet en cause ni la dépendance européenne en alimentation animale importée, ni un modèle de production intensive de la viande (le soja est un ingrédient incontournable des élevages intensifs) [7]. Or, c’est le modèle global qu’il faut faire évoluer et la certification du soja en Amérique latine empêchera assurément une réflexion plus globale sur notre alimentation et notre rapport au vivant.

[3Open Letter : Growing Opposition to Round Table on Responsible Soy

[7cf. Noisette C. (septembre 2010), « Des OGM pour lutter contre le changement climatique ? », Montreuil : Inf’OGM, 36 pages

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