L’introduction des OGM en Europe ferait exploser la consommation d’herbicides
Le débat sur les PGM tolérant les herbicides, et donc sur le modèle agricole utilisant les herbicides, est bel et bien d’actualité. Outre le dernier rapport de Greenpeace sur le sujet [1], le CNRS et l’Inra rendaient, fin 2011, les conclusions d’une expertise sur les variétés tolérantes aux herbicides (VTH) [2]. Le 19 novembre, le ministre de l’Agriculture français affirmait que « les OGM […] ne sont pas la bonne solution ». Et le 26 novembre, à Tours, étaient jugés pour la première fois des faucheurs volontaires ayant détruit un champ de tournesols mutés pour tolérer des herbicides [3]. Le point sur ce dossier, avec un focus sur le rapport Greenpeace.
Dans un rapport publié le 30 octobre 2012, Greenpeace estime que la mise en culture de maïs, betterave et / ou soja transgénique en Europe provoquerait une augmentation des quantités d’herbicides utilisées, un accroissement du problème de résistance aux herbicides et une fragilisation de la situation financière des agriculteurs liée à cette consommation croissante d’herbicides et à une augmentation du prix des semences.
Les États-Unis, terre de résistance…
Charles Benbrook, de l’université de Washington et du Centre pour l’agriculture durable et les ressources naturelles, suit les consommations annuelles d’herbicides aux États-Unis à partir de statistiques gouvernementales. Selon ses travaux, contestés sur certains chiffres mais pas sur la tendance, cette consommation avait augmenté de 173 500 tonnes entre 1996 et 2009 [4]. Malgré la fin des statistiques officielles [5], Benbrook a continué sur la base d’estimations pour son rapport de fin 2012. En 2010, études scientifiques et témoignages sur la résistance des adventices (mauvaises herbes) aux herbicides conduisait le Congrès étatsunien à mener des auditions sur le sujet. Monsanto proposait alors d’offrir un rabais pour les agriculteurs multipliant les herbicides contre les herbes résistantes au Roundup [6]. Depuis, le gouvernement subit l’assaut des lobbys pour autoriser des PGM tolérant des herbicides à base de principes actifs autre que le glyphosate, comme le 2,4-D [7] pour tenter de se débarrasser des « mauvaises herbes » tolérant le glyphosate.
Une explosion des herbicides programmée ?
Pour Greenpeace, C. Benbrook a estimé, à partir de données des États-Unis, les quantités d’herbicides qui seraient utilisées en Europe entre 2011 et 2025, selon trois scénarios : aucune mise en culture de PGM tolérant les herbicides – mise en culture sans limite – mise en culture encadrée (interdiction, par exemple, de cultiver ces PGM deux années de suite sur un même champ). Maïs, betterave et soja GM ont été choisis car en cours d’autorisation en Europe. L’estimation des surfaces européennes cultivées entre 2011 et 2025 a été faite à partir de l’évolution des surfaces de culture de ces plantes entre 1996 et 2011. Cependant, les augmentations ou diminutions de surfaces ont été plafonnées par C. Benbrook à 20%. La part relative que représentent les maïs, soja et betterave GM dans ces surfaces a été calquée sur celle des États-Unis. Puis, les quantités d’herbicides utilisées ont été estimées en se basant sur les quantités d’herbicides utilisées en Europe sur ces cultures et celles utilisées aux États-Unis suite à l’adoption de cultures GM tolérantes aux herbicides.
La conclusion est que la culture de PGM tolérant les herbicides conduira à une hausse de l’utilisation de ces derniers. Considérant la politique de l’UE d’utilisation durable des pesticides [8] et la nature des cultures avec ou sans labour, C. Benbrook livre son analyse. Le maïs non GM est la seule culture à induire, comme les cultures GM, une hausse des quantités d’herbicide. Pour l’auteur, le développement des cultures sans labour comme l’augmentation du prix des matières premières qui incitera des pays non producteurs de maïs à se lancer dans cette culture, GM ou non GM, conduiront à une hausse des quantités d’herbicides utilisées.
Une autorisation des betteraves GM tolérant les herbicides conduirait à une augmentation des quantités utilisées car la betterave nécessite un fort traitement des mauvaises herbes. Un encadrement de la mise en culture des betteraves GM conduirait à une stagnation des quantités totales utilisées, la part du glyphosate passant, elle, de 12 à 42% de ce total.
Pour le soja, peu cultivé en Europe aujourd’hui, l’auteur fait l’hypothèse, sans explication – ce qui est regrettable -, qu’il sera plus cultivé du fait même de l’autorisation de soja GM résistant aux herbicides, atteignant 90% des surfaces de soja dans quelques pays. D’où une augmentation des quantités d’herbicides utilisées inhérente à la mise en culture de variétés GM.
Côté limites de ce travail, rien n’est dit sur les conséquences de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) en cours. Or, les subventions allouées à telle ou telle culture influencent fortement les surfaces emblavées. Ce qui pourrait donc aller à l’encontre des estimations de C. Benbrook ou les renforcer. De même pour les agrocarburants, que l’UE souhaitait pousser dans un premier temps mais pour lesquels elle semble plus frileuse aujourd’hui, du fait des pénuries de denrées alimentaires se profilant. Par ailleurs, et Greenpeace le souligne elle-même, ce travail repose sur des extrapolations à partir de 2009 aux États-Unis.
Tolérance aux herbicides : un modèle mis à mal
Le 26 novembre 2012, trois faucheurs étaient jugés pour avoir fauché des tournesols mutés tolérants des herbicides en 2009. Par cette action, ils visaient à mettre en avant la problématique des variétés rendues tolérantes à des herbicides par mutagenèse, qui échappent à la directive 2001/18 puisque exclues explicitement de son champ d’application.
Quelque temps après la rencontre du 4 septembre 2009 entre les faucheurs et le ministère de l’Environnement, le gouvernement commandait une expertise collective CNRS – Inra. Selon la Présidente de l’Inra à l’époque, Marion Guillou, la conclusion était que « les variétés tolérantes aux herbicides sont un outil à intégrer mais ne sont pas un remède universel » [9]. Plus de 200 espèces devenues résistantes à un ou plusieurs herbicides avaient été recensées ce qui, pour les scientifiques, remet en cause « la pérennité d’une telle innovation » !
Enfin, le 19 novembre, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, expliquait vouloir faire de la France « un leader en agro-écologie », précisant que « les OGM aujourd’hui mis à disposition ne sont pas la bonne solution […] on a soit un matériel génétique résistant à des herbicides, soit […] des résistances à des maladies spécifiques en produisant un insecticide. Je pense que ce n’est pas la bonne voie. […] Il faut ouvrir d’autres perspectives ».
Les variétés tolérant des herbicides sont donc en discussion aujourd’hui, qu’elles soient obtenues par mutagenèse, transgenèse ou par d’autres techniques de biotechnologie [10]. Reste maintenant à voir comment ce débat se formalisera. En attendant, les entreprises continuent de développer ces plantes comme au Canada où du maïs et du soja GM tolérant les herbicides à base de 2,4-D [11] viennent d’être autorisés…
[2] , « OGM : la tolérance aux herbicides, une « innovation » non pérenne », Inf’OGM, 13 février 2012
[4] , « ETATS-UNIS – Plus d’herbicides utilisés avec les OGM », Inf’OGM, 2 décembre 2009
[5] , « ETATS-UNIS – L’USDA ne surveillera plus les pesticides », Inf’OGM, septembre 2008
[6] , « Aux Etats-Unis, les résistances aux herbicides se multiplient », Inf’OGM, 21 janvier 2011
[8] Directive 2009/128 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable
[9] cf. note 2
[10] « Nouvelles techniques de manipulation du vivant, pour qui ? Pour quoi ? », éd. PEUV, octobre 2011, 80 pages, 9 euros
[11] http://newsroom.dowagro.com/press-r…, le 2,4-D est un principe actif d’herbicide utilisé pour contrer le problème d’apparition de plantes résistantes au glyphosate, tout comme le Dicamba.