Peu d’États en faveur d’une déréglementation des OGM non transgéniques
Nombre d’États réfléchissent au statut juridique des OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique, et certains y ont déjà répondu. Faire un état des lieux pédagogique et exhaustif des positions et législations adoptées n’est pas une sinécure : difficulté d’accès à des législations nationales, positions non définies, champs d’application et catégories de nouvelles techniques différentes entre États imposant l’usage d’expressions généralistes imprécises… Le tableau que nous dressons ici montre néanmoins que la « déréglementation » des OGM issus des nouvelles techniques est l’affaire d’une minorité d’États économiquement puissants.
Sur le dossier des nouvelles techniques de modification génétique, les entreprises de biotechnologie se veulent rassurantes. Ces nouvelles techniques seraient plus précises et permettraient une meilleure maîtrise des modifications génétiques. Elles permettraient même de reproduire ce que fait la nature ou d’obtenir le même résultat que celui de méthodes de sélection conventionnelles, comme le croisement. Mais surtout, avec certaines nouvelles techniques, il n’y aurait pas d’ajout d’ADN étranger dans l’organisme…
Moins de contraintes chez les principaux pays producteurs
Ce discours justifierait que les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique ne soient pas soumis aux mêmes règles que les OGM transgéniques, via un assouplissement de la réglementation existante, voire sa suppression. Les tenants de cette approche sont les principaux pays producteurs d’OGM : les États-Unis, le Canada et des pays d’Amérique latine comme l’Argentine et le Brésil. Dès 2018, devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ces États affirmaient que « les innovations dans le domaine des biotechnologies de précision, telles que l’édition de gènes, ont apporté la promesse d’améliorations majeures en termes de facilité et de précision de l’introduction de caractères souhaitables dans les organismes agricoles » [1]. Ils ajoutaient que « les politiques gouvernementales doivent continuer à favoriser l’innovation, (…) et atténuer les obstacles involontaires et inutiles à l’entrée des produits agricoles » [2].
Ces États ont en commun d’avoir une réglementation basée sur les nouvelles caractéristiques revendiquées du produit final. Suivant les États, les critères (non exhaustifs) conduisant à écarter la réglementation OGM au profit de la réglementation générale applicable aux produits dits « conventionnels » sont, par exemple, que l’organisme aurait pu être produit naturellement ou par une méthode de sélection conventionnelle ou qu’il ne contient pas d’ADN étranger. De tels critères conduisent de facto à réduire la notion d’OGM à celle de transgenèse, ou même aux seules techniques de transgenèse insérant des séquences venant d’ADN étranger (venant d’autres espèces ou de constructions artificielles) et, donc, à la rejeter pour les OGM issus d’autres nouvelles techniques.
Le premier État à avoir posé de tels critères est l’Argentine. Dans sa réglementation adoptée en 2015, le critère déterminant pour décider si un produit issu des nouvelles techniques doit être considéré comme un OGM est la présence d’une « nouvelle combinaison de matériel génétique ». Une modification génétique est considérée comme telle lorsqu’une ou plusieurs séquences d’ADN qui font partie d’une construction génétique sont introduites de manière permanente dans le génome de la plante. L’Argentine a été suivie par d’autres États qui ont adopté des réglementations similaires, que ce soit en Amérique latine (Brésil [3], Chili [4], Colombie [5], Honduras [6], Paraguay [7]…) ou ailleurs (États-Unis [8], Australie [9]).
Sous la pression des accords de commerce (internationaux ou accords de libre échange) et de la course à l’innovation, des États révisent ou adoptent une réglementation pour faciliter le développement, le commerce ou la culture des OGM issus des nouvelles techniques. En mars 2022, l’Inde a décidé que ces OGM seraient exemptés des principales obligations de sa législation sur les OGM, à savoir l’autorisation préalable avec évaluation des risques et l’obligation d’étiquetage, pourtant destinées à garantir la protection de l’environnement et la santé [10]. Début 2022, le Royaume-Uni, sorti de l’Union européenne, a fait de même pour les essais en champs et a annoncé une réforme plus large de la réglementation OGM [11]. Le Nigeria a, de son côté, en 2020, adopté des lignes directrices spécifiques pour les OGM issus des nouvelles techniques. Et au Canada, où les OGM relèvent actuellement de la réglementation sur les nouveaux aliments déjà fondée sur une approche « produit final », une révision est actuellement en cours.
Dans la majorité des États dans le monde, les OGM issus des nouvelles techniques continuent cependant d’être soumis à la législation OGM. Certains pays l’ont explicitement annoncé, comme la Chine, la Nouvelle-Zélande ou l’Afrique du Sud, bien que de telles décisions fassent l’objet d’une opposition forte de l’industrie [12]. Dans d’autres, comme certains pays du continent africain, la législation OGM s’applique pendant que des réflexions ou des révisions législatives sont en cours.
L’Union européenne sous pression
À la différence de ses principaux partenaires, le critère qui déclenche l’application de la réglementation OGM dans l’Union européenne est à la fois la technique utilisée et le produit final obtenu. La définition européenne englobe donc les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique. La Cour de justice de l’Union européenne l’a clairement confirmé en 2018, en jugeant que les OGM issus de techniques sans historique d’utilisation sans risque doivent être réglementés comme des OGM et faire l’objet d’une évaluation des risques, respecter les obligations de traçabilité et d’étiquetage [13].
Depuis l’automne 2021, la Commission européenne défend qu’il est nécessaire d’adapter la réglementation européenne sur les OGM aux progrès scientifiques. Parmi les raisons avancées, celle des risques supposés moindres des nouvelles techniques, mais aussi celle du « potentiel à contribuer […] à un système agroalimentaire plus résilient et durable » [14]. La Commission prévoit de présenter une proposition législative pour les OGM issus de certaines de ces nouvelles techniques (mutagénèse dirigée et cisgénèse) d’ici 2023. En attendant, elle entretient une position ambiguë en affirmant que ces OGM devraient bénéficier d’un cadre réglementaire plus « souple ». Le futur texte sera-t-il à la hauteur des exigences de la société en terme de précaution pour l’environnement ?