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UE et autorisation d’OGM : le Tribunal rejette le recours des ONG

Par Charlotte KRINKE

Publié le 19/12/2016

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Trois ONG allemandes avaient contesté d’abord une autorisation d’OGM accordée par la Commission européenne ; puis avaient contesté le rejet par la Commission de cette demande de réexamen, auprès du Tribunal de l’Union européenne. Elles ont été déboutées par ce Tribunal le 15 décembre dernier.

Le 28 juin 2012, la Commission européenne autorisait la mise sur le marché de produits contenant du soja modifié MON87701 × MON89788 de Monsanto [1]. Cette décision était prise sur la base d’un avis favorable de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA) concluant que le soja modifié était aussi sûr que son homologue non génétiquement modifié quant à ses effets potentiels sur la santé humaine et animale ou sur l’environnement [2].

Trois organisations non gouvernementales allemandes [3] – les requérantes – considéraient cependant que cette autorisation était viciée et, saisissant la possibilité que leur offre le Règlement dit d’Aarhus [4], elles ont demandé à la Commission d’effectuer un réexamen interne de la décision d’autorisation. Estimant que les allégations présentées à l’appui de leur demande n’étaient pas suffisamment étayées, la Commission européenne a rejeté la demande de réexamen interne. C’est pour obtenir l’annulation de cette décision de rejet que les organisations requérantes ont saisi le Tribunal de l’Union européenne.

Le Tribunal devait donc se prononcer sur la légalité de la décision de rejet de la demande de réexamen, et non contre la décision initiale de la Commission européenne d’autoriser la mise sur le marché de produits contenant du soja GM. La frontière est évidemment ténue entre les deux comme le montre l’argumentaire développé par les organisations requérantes.

Quatre motifs de contestation

Bien que le recours soit dirigé contre la décision par laquelle la Commission a rejeté la demande de réexamen interne des requérantes, les quatre arguments soulevés par ces dernières étaient intimement liés à l’avis de l’AESA et à la décision d’autorisation de la Commission adoptée sur son fondement. Les organisations allemandes soutenaient ainsi « que la constatation [de l’AESA] selon laquelle le soja modifié était substantiellement équivalent à son homologue était viciée, que les effets synergiques ou combinatoires n’avaient pas été pris en considération, que les risques immunologiques n’avaient pas été suffisamment évalués et qu’aucun contrôle des effets sur la santé n’avait été demandé » [5]. Pour distinguer l’objet de leur recours d’un recours en annulation contre la décision d’autorisation du soja GM, les organisations soutenaient que ces quatre points n’avaient pas été abordés par la Commission dans le cadre de la décision de rejet de leur demande de réexamen interne. Quant à la Commission, soutenue par le Royaume-Uni, par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments et par Monsanto, elle avançait que le recours était partiellement irrecevable. Elle reprochait notamment aux requérantes le fait que leur recours était « une tentative d’introduire un recours en annulation « déguisé » à l’encontre de la décision d’autorisation » [6] devenue définitive, ce que ne permet ni le Règlement d’Aarhus ni le Traité sur le fonctionnement de l’UE. Sur le fond, la Commission contestait les moyens soulevés par les organisations, reprochant souvent à ces dernières de ne pas suffisamment étayer leurs arguments. Ainsi par exemple, à l’argument des organisations selon lequel l’AESA a mené une évaluation de la toxicité insuffisante, elle répondait que, selon elle, « les données expérimentales fournies dans le dossier ont […] permis à l’EFSA [sigle anglais de l’AESA] de conclure que cette variété génétiquement modifiée était aussi sûre que son comparateur pour les usages auxquels elle était destinée » et que «  les requérantes n’avaient rapporté aucun élément prouvant que l’évaluation des risques n’avait pas été réalisée de manière fiable » [7].

Dans son arrêt rendu le 15 décembre 2016, le Tribunal de l’Union européenne confirme la décision de rejet de demande de réexamen interne de la Commission européenne. Il rejette donc le recours des organisations.

En plus d’écarter les moyens nouveaux soulevés par les organisations requérantes (c’est-à-dire non soulevés à l’occasion de leur demande de réexamen interne auprès de la Commission) et les moyens centrés sur l’illégalité de la décision d’autorisation de mise sur le marché, le Tribunal estime que les organisations n’ont pas pu démontrer que la Commission a manqué à ses obligations en rejetant la demande de réexamen interne des requérantes.

Si l’arrêt a pu être interprété comme une confirmation de l’autorisation de mise sur le marché des produits contenant du soja GM, il faut noter que le recours ne pouvait en aucun cas aboutir directement à l’annulation de la décision d’autorisation, celle-ci n’étant pas visée par le recours et ne pouvant par ailleurs plus faire l’objet d’un recours en annulation, le délai de recours étant dépassé. Mais si le Tribunal avait jugé que la décision de rejet était illégale, il aurait pu néanmoins obliger la Commission européenne à réévaluer la décision d’autoriser la mise sur le marché des produits concernés. Cela aurait pu, éventuellement, amener la Commission, par exemple, à la retirer ou à la suspendre.

Précision sur l’intervention des ONG

L’arrêt du Tribunal rejette donc le recours des organisations requérantes. Mais il est cependant intéressant pour elles à d’autres égards. C’était en effet la première fois que le Tribunal se prononçait sur une décision adoptée sur le fond par la Commission en matière d’autorisation d’OGM après une demande de réexamen interne présentée sur la base du Règlement d’Aarhus. Le recours donnait donc au Tribunal l’occasion de préciser deux éléments importants.

D’une part, il donnait l’occasion de donner des précisions au sujet de la procédure permettant aux organisations non gouvernementales d’introduire une demande de réexamen interne auprès d’une institution ou d’un organe communautaire qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l’environnement prévue par le Règlement. Ainsi, en acceptant de statuer sur ce recours, le Tribunal a admis que la décision par laquelle la Commission rejette une demande de réexamen interne est susceptible de recours. Toutefois, si l’objet de la demande de réexamen interne est bien d’obtenir la réévaluation de l’autorisation de mise sur le marché des produits concernés et même s’« il est inhérent à une demande de réexamen interne d’un acte administratif que le demandeur conteste la légalité ou le bien-fondé de […] la décision d’autorisation », le Tribunal précise que le requérant ne peut pas contester directement l’illégalité de la décision d’autorisation à l’occasion du recours contre la décision de rejet d’une demande de réexamen interne. Surtout, l’arrêt du Tribunal est intéressant parce qu’il permet de préciser le champ des actes susceptible de faire l’objet d’une demande de réexamen interne. Selon le Règlement d’Aarhus, il s’agit des actes administratifs adoptés au titre du droit de l’environnement. Le Tribunal estime que les décisions d’autorisation d’OGM, même si ces derniers ne sont pas destinés à la culture, sont des actes administratifs adoptés au titre du droit de l’environnement. Ils sont donc susceptibles de faire l’objet d’une demande de réexamen interne par les organisations non gouvernementales.

D’autre part, le recours donnait au Tribunal l’occasion de préciser la nature du contrôle juridictionnel sur la décision de rejet de la demande de réexamen de la Commission européenne. Allant à l’encontre des arguments de la Commission, le Tribunal estime que la nature de ce contrôle ne doit pas être plus restreint que celui qu’effectue le juge dans le cadre d’un recours en annulation contre une décision d’autorisation d’un OGM. Le Tribunal justifie cette absence de distinction par l’objectif de la convention d’Aarhus, qui est « de donner au public un large accès à la justice [et qui] exige que le juge de l’Union n’effectue pas un examen plus restreint ou moins strict concernant une décision rejetant comme non fondée une demande de réexamen interne en vertu de l’article 10 du règlement n° 1367/2006 que dans une affaire dans laquelle une personne physique ou morale demande l’annulation d’une décision d’autorisation en vertu du règlement n° 1829/2003 ».

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