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PEROU – Entre polémique scientifique et diffamation : y a-t-il ou non contamination des maïs péruviens ?
La Cour d’appel de Lima a annulé, fin décembre 2010, le jugement qui reconnaissait que le biologiste Ernesto Bustamante Donayre, directeur scientifique de l’entreprise BioGenómica et membre de PeruBiotec, une instance qui souhaite développer les cultures transgéniques dans ce pays, avait diffamé une autre biologiste, Antonietta Ornella Gutiérrez Rosati, chercheuse à l’Université nationale d’Agriculture La Molina… Retour sur les faits.
En 2007, la chercheuse Antonietta Gutiérrez annonce avoir découvert que des maïs génétiquement modifiés poussaient dans la région de Barranca, environ 200 kilomètres au nord de Lima, la capitale péruvienne. Elle informe une agence gouvernementale et un journal et précise qu’elle a trouvé le promoteur P34S, et les transgènes NK603 et Bt11 dans 14 échantillons sur 42 qu’elle a prélevés. Or, le Pérou n’a pas autorisé la culture du maïs génétiquement modifié sur son territoire. La biologiste annonce sa découverte précipitamment, c’est-à-dire avant que son étude ne soit publiée dans une revue scientifique reconnue.
Le biologiste Ernesto Bustamante répond alors par un article publié par le journal El Comercio que les conclusions de Rosati sont « absurdement improbables » : pour lui, il est impossible qu’un tiers des plantes soient transgéniques et que la chercheuse ait retrouvé trois transgènes de deux entreprises différentes…. « Ces conclusions erronées et incohérentes peuvent s’expliquer par le fait que cette étude comporte de graves erreurs dans la procédure et le contrôle de qualité ». Il continue : « Je ne sais pas si du maïs transgénique est cultivé au Pérou. Peut-être que oui, peut-être que non. De même, il est possible que des martiens vivent dans la région de Barranca. Peut-être que oui, peut-être que non. Ce qui est certain, c’est que personne n’a prouvé qu’il y a des champs transgéniques dans la région de Barranca ou au Pérou (à l’exception des champs expérimentaux). Pas encore. » [1].
Au final, il met au défi Antonietta Gutiérrez de soumettre son rapport à une revue à comité de lecture (a peer review).
En 2009, Antonietta Gutiérrez présente son analyse à la conférence de la Société péruvienne de Génétique, à Cuzco, dont elle est la présidente. Et dans la foulée, attaque Bustamante au tribunal pour diffamation.
En avril 2010, le tribunal reconnaît que les propos de ce dernier sont diffamants et condamne Bustamante à une amende de 5000 soles (environ 1300 euros). Une campagne de soutien se met en place au niveau international et une pétition de soutien à Bustamante récolte 670 signatures. En France, on notera le soutien de Louis-Marie Houdebine (Inra) et Marcel Kuntz (CNRS).
Bustamante décide de faire appel… Et fin décembre 2010, la Cour d’appel – composée de seulement trois magistrats – récuse à l’unanimité le jugement de la première instance [2].
Antonietta Gutiérrez peut déposer une nouvelle plainte devant un autre tribunal, comme l’autorise le droit péruvien. Cependant, la Cour d’appel propose que soit mise en place une procédure de conciliation. Six mois plus tard, elle n’a toujours pas fait connaitre sa décision.
En octobre 2010, l’Institut National pour l’Innovation Agricole (INIA), basé à Lima, a examiné 162 échantillons de maïs récoltés dans la région de Barranca et n’a mis en évidence aucun transgène [3]. Cette étude a été révélée lors d’un atelier international consacré à la biotechnologie et organisé par l’INIA. Interrogé par SciDev, Santiago Pastor Soplin [4], qui travaille pour le ministère de l’Environnement, souligne qu’attendre deux ans entre les premières craintes de présence d’OGM et les premiers échantillonnages officiels, « révèle une très faible régulation d’un centre de mégadiversité comme le Pérou« . Notons que ces résultats n’ont pas été publiés dans une revue scientifique mais évoqués lors d’un colloque de l’ANIA, notoirement proOGM, et publiés sur leur site ainsi que sur celui de PeruBiotech.