Biologie synthétique : un développement discret
Hong-Kong, 10 octobre 2008 : une conférence scientifique internationale s’est déroulée pendant deux jours pour discuter de la biologie synthétique. Montpellier, 26 novembre 2008 : une conférence internationale de la société civile a discuté des impacts de la convergence des technologies du BANG (cf. encadré droit), dont la biologie synthétique est une des applications [1]. La biologie synthétique avance, avec ses questions, ses risques, ses promesses, sa part de bluff et son audience restreinte. Des avancées qui prolongent les recherches sur les OGM, encore une fois sans débat public préalable, alors même que de nombreuses entreprises ont commencé à s’intéresser à ces travaux et que de nombreuses questions se posent sur les risques liés.
Un jeu de Meccano sans vision globale
La biologie synthétique s’est mise en place autour de ce qui est considéré, par l’approche réductionniste, comme la base de l’information dans le monde du vivant : les gènes. Ce travail est le fruit de la déconstruction de l’organisation du vivant – avec la perte de vision d’ensemble et donc des mécanismes écologiques qui participent à la Vie – pour essayer d’identifier les unités de base constituantes et leurs implications dans le fonctionnement vital. Ainsi, pour arriver à construire un gène, il a fallu étudier la composition même des gènes jusqu’à l’échelle de l’atome, le rôle informatif que des gènes remplissaient dans une cellule et enfin, utiliser les résultats des sciences cognitives sur le fonctionnement de la pensée pour envisager la construction d’un organisme à part entière. Malgré les limites d’une telle approche et notamment ses aspects très réducteurs du fonctionnement du vivant au seul rôle de l’ADN, les scientifiques ont progressé dans des tubes à essai, symbolisant en quelque sorte l’écartement du rôle des autres composantes d’un organisme vivant et ses interactions avec son environnement.
Le travail de base de synthèse de séquences d’ADN, débuté dans les années 60 par l’équipe d’Har Gobind Khorana alors à l’Université du Wisconsin-Madison aux Etats-Unis, est aujourd’hui devenu routinier pour des entreprises de biotechnologies qui peuvent fournir aux laboratoires des séquences d’ADN à des prix de plus en plus bas. Par la suite, une meilleure compréhension du fonctionnement des gènes et de la régulation de leur activité aux différents niveaux d’organisation (codon, gène, chromosome), et des protéines ouvrières du fonctionnement des cellules, compréhension qui, soulignons-le, évolue encore aujourd’hui, a conduit les scientifiques à approfondir leur travail de synthèse des gènes.
C’est ainsi qu’en janvier 2008, l’annonce de Craig Venter (cf. encadré gauche) de la création dans son laboratoire d’un micro organisme au génome synthétique est sans doute une « prouesse » technique, mais pas une surprise puisque issue de décennies d’avancées dans plusieurs domaines de recherche et bien sûr, non dénuée de questions sur les implications.
La vie, un simple assemblage de pièces ?
ETC Group a identifié cinq grands pans de recherches appliquées dans le domaine de la biologie synthétique [2]. Steen Rasmussen, du Laboratoire National de Los Alamos, construit lui un code génétique n’existant pas dans la nature, en utilisant non pas de l’ADN mais de l’ADP (Acide DésoxyriboPeptidique), une molécule entièrement fabriquée par l’Homme. Enfin, Steven Benner, de l’Institut de Westheimer pour la science et les technologies, travaille à élargir le nombre de molécules (nucléotides) pouvant composer l’ADN car il pense qu’il n’y a pas de raison objective pour considérer que dans l’univers, seules quatre molécules conduisent à une information du vivant. Il en synthétise donc de nouvelles.
La nécessaire implication de la société civile
Si les biotechnologies, et les plantes transgéniques en particulier, ont souvent été présentées comme issues d’une vision réductionniste du vivant (l’ADN est la base de la vie sur terre), la biologie synthétique enfonce le clou comme on peut le voir avec ses travaux qui s’intéressent exclusivement à l’ADN. Dans ce schéma, les interactions entre organismes, participant à leur évolution, et les nombreux mécanismes de régulation et d’équilibre au sein d’un même organisme, ne sont que peu pris en considération lorsqu’il s’agit de définir le vivant et de travailler à le créer.
Ces travaux en biologie synthétique sont source de bien des inquiétudes. Un exemple : en 2002, l’équipe du Pr. Eckard Wimmer de l’Université d’Etat de New-York a commandé, par courrier électronique, de courtes séquences d’ADN synthétique, les a collées les unes aux autres et injectées dans un poliovirus [3]. L’annonce de ces travaux a allumé un feu de critiques affirmant qu’une telle publication pourrait montrer à des gens mal intentionnés comment mettre au point une arme biologique. En 2005, Jeffrey Taubenberger, de l’Institut de Pathologie des forces armées des Etats-Unis, a annoncé avoir reconstitué synthétiquement le virus de la grippe espagnole qui avait contaminé l’Europe et tué plusieurs dizaines de millions de personnes en 1918 et 1919. Comment de tels travaux peuvent-ils avoir lieu ? Parce qu’il n’existe aucun contrôle ou parce qu’ils sont autorisés. Un document public de 2003 de la CIA, habituellement peu craintive, expose les risques de telles pratiques : « la compréhension grandissante des voies métaboliques complexes à l’origine des processus de vie peut potentiellement conduire à une classe de nouveaux agents biologiques plus virulents, mis au point pour attaquer différentes voies biochimiques et produire différents effets… La même science qui peut permettre de guérir les pires maladies pourrait être utilisée pour créer les armes les plus effrayantes que le monde ait connues » [4].
Ainsi, les bio-synthétiseurs basent leurs travaux sur des connaissances qui sont encore en constante évolution. La notion de gène, comme le résume un article du New-York Times [5], le fonctionnement d’un génome et les mécanismes de régulation existant au sein d’une cellule sont des domaines de recherche en pleine ébullition. Ce qui interroge sur les avancées dans des tubes à essai qui semblent plus dangereuses qu’utiles. L’approche réductionniste du vivant au seul ADN ignore le fait que la co-évolution des organismes avec leur environnement est à la base de l’évolution des espèces depuis les premières cellules jusqu’à maintenant. Enfin, toute nouvelle technologie doit pouvoir être contrôlée. Or, comment envisager un contrôle sur des molécules n’existant pas dans la nature et manipulées à des échelles nanométriques, ce qui empêche une détectabilité facile ?
Mais des acteurs économiques ont d’ores et déjà fait le choix d’investir dans la biologie synthétique malgré tous ces risques, y compris le risque de financer des projets utopiques. Selon ETC Group [6], entre 2006 et 2008, des entreprises comme BP, Shell, General Motors, DuPont, Chevron, Cargill, ADM, Marathon Oil et Goodyear ont investi fortement dans la biologie synthétique. Beaucoup travaillent dans le domaine de l’énergie et d’autres dans le domaine agricole (DuPont, Cargill, ADM) clarifiant ainsi un objectif concret immédiat : la production d’énergie, quelles qu’en soient les conséquences.
Dans son rapport de janvier 2007 [7], ETC Group recommandait :
la tenue d’un large débat public sur les implications socio-économiques et éthiques, les impacts environnementaux, sanitaires, sur les droits de l’Homme et la sécurité ;
des cadres législatifs encadrant ces recherches : la société civile doit se saisir de ce domaine de la science et discuter aux niveaux nationaux et internationaux de la réponse à y apporter ;
des discussions sur les aspects de biosécurité et des règles conséquentes liées aux accidents ou mauvaises utilisations de la biologie synthétique ;
une évaluation par les instances internationales des implications de la synthèse d’ADN et de la biologie synthétique ;
l’interdiction de privatiser, par le biais des brevets, les bases biologiques de la vie (ADN, gène, cellules…) ;
la création d’une instance internationale pour gérer et évaluer les impacts sociétaux des technologies émergentes.
Le développement encore confidentiel de la biologie synthétique et l’investissement des entreprises dans ces travaux font aujourd’hui face à l’entrée d’acteurs de la société civile dans ce débat. Pour ces derniers, l’absence de débat public et les risques liés à de tels travaux ne sauraient être le fruit de décision et de gestion des seuls scientifiques et industriels. Fin novembre à Montpellier, s’est déroulée la conférence « BANG sur les nanos ! Quels impacts la convergence des technologies aura-t-elle sur la société ? », organisée par les associations Ouvre-Tête et BEDE [8] : signe que l’information, préalable au débat, arrive en France. Inf’OGM essaie d’y apporter sa contribution.
Un génome bactérien 100% synthétique
L’équipe de chercheurs de Craig Venter a annoncé en janvier 2008 avoir fabriqué un génome bactérien 100% synthétique [9], en collant bout à bout des séquences d’ADN synthétisées par des entreprises spécialisées, afin de reconstituer le génome complet de la bactérie Mycoplasma genitalium. En 2003, cette équipe avait créé un génome viral artificiel, à partir de gènes de synthèse, fonctionnant à l’identique d’un virus simple existant à l’état naturel. Le principe était alors le même que celui utilisé cinq années plus tard : le collage bout à bout de séquences du génome du virus.
NBIC ou BANG ?
Le gouvernement des Etats-Unis utilise l’acronyme NBIC, pour Nanotechnologie, Biotechnologie, Information et Cognitif. Du côté des organisations de la société civile qui suivent ces travaux comme le groupe ETC, on parle plus volontiers de BANG pour Bits (en référence au domaine informatique qui parle de bits pour les transferts d’information), Atomes, Neurones et Gènes. Plus qu’une simple guerre des acronymes, il s’agit pour ETC Group de mieux définir la nature même de ce qu’est le NBIC, en définissant directement les parties du vivant concernées par ce travail.
[1] BEDE : Biodiversité : échanges et diffusion d’expériences, http://www.bede-asso.org, et http://www.bangseminar.org
[2] 3, « Extreme genetic engineering, an introduction to synthetic biology », ETC Group, janvier 2007, http://www.etcgroup.org/upload/publ…] : des nouveaux microbes, l’assemblage de nouveaux ADN, des nouvelles cellules, des machineries vivantes de production, un nouveau code génétique. Ces cinq domaines de recherche ont pour point commun la fabrication de nouveaux systèmes vivants ou composantes de ces systèmes et il est intéressant de bien regarder le contenu de certains de ces domaines pour comprendre l’approche des chercheurs.
Pour le travail sur de nouveaux microbes, le travail de Craig Venter en est l’illustration concrète. S’il en est aujourd’hui à la synthèse d’un génome entier, il n’a pas encore abordé le fonctionnement d’un tel génome synthétique dans un microorganisme vivant, avec les « surprises » que cela engendrera probablement. C’est sans surprise par contre que la première application déjà envisagée est la production d’énergie.
D’autres chercheurs assemblent des molécules d’ADN aléatoirement. C’est le cas de Drew Endy, de l’Institut Technologique du Massachussets (MIT) de Boston qui a élaboré plusieurs centaines de petites molécules d’ADN, les biobriques, composant une sorte de catalogue. Pour ce chercheur, le code génétique (ADN) établi par la nature est trop redondant et mal organisé : « je me suis dit, laissons-le tomber. Construisons un système biologique nouveau, plus facile à comprendre puisque nous l’aurons fait comme on veut »[[cf. document de la note 3, page 15
[3] « Chemical Synthesis of Poliovirus cDNA : Generation of Infectious Virus in the Absence of Natural Template », Jeronimo C. et al., Science, 9 août 2002, Vol. 297. No. 5583, pp. 1016 – 1018
[4] Central Intelligence Agency’s Office of Transnational Issues, « The Darker Bioweapons Future », 3 novembre 2003
[5] « Now : The Rest of the Genome », Carl Zimmer, New-York Times, 11 novembre 2008
[7] cf.document de la note 3, page 49
[8] avec la participation de la Fondation Sciences Citoyennes, d’ETC Group, du What Next Institut et du Réseau Semences Paysannes, cf. note 1
[9] « Complete Chemical Synthesis, Assembly, and Cloning of a Mycoplasma genitalium Genome », Gibson et al., Science. 2008 Jan 24