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OGM – La xénotransplantation défaillante, voire dangereuse
La mort d’un patient étasunien greffé avec un coeur de porc génétiquement modifié, en mars dernier, ne signifie pas l’arrêt des xénotransplantations, bien au contraire. Les chercheurs se penchent sur les causes probables et testent déjà de nouvelles opérations, y compris sur d’autres organes.
David Bennett, 57 ans, a été la première personne à se voir implanter un cœur de porc génétiquement modifié (xénotransplantation). L’opération, qui a eu lieu le 7 janvier 2022 au centre médical de l’université du Maryland (University of Maryland School of Medicine, UMSOM), s’était initialement bien passée : le cœur transplanté n’a pas été rejeté par l’organisme [1]. Cependant, le 8 mars 2022, l’hôpital annonçait le décès du patient. Dans un nouveau communiqué de presse [2], il a précisé : « Son état a commencé à se détériorer il y a plusieurs jours. Lorsqu’il est devenu évident qu’il ne se rétablirait pas, il a reçu des soins palliatifs avec compassion. Il a pu communiquer avec sa famille pendant ses dernières heures ».
» Nous sommes reconnaissants à M. Bennett pour le rôle unique et historique qu’il a joué en contribuant à un vaste éventail de connaissances dans le domaine de la xénotransplantation. (…) Nous avons acquis des connaissances inestimables en apprenant que le cœur de porc génétiquement modifié peut bien fonctionner dans le corps humain alors que le système immunitaire est adéquatement supprimé (…) Nous restons optimistes et prévoyons de poursuivre nos travaux dans le cadre de futurs essais cliniques « , a déclaré le Dr Mohiuddin, professeur de chirurgie et directeur scientifique du programme de xénotransplantation cardiaque à l’UMSOM.
Un porc génétiquement modifié
Concrètement, le porc qui a « donné » son cœur à D. Bennett avait été génétiquement modifié, avec la suppression de quatre gènes natifs et l’ajout de six gènes humains. Ces dix modifications visaient à supprimer le rejet immunitaire de ce cœur par le système immunitaire humain. Un autre gène a été éliminé pour empêcher le cœur de continuer à se développer après la transplantation [3]. Les médecins ont également utilisé un médicament expérimental fabriqué par Kiniksa Pharmaceuticals en plus des médicaments anti-rejet classiques, qui sont conçus pour supprimer le système immunitaire du patient et augmenter ainsi les chances que ce cœur ne soit pas rejeté.
La FDA, l’agence étasunienne en charge des médicaments et de l’alimentation, a dû se positionner en urgence sur la possibilité de réaliser cette xénotransplantation. Elle a donné son accord le 31 décembre 2021 en utilisant une disposition particulière : l’usage compassionnel [4]. Cette disposition est utilisée lorsqu’un produit médical expérimental, dans ce cas le cœur de porc génétiquement modifié, est la seule option disponible pour un patient confronté à une condition médicale grave ou potentiellement mortelle.
Les médecins n’ont pas donné la cause exacte du décès. Interrogé par Inf’OGM en mars 2022, l’hôpital nous répond : « Nous ne pouvons pas faire d’autres commentaires sur la cause du décès du patient tant que ses médecins n’auront pas effectué un examen approfondi qu’ils prévoient de publier dans une revue scientifique évaluée par des pairs. Aucune cause évidente n’a été identifiée au moment de son décès ». Le 5 mai 2022, un article publié dans la revue MIT Technology Review [5] apporte des précisions sur ce décès. Le professeur Griffith, qui a aussi participé à la xénotransplantation, s’était en effet exprimé lors d’un webinaire diffusé en ligne par l’American Society of Transplantation le 20 avril et cet article reprend ses propos. Le cœur de Bennett était affecté par le cytomégalovirus porcin, une infection évitable qui est liée à des effets dévastateurs sur les transplantations. Cependant est-ce réellement la cause de la mort ? » Nous commençons à savoir pourquoi il est décédé. Le virus a peut-être été l’acteur, ou pourrait être l’acteur, qui a déclenché toute cette affaire. (…) S’il s’agissait d’une infection, nous pourrions probablement la prévenir à l’avenir « , a déclaré M. Griffith lors de sa présentation.
D’après un article publié sur le site abc.net, le 6 mai 2022 [6], les médecins ont déclaré que le porc donneur était en bonne santé, qu’il avait passé avec succès les tests exigés par la FDA pour vérifier l’absence d’infections et qu’il avait été élevé dans un établissement conçu pour empêcher les animaux de propager des infections.
Xénogreffe : vers une nouvelle pandémie ?
La société de biotechnologie qui a élevé et modifié les porcs, Revivicor, une filiale de United Therapeutics [7], s’est refusée à tout commentaire sur le virus. Revivicor avait obtenu de la FDA, en décembre 2020, une autorisation commerciale d’un cochon génétiquement modifié destiné à l’alimentation humaine [8].
Le transfert de virus de porc à l’homme suscite des inquiétudes : certains craignent que la xénotransplantation ne déclenche une pandémie si un virus s’adapte dans le corps d’un patient et se propage ensuite. Cette inquiétude pourrait être suffisamment grave pour nécessiter une surveillance à vie des patients. Toutefois, le virus trouvé dans le cœur du donneur de Bennett ne serait pas capable d’infecter les cellules humaines, selon Jay Fishman, spécialiste des infections liées aux transplantations au Massachusetts General Hospital. Dr. Julia Baines, de l’association PETA, souligne également que » les scientifiques de PETA ont constamment averti que les greffes d’animaux à humains risquaient de transmettre des virus dangereux « . Elle estime qu’il est irresponsable, après » la désastreuse pandémie de Covid-19, (…) d’accepter que des expérimentateurs exposent potentiellement la population à des virus qui mutent et peuvent devenir dévastateurs lorsqu’ils passent d’une espèce à une autre « .
Il y a deux ans, des chercheurs allemands avaient transplanté des cœurs de porc dans des babouins et avaient trouvé des niveaux de virus » étonnamment élevés « [9] dans les cœurs de porc prélevés sur des babouins. Ils pensent que le virus pourrait se multiplier non seulement parce que le système immunitaire des babouins a été supprimé par des médicaments, mais aussi parce que le système immunitaire des porcs n’était plus là pour contenir le virus. Cité par le MIT Technology Review, Joachim Denner, de l’Institut de virologie de l’Université libre de Berlin, qui a dirigé cette étude, estime que la solution au problème réside dans des tests plus précis. L’équipe américaine semble avoir testé le virus dans le museau du porc, mais il se cache souvent plus profondément dans les tissus.
L’article du MIT cité précédemment conclu qu’« il est encore trop tôt pour dire avec certitude pourquoi Bennett est mort et les chercheurs sont encore en train de passer au crible des indices complexes et contradictoires. Les médecins craignent également d’avoir commis une erreur en lui donnant des anticorps humains, ce qu’ils ont fait deux fois. Des tests ultérieurs ont montré que ces produits sanguins contenaient des anticorps anti-porcs et qu’ils pouvaient également avoir endommagé l’organe ».
Les xénotransplantations continueront
Un article de 2017 listait les expériences de xénotransplantations réalisées entre des organes de cochon et des primates non humains. Ces expériences ont toutes échoué et la survie d’un primate qui a reçu un coeur a été de 945 jours. Cette expérience avait été réalisée en 2016 par le docteur Mohiuddin, celui qui a greffé le cœur à D. Bennett… Plus récemment, une expérience a été menée sur une personne en état de mort cérébrale. Revivicor a fourni à l’Université d’Alabama, à Birmingham, des reins à partir de cochons génétiquement modifiés (des cochons très similaires à ceux utilisés pour la greffe de Bennett). L’expérience a été considérée comme « prometteuse » : « Aucun rejet hyper-aigu n’a été observé, et les reins sont restés viables jusqu’à l’arrêt de l’opération 74 heures plus tard. Aucun chimérisme ou transmission de rétrovirus porcins n’a été détecté. (…) En résumé, notre étude suggère que les principaux obstacles à la xénotransplantation humaine ont été surmontés et identifie les domaines où de nouvelles connaissances sont nécessaires pour optimiser les résultats de la xénotransplantation chez l’homme » [10].
Des alternatives existent
Pour l’association PETA, des alternatives techniques existent : » Les méthodes de recherche et les traitements sans cruauté des maladies cardiovasculaires, y compris la modélisation informatique avancée et les tissus humains et végétaux modifiés, s’avèrent beaucoup plus précis que ces expériences par tâtonnement incertain sur des animaux « . Elle incite également à » changer la loi pour présumer le consentement au don d’organes, comme c’est le cas en Angleterre, [ce qui] rendrait beaucoup plus d’organes humains disponibles, et la xénogreffe – qui tue à plusieurs niveaux – devrait être reléguée au sombre tas de projets dangereux et contraire à l’éthique qui n’ont rien à faire dans la science moderne « .
Plus généralement, PETA souligne que » les animaux ne sont pas des producteurs d’organes à piller pour nos besoins, mais des êtres complexes et intelligents. (…) L’idée que cette opération était révolutionnaire est ridicule. Parler de telles procédures comme si elles étaient autre chose que cruelles – envers les animaux et les humains en attente d’organes – perpétue le mythe selon lequel les xénogreffes seraient pratiques « .
En tout cas, une chose est sûre : la xénotransplantation draine d’importantes ressources financières [11]. Comme les ressources sont limitées, la question qui se pose est de savoir si ces sommes ne seraient pas mieux investies dans d’autres recherches. Mais ceci n’est jamais débattu publiquement.
[1] Communiqué du UMSOM, 10 janvier 2022.
[2] Communiqué du UMSOM, 9 mars 2022.
[3] « First pig-to-human heart ». Nat Biotechnol 40, 145 (2022).
[4] FDA, Expanded Access.
[5] Regalado, A., « The gene-edited pig heart given to a dying patient was infected with a pig virus », MIT Technology Review, 4 mai 2022.
[6] abc.net, « Virus found in pig heart transplanted into man who later died », 6 Mai 2022.
[7] Sans surprise, les premiers actionnaires de cette entreprise sont des fonds d’investissement comme Vanguard Group, qui détient 9 % des actions (page zonebourse.com consultée le 6 mai 2022).
[8] , « États-Unis : autorisation d’un cochon OGM à la consommation », Inf’OGM, 4 mars 2021
[9] Denner J, Längin M, Reichart B, Krüger L, Fiebig U, Mokelke M, Radan J, Mayr T, Milusev A, Luther F, Sorvillo N, Rieben R, Brenner P, Walz C, Wolf E, Roshani B, Stahl-Hennig C, Abicht JM. Impact of porcine cytomegalovirus on long-term orthotopic cardiac xenotransplant survival. Sci Rep. 2020 Oct 16 ;10(1):17531. doi : 10.1038/s41598-020-73150-9
[10] Porrett, PM, Orandi, BJ, Kumar, V, et al. » First clinical-grade porcine kidney xenotransplant using a human decedent model « . Am J Transplant. 2022 ; 22 : 1037– 1053.
[11] L’UMSOM a reçu une subvention de recherche sponsorisée de 15,7 millions de dollars pour évaluer les UHearts™ de porc génétiquement modifiés Revivicor dans des études sur les babouins.