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Une base internationale de données pour identifier les OGM ?
Détecter, identifier et tracer des OGM, qu’ils soient transgéniques ou mutés, est une question de volonté politique. Il ne s’agit pas d’une question de capacité technique comme l’affirment souvent les promoteurs d’OGM souhaitant que l’Union européenne revoie à la baisse son encadrement réglementaire. En février 2021, quatre scientifiques publiaient un article pour rappeler que les informations nécessaires à cette détection / traçabilité sont bien souvent d’ores et déjà disponibles publiquement.
Longtemps annoncées impossibles par le lobby des biotech, la détection, l’identification et la traçabilité des OGM apparaissent de plus en plus relever d’une volonté politique tout autant que d’une capacité technique. Le gouvernement français répondait par exemple à la Commission européenne en 2020 qu’à de rares exceptions près, un programme de recherche européen pourrait permettre de mettre en place cette détection si tant est que l’Union européenne veuille s’en donner les moyens [1]. En février 2021, quatre scientifiques ont publié un appel à constituer une base de données internationale pour faciliter la détection, l’identification et traçabilité de tous les OGM [2]. Cette base de données pourrait utilement compléter une autre traçabilité : la traçabilité documentaire.
Certains OGM sont plus faciles à détecter que d’autres…
Ces quatre scientifiques écrivent en leur nom propre et non au nom des agences nationales autrichiennes et allemandes compétentes sur le dossier OGM pour lesquelles ils travaillent. Ils résument les différents cas de figure qui peuvent se présenter à l’Union européenne (voir tableau ci-dessous).
Dans le cas des OGM autorisés ou en cours d’autorisation dans l’UE, la détection, l’identification et la traçabilité sont de fait possibles car le développeur d’un OGM a obligation de fournir les informations les permettant. Seuls les cas de présence dans l’Union européenne d’OGM non autorisés hors de l’UE pourraient poser problème. Pour les auteurs de l’article, l’étape de détection de la présence d’une mutation dans une séquence génétique se fait et se fera par analyse des séquences. Ce sont les étapes d’identification (faire le lien entre une séquence détectée et l’OGM auquel elle appartient) et de traçabilité (suivre une modification génétique le long d’une chaîne de transformation) qui peuvent, elles, être plus problématiques. Mais elles sont loin d’être insolubles. Si l’OGM incriminé devait avoir été autorisé dans d’autres pays que l’Union européenne, les informations permettant d’identifier tel OGM et de le rattacher à telles entreprises existent et sont entre les mains de ces pays. Une situation plus complexe se présente pour les OGM autorisés nulle part dans le monde.
OGM autorisé ou en cours d’autorisation dans l’UE | OGM autorisé hors UE | OGM non autorisé | |
---|---|---|---|
Détection | Informations par analyse (méthode fournie) | Informations par analyse | Informations par analyse |
Identification | Informations fournies | Informations existantes | Informations existantes |
Traçabilité | Informations fournies | Informations existantes | Informations existantes |
Source : « Genome-edited plants : Opportunities and challenges for an anticipatory detection and identification framework », Ribarits, A. et al., Foods 2021, 10, 430, synthèse d’Inf’OGM.
Une seule base de données qui en regroupe beaucoup d’autres…
Afin de remédier à cette situation, les auteurs proposent que soient rassemblées dans une seule base internationale de données les informations existantes sur les différents OGM. Une analyse de séquence permettant de détecter la présence d’une mutation dans une séquence génétique, ces informations sur les différents OGM permettraient de relier la présence d’une mutation à tel ou tel OGM et ainsi l’identification de ce dernier.
Base de données en ligne, demande de brevets ou encore articles scientifiques… sont autant de sources d’informations qui seraient ainsi compilées. Les auteurs estiment en effet que « l’identification de plantes ou produits alimentaires [modifiés génétiquement par mutagénèse] est facilitée par la disponibilité d’informations suffisantes qui permettent de préciser leur origine précise et identité ». Pour eux, les informations les plus évidentes concernent « le processus de modification génétique et donc, les attributs génétiques et phénotypiques » qui en résultent. Mais soulignent-ils, ces informations étant la propriété du développeur, les autorités nationales compétentes font face à la difficulté de les obtenir dans le cas d’OGM commercialisés hors de l’Union européenne. Face à cela, ils rappellent que des informations en accès libres sont d’ores et déjà disponibles dans diverses bases de données. Ils en citent ainsi cinq différentes pouvant être utilisées dans une optique de collecter le maximum d’informations.
Les bases de données non européennes qui, à l’image de celles du ministère étasunien de l’Agriculture [3], de Santé-Canada ou encore du Bureau australien de réglementation de la technologie génétique, fournissent au public les dossiers de demande d’autorisation déposés par les développeurs. Une première base d’informations permettant de recueillir des informations générales comme l’existence même d’un canola par exemple ayant fait l’objet d’une modification génétique par l’entreprise Cibus par mutagénèse dirigée par oligonucléotides. Mais ces informations seraient limitées en nombre, ne fournissant par exemple pas forcément les séquences génétiques modifiées.
Le Centre d’échange pour la prévention des risques biotechnologiques mis en place dans le cadre du Protocole de Cartagena [4]. Les auteurs de l’article expliquent que ce centre d’échange est utilisé par les États parties au Protocole car ils sont obligés d’y déclarer les caractéristiques des OVM qu’ils traitent comme le rôle et la fonction des gènes modifiés, les caractéristiques phénotypiques, les statuts d’autorisation, les essais en champs… Ils précisent surtout que certains pays non parties (États-Unis, Canada, Australie) l’utilisent également pour échanger des informations. Le Canada a ainsi communiqué en 2016 sur l’autorisation commerciale donnée pour le canola 5715 de l’entreprise Cibus avec le nom des séquences modifiées, la technique utilisée…
Euginius [5] est une initiative de l’Université de Wagenigen et du ministère allemand à la protection des consommateurs et à la sécurité sanitaire, présentée par les auteurs comme étant une base de données fournissant des informations de valeur concernant les OGM. Accessible en ligne depuis 2014, elle fournit notamment les méthodes de détection des OGM quand ces dernières ont été fournies par les entreprises aux États membres. Pour les OGM ayant des mutations comme modification génétique, si cette base de données ne fournit pas les méthodes de détection spécifiques à la modification, elle fournit néanmoins des méthodes propres à la famille taxonomique de la plante, permettant donc l’identification de l’espèce végétale modifiée. Une étape obligée dans le cas d’analyse de produits transformés par exemple. Cette base, dans la mesure ou elle serait mise à jour, fournit également la séquence des mutations en elles-mêmes si cette information est accessible dans la littérature scientifique par exemple.
Les demandes de brevets sont évidemment une autre source importante d’informations [6] : elles peuvent contenir des données techniques de base comme une description de l’invention, des exemples de produits mutés, les séquences génétiquement modifiées, une description des mutations attendues selon les techniques utilisées ou encore les références renvoyant aux publications scientifiques initiales.
Enfin, la littérature scientifique peut permettre d’obtenir des détails sur les plantes modifiées génétiquement potentiellement commercialisables. Cette littérature, outre les articles scientifiques en eux-mêmes, concerne également des bases de données existantes comme la base de données de l’édition des génomes végétaux [7], hébergée par l’Institut étasunien de Boyce Thompson sur les recherches avec Crispr ou la base de données CrisprGE de l’Institut de technologie microbienne à Chandigarh en Inde. Ces deux bases de données, relatées comme exemples par les auteurs, collectent des informations sur les gènes ciblés et les modifications génétiques de différentes espèces végétales.
À quand la volonté politique ?
D’autres sources d’informations sont également citées comme des groupes de travail de l’OCDE ou les communiqués d’entreprises. Le dernier exemple d’information pertinente fournie par les scientifiques est plus technique cette fois. Il s’agit d’un rappel que nombre des OGM mutés réglementés auront non pas une seule mutation mais plusieurs, à l’instar des plantes transgéniques empilées qui ont plusieurs transgènes. Détecter une, deux, trois, plusieurs mutations est donc informatif en soi. Car la probabilité qu’une même plante ait plusieurs modifications se réduit avec le nombre de mutations impliquées. Les auteurs prennent en exemple un blé panifiable résistant à l’oïdium dont la modification génétique a consisté en trois mutations. Au vu du temps qu’il faudrait pour qu’un blé ayant ces trois mutations apparaissent naturellement (« quatre millions d’années pour avoir une chance de trouver une seule plante présentant spontanément les trois bonnes versions du gène » d’après Limagrain sur un exemple similaire donné en 2016 [8] et qui en fait un argument de promotion des nouvelles techniques), les scientifiques expliquent que le seul fait de détecter ces trois mutations en même temps dans un même échantillon constitue « une forte indication » de la présence de blé OGM muté. Et ils n’évoquent pas les possibles mutations non souhaitées qui traîneront par là…
Pour les quatre scientifiques, la question de détection, identification et traçabilité des OGM est donc surtout une question de volonté politique. Sauf en cas de fraude délibérée avec aucune déclaration nulle part dans le monde pour un OGM, les informations existent si tant est que les autorités se donnent la peine d’organiser leur collecte et leur centralisation comme cela a déjà été fait par le Centre Commun de Recherche en Europe ou le Protocole de Cartagena et l’OCDE au niveau international pour les OGM transgéniques.
[1] , « Pour la France, la quasi totalité des OGM sont traçables », Inf’OGM, 25 mars 2021
[2] « Genome-edited plants : Opportunities and challenges for an anticipatory detection and identification framework », Ribarits, A. et al., Foods 2021, 10, 430.
[3] Les auteurs renvoient également à la procédure « Suis-je réglementé ? » disponible aux Etats-Unis pour savoir si une demande d’autorisation doit être déposée ou non, sur base d’un descriptif du produit : http://www.aphis.usda.gov/aphis/ourfocus/biotechnology/am-i-regulated/Regulated_Article_Letters_of_Inquiry
[6] La base de données Espacenet est citée par les auteurs : https://worldwide.espacenet.com/patent/
[8] , « Crispr/Cas9 : encore inefficient en santé, mais déjà bon en agriculture ? », Inf’OGM, 2 mai 2016