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« Expliquez moi… les OGM », le lobby pro-OGM à l’école
Dans la collection “raconte-moi / explique-moi,..” ; collection destinée aux collégiens, aux lycéens, comme à leurs enseignants, vient de paraître un livre consacré aux OGM. Ce livre se veut neutre, explicatif. Or, rédigé en partenariat avec Proléa et Biogemma, il présente de nombreuses lacunes et des inexactitudes. (cf. analyse détaillée sur le site d’InfOGM).
Un livre vient de paraître : « Explique moi les OGM », en partenariat avec PROLEA et BIOGEMMA (compagnies agro-alimentaire et semencière), à destination des enfants et des enseignants. On s’attendrait à plus d’indépendance d’esprit lorsqu’il s’agit de cette clientèle, mais plus grave encore, ce livre délibérément partisan, écrit sous la conduite d’un inconditionnel des OGM, chercheur chez Biogemma, est préfacé par Mme Claudie Haigneré, ancienne ministre déléguée à la recherche !
Mais venons en au fond. L’argumentation est toujours la même : on va pouvoir faire des tas de choses nouvelles et, d’autre part : on a toujours fait ça. Ceux qui ont peur des contradictions sont ceux qui avaient peur de ’automobile…
Citons l’ouvrage en question :
« Les hommes, surtout, depuis près de 10 000 ans, n’ont cessé d’apprivoiser ce monde du vivant en perpétuelle effervescence. Ils ont appris à améliorer les plantes, à sélectionner les animaux, à utiliser les micro-organismes comme les bactéries et les levures pour subvenir à leurs besoins.
Si les premiers paysans n’avaient pas sélectionné certaines graminées sauvages, il y a environ 7000 ans dans le Croissant fertile, au Moyen Orient, ni le blé, ni le pain n’auraient vu le jour. »
L’argument se veut apaisant : puisqu’on fait ça depuis des milliers d’années, il n’y a pas de raison de ne pas continuer. Argument néanmoins tellement anti-scientifique qu’on se demande comment Mme Haigneré a pu s’en porter caution. Cela fait des milliers d’années que l’Homme chasse la baleine et la tortue verte ; pendant des dizaines de milliers d’années, il a jeté ses déchets dans la nature sans trop s’en soucier etc. Faudrait-il continuer, alors que le monde a changé ? Peut-on justifier la bombe atomique parce qu’on a fabriqué des gourdins ou des flèches ? Car, au fond, tout le
problème est là : le monde, en quelques décennies, a été très profondément transformé. L’évolution de la capacité technique à agir sur notre environnement se comporte comme une hyperbole : pendant plus d’un million d’années, elle reste extrêmement lente. Au XVIIe siècle, elle commence à s’accélérer, pour littéralement exploser dans ces 50 dernières années.
Dans de telles conditions, ce qui a été acceptable autrefois n’a plus forcément de sens actuellement, dans un monde radicalement nouveau. L’appel à la tradition, en tant que justificatrice des actes, tient plus de l’escroquerie intellectuelle que de l’argumentation scientifique et ce, d’autant plus, comme on l’évoquera ci-après, qu’il existe une rupture
qualitative fondamentale entre la sélection des variétés cultivées et la production d’OGM : ce sont deux choses radicalement différentes que l’on veut à tout prix faire passer pour semblables à des fins de propagande.
Mais restons encore un peu sur cette question de l’évolution hyperbolique de la capacité à transformer l’environnement. Durant ce qu’on peut appeler la première phase de l’évolution de l’Homme, c’est à dire celle où la « puissance technique » est extrêmement faible, phase qui dure des dizaines de milliers et des dizaines de milliers
d’années, l’Homme a eu des désirs, qui ont peu à peu structuré sa façon d’être au monde. Désir de détruire ce qui gène : les « mauvaises herbes », les insectes, les prédateurs, désir de cultiver les déserts, d’aplanir les montagnes, de croître et multiplier, de vivre éternellement etc. Tous ces désirs avaient un même caractère fondamental, qui les a culturellement validés : le fait d’être irréalisables.
Étrangement, ce sont ces mêmes désirs, mais transformés dans leur nature profonde, puisque l’évolution des techniques les a rendus réalisables ou approchables, qui sont toujours pris, sans discussion, comme des a priori valides qui guident nos actes. C’est particulièrement flagrant dans le domaine des biotechnologies, où les motivations de Cro-Magnon sont endossées sans autre forme de procès par les Hommes du XXIe siècle (en tout cas par certains). Une seule citation suffira, en dehors de la préface très
significative : « le gène de résistance à un herbicide total introduit dans la plante cultivée permet de se débarrasser de toutes les mauvaises herbes ».
Or, si le paysan d’autrefois pouvait sans grand risque rêver, en vain, de pouvoir, d’un coup de baguette magique, se débarrasser de tout ce qui semblait faire obstacle à son activité, il est assez inconcevable qu’un scientifique moderne, et même un décideur politique, puisse ignorer que les êtres vivants interagissent (pas tous avec tous, mais tous avec plusieurs), formant un réseau d’interactions, dont chaque élément dépend, notamment pour son existence, non pas de tous les autres éléments, mais de l’activité de l’ensemble. Tout être vivant, même les « mauvaises » herbes, participent de cette toile gigantesque et complexe qui permet, encore pour l’instant, la vie des espèces sur terre, dont l’Homme.
L’idée même d’éradiquer ce qui gêne, qui était innocente en un temps où ce fantasme ne débouchait sur rien de conséquent, devient une absurdité lorsque sa réalisation devient possible à grande échelle.
Le problème majeur est là, patent sous la plume naïve de Mme Haigneré : la technoscience se développe sans aucune réflexion globale, justifiée par le seul fait qu’on sait faire. Existe-t-il un seul autre domaine de la société où le seul fait de savoir faire quelque chose justifie qu’on le fasse ? Le technoscientiste est-il tellement hors normes qu’il se trouve dispensé de rendre des comptes à la société et de prendre l’avis de ceux qui le financent et qui subissent les conséquences de ses actes inconsidérés ?
Il y aurait encore beaucoup, beaucoup à dire sur ces questions
fondamentales, dont l’importance rend presque dérisoires les critiques d’un ordre plus technique, qu’il faut néanmoins évoquer : « Les OGM sont une nouvelle étape dans cette longue histoire de l’amélioration des plantes ».
Passons sur le terme « amélioration » cher à Alain Toppan, qui est encore une forme gratuite d’auto-légitimation, pour dénoncer cette falsification de la réalité qui consiste à présenter la transgénèse comme une variante plus performante de la sélection ou de l’hybridation. Le thème est toujours le même : rien de nouveau sous le soleil, c’est mieux qu’avant, c’est tout.
Or, la transgénèse représente une rupture qualitative claire d’avec les pratiques antérieures. Nous ne donnerons ici que deux raisons, suffisantes pour le montrer :
On présente généralement les OGM comme étant issus d’un transfert de gènes entre un organisme donneur et un organisme receveur. Certes, le terme de « gène » est tellement flou qu’on peut arriver à tout lui faire dire, mais il y a là, malgré tout, une tromperie de plus. En effet, sauf exceptions et sauf pour les bactéries, qui sont très particulières dans ce domaine, ce n’est pas le « gène » présent dans le chromosome du donneur qui est transféré, mais un ADN synthétique simplifié (dit ADNc).
Les chromosomes sont constitués de séquences d’ADN dont certaines « codent » des séquences primaires de protéines, et des séquences non codantes, non impliquées directement, donc, dans la synthèse des protéines. Ces séquences non codantes, dont on ne sait pas grand chose, sont absentes chez les bactéries, représentent environ 20% de l’ADN chez les plantes et constituent rien moins que 98% de l’ADN humain ! Cette gigantesque augmentation, au cours de l’évolution des espèces, de la part prise par ces séquences non codantes, devrait, à soi seul, faire suspecter leur importance
fonctionnelle, même si elle est actuellement méconnue. Or, alors que le même gène natif (sauvage) du donneur comporte, pour les champignons, les plantes et les animaux, des séquences non codantes, l’ADN synthétique transféré dans l’OGM ne comporte que les séquences codantes, les autres ayant été excisées.
C’est un peu comme si quelqu’un jetait à la poubelle une pièce d’un moteur, au motif qu’il ne sait pas à quoi elle sert. Ce qui serait jugé stupide en ce cas, fait l’admiration de Mme Haigneré lorsqu’il s’agit d’un biologiste qui bricole un système autrement plus complexe et important qu’un moteur.
Il faut savoir que, d’une part, c’est ce gène synthétique simplifié (avec le reste de la construction, car il n’y a jamais un seul « gène » transféré) qui sera transmis aux génération suivantes et que, d’autre part, ceci est une différence fondamentale d’avec ce qui se passe lorsqu’on sélectionne des hybrides naturels ou provoqués. Il ne s’agit donc pas du tout de la même chose.
Le second argument se situe à un autre niveau, et représente à lui seul une raison majeure de s’opposer aux OGM, en même temps qu’il marque clairement la différence entre transgénèse et sélection classique : le code génétique (c’est à dire la correspondance entre les triplets de l’ADN et les acides aminés) est pratiquement universel. Ceci veut dire qu’effectivement, on peut, à partir d’un ADN de baleine, faire un transgène pour insérer dans une carotte et qu’on pourra obtenir (si ça marche) la même séquence d’acides aminés dans la carotte que dans la baleine (ce qui ne veut
pas nécessairement dire la même protéine…).
Devant cette constatation, le biologiste voit s’étaler devant lui l’immensité quasi infinie du possible. Il va pouvoir faire, il va pouvoir faire, il va pouvoir faire, et il fait. Une fois de plus : savoir faire justifie à soi seul ici le passage à l’acte.
Curieusement, il ne se demande pas (ou en tout cas pas longtemps) comment il se fait que, dans la nature, non seulement tout ce qui est possible ne se réalise pas, mais qu’en plus, une foultitude de barrières l’empêche. Ainsi, il y a 98,5% d’homologie génétique entre le Chimpanzé et l’Homme, mais on ne peut pourtant pas faire de petits ensemble. Quant aux poissons et aux fraises…
Ces « barrières d’espèces » ne font que traduire un phénomène très général
de restriction. Même les virus ne peuvent pas infester n’importe quelle cellule, il y a là aussi des restrictions très fortes.
Cela ne veut évidemment pas dire qu’un génome est une sorte de livre immuable, loin s’en faut, mais les échanges ne peuvent pas se faire n’importe comment, et cette restriction extrême des possibilités naturelles d’échanges génétiques apparaît comme une des conditions même de l’organisation des êtres vivants. En effet, pour que quelque chose soit organisé, il faut que ce qui est réellement exprimé ne soit qu’une infime partie de ce qui serait théoriquement réalisable. Ainsi, si on forme tous les mots possibles avec les lettres de l’alphabet, ou si on les assemble n’importe comment, on ne fait pas un langage. Si on laisse tout faire à un enfant, il ne se construit pas une personnalité. Si on écrit tous les livres possibles, comme dans la bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, alors les livres ne disent plus rien.
Si ce qui est organisé était aussi fréquent que ce qui est aléatoire, alors, on ne pourrait pas reconnaître ce qui est organisé. On voit donc bien que l’organisé est NÉCESSAIREMENT une partie infime de ce qui est réalisable aléatoirement.
Ici, le rêve de faire, de faire et de faire, du biologiste, viole directement cette condition essentielle qui permet l’organisation du vivant. C’est donc bien tout à fait autre chose que la sélection d’hybrides, qui respectent ces restrictions naturelles, et c’est aussi rien moins qu’une mise en danger des espèces, dont l’espèce humaine. Le principe de précaution n’est pas, ici, une réponse peureuse à la crainte de l’inconnu, mais une
barrière justifiée pour la préservation de l’espèce.
Mais il est vrai que (p.16) : « les chercheurs ont mis au point des pommes de terres génétiquement modifiées qui absorbent moins d’huile lors de la cuisson et donnent des frites plus légères ». Alors, oui, bien sûr …
Aliette Desclée de Maredsous, Explique moi ….les OGM,
éd. Nane, mars 2004, 40p., 7 euros
25, rue Murillo – 75008 Paris, +33 (0)1 53 83 95 78