Burkina Faso : Une enquête paysanne décrédibilise le coton OGM
Quels impacts socio-économiques du coton Bt au Burkina Faso ? La Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (Copagen [1]) a mené une recherche participative avec des producteurs de ce coton entre 2013 et 2016. Cette enquête montre clairement que les promesses des promoteurs des OGM ne se sont pas réalisées.
« Le coton Bt et nous, la vérité de nos champs » : tel est le titre du rapport produit suite à la recherche paysanne de la Copagen, conduite par son point focal au Burkina Faso, Inades-Formation Burkina. Partant du constat que « très peu de recherches sont conduites sur l’impact des cultures transgéniques en collaboration avec les producteurs », la Copagen régionale a pris l’initiative de mener ce projet de recherche paysanne avec le soutien financier de deux ONG : le CCFD Terre Solidaire, en France, et Inter Pares, au Canada. Le but : vérifier si les assertions qui ont justifié l’introduction du coton transgénique au Burkina Faso se confirment ou non sur le terrain et contribuer ainsi au débat public sur cette culture controversée.
Oumarou Ouédraogo, paysan chercheur du village de Koumana dans la région de la Boucle du Mouhoun qui cultive du coton sur deux hectares (mais aussi du maïs, du sorgho et de l’arachide) constate : « la culture du coton OGM nous est tombée dessus brusquement. En tant que producteurs de coton, il nous a été demandé de produire du coton Bt sans que nous ayons eu la possibilité d’effectuer certaines vérifications ». Les trois sociétés (Sofitex, FasoCoton et Socoma) qui gèrent la filière coton au Burkina ont distribué des semences de coton Bt afin, ont-elles argumenté, d’augmenter les rendements, diminuer les insecticides et augmenter les revenus.
Des enquêtes paysannes approfondies
Trois principaux axes de recherche ont été définis pour la réalisation de cette étude : le niveau d’application des itinéraires techniques du coton Bt ; l’impact de l’introduction du coton Bt ; et le degré de respect des dispositions règlementaires au niveau national et international en matière de biosécurité.
Les paysans chercheurs, dument formés par ce projet de recherche, ont collecté des données sur leurs propres champs et ont effectué une première analyse au niveau du village.
Nokuy Sama vient du village de Passakongo, dans la région de la Boucle du Mouhoun. Sur son champ de 13 hectares, il cultive en plus du coton, du maïs, de l’arachide, du mil, du sorgho et du niébé. Il est l’un des paysans chercheurs et animateurs et, parlant de son expérience au niveau de sa cellule de recherche paysanne, il raconte : « J’étais chef d’équipe de la cellule de producteurs chercheurs de ma localité. J’animais les réunions de ma cellule et je faisais aussi les recherches dans mon propre champ. Nous produisions les synthèses de nos recherches d’abord au niveau de la cellule, nous les présentions ensuite à l’équipe de coordination du projet ».
La zone de recherche paysanne concerne les régions de la partie ouest du pays qui regroupe environ 80 % de la production totale de coton au Burkina Faso (Boucle du Mouhoun, des Hauts-Bassins et des Cascades). La zone d’enquête élargie a regroupé près de dix régions de production cotonnière y compris les régions de recherche paysanne. Cette enquête a porté sur l’évaluation du degré de respect des dispositions règlementaires en matière de biosécurité. La recherche paysanne a impliqué 203 producteurs chercheurs, composés de 75 % de producteurs de coton Bt et 25 % de producteurs de coton conventionnel. L’échantillon de l’enquête élargie comprenait 3 000 producteurs de coton pris de façon aléatoire dans toutes les régions de productions du coton, quel que soit le type de coton produit.
Peu d’avantages pour le coton Bt
Dans le rapport final, le paysan chercheur Oumarou Ouédraogo signale : « Notre travail a permis de dégager les inconvénients du coton Bt. (…) Les lois, règlements et normes techniques en matière de biosécurité sont faiblement appliqués au Burkina Faso. Les promesses économiques ne se sont pas réalisées. L’enquête a ainsi révélé que l’utilisation des semences de coton Bt entraîne une augmentation des coûts de production de 7 %, alors que les rendements baissent d’environ 7 % en moyenne ».
Seul effet positif, souligné par ce rapport, la réduction du nombre de traitements insecticides dans les champs : « Le coton transgénique est donc moins pénible à travailler. Toutefois avec le temps, son efficacité à combattre certaines chenilles (lépidoptères) commence à montrer ses limites en raison de la résistance de ces agresseurs à l’insecticide produit par le gène Bt ». « Même en traitant à deux reprises » souligne Nokuy Sama.
L’enquête a aussi montré que les textes réglementaires sont très mal respectés. Par exemple, la création de « zone refuge » préconisées pour diluer l’acquisition de la résistance des parasites au Bt est en général négligée par les producteurs de coton Bt. Le non respect de ces zones refuges a aussi des répercussions sur les autres cultures. Ainsi, Herassi Sama, producteur à Koumana, précise que « si vous plantez du sésame à côté d’un champ de coton transgénique, il ne donnera rien ».
La plupart des producteurs ne savent pas ce qu’est un « OGM », et considèrent simplement le coton Bt comme une variété améliorée. Les sociétés cotonnières ne se sont pas donné le temps de la formation, ni n’ont souhaité trop en dire de crainte, sans doute, de voir ces semences rejetées. En outre, l’étiquetage de la semence transgénique est un repère insuffisant : hors du sac, rien ne permet aux paysans de la distinguer de la semence conventionnelle.
En avril 2016 le gouvernement du Burkina Faso décidait que la culture du coton Bt allait être progressivement abandonnée au profit du coton conventionnel. La piètre qualité de la fibre du coton de Monsanto a été officiellement la raison de cet abandon… mais le paysan chercheur Oumarou Ouédraogo considère que leur recherche participative a « contribué à repousser l’OGM du Burkina ». Et Nokuy ajoute que les producteurs devraient être dédommagés : « si notre gouvernement s’est rendu compte qu’il nous a conduit dans le décor en nous engageant dans la production du coton Bt, n’y a-t-il pas lieu de nous dédommager parce que nous avons beaucoup perdu dans cette affaire ? ».
La colère de la Sofitex
Au cours de l’enquête, les paysans chercheurs ont été en contact avec l’une des sociétés cotonnière, la Sofitex. Cette société œuvre pour le développement de l’agro-industrie cotonnière au Burkina Faso. Ayant pris connaissance des activités menées, la Sofitex a exigé l’arrêt du projet. Dans une lettre adressée à Inades-Formation Burkina, Jean-Paul D. Sawadogo, à l’époque directeur général de la Sofitex, a qualifié d’illégale la recherche paysanne qui était en cours parce qu’ « elle n’[avait] pas fait l’objet d’une discussion et d’un accord avec la Sofitex encore moins [avec] l’Institut national de la recherche environnementale et agricole (Inera) ou Monsanto ». Il n’empêche, la recherche a continué jusqu’au bout.
La mobilisation continue au Burkina Faso
À l’initiative de FIAN, ONG internationale travaillant sur le droit des peuples à une alimentation adéquate, un atelier a été organisé à Ouagadougou en novembre 2017, réunissant une cinquantaine de participants venus des pays de la sous-région. Ils ont réaffirmé l’urgence d’abandonner définitivement les semences génétiquement modifiées ; ont exhorté les autorités à renforcer les systèmes semenciers paysans ; et à mettre en place des mesures afin que le système semencier commercial et les droits afférents ne portent pas atteinte aux droits des paysans sur leurs semences.
Ce fut aussi l’occasion de présenter une étude (réalisée en juin 2017 auprès de 20 communautés du Burkina) consacrée aux mutations quant à l’utilisation des semences. Les auteurs rappellent que « les semences dites paysannes, anciennement utilisées, sont prisées par les communautés » et que « les semences améliorées portent atteinte à leur autonomie et leur indépendance ». Ils soulignent également que « nos États promeuvent, délibérément, un système semencier commercial basé sur des semences protégées par des droits de propriété industrielle ».
Au Burkina Faso, le Plan national du secteur rural de 2011 définissait comme objectif d’augmenter le taux d’utilisation de ces semences de 15 % à 40 % en 2015.
Christophe Noisette
[1] La Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (Copagen) regroupe deux cents organisations de base ouest-africaines (paysannes, syndicales, de consommateurs…). Son objectif : défendre les droits des communautés sur les ressources génétiques.