n°146 - juillet / août 2017

La moutarde OGM fait éternuer le peuple indien

Par Ruchi Shroff, Navdanya international*

Publié le 29/11/2017, modifié le 17/10/2023

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Le 11 mai 2017, l’instance de régulation indienne des OGM – le Comité d’évaluation du génie génétique (GEAC pour l’acronyme anglais) – a donné un avis positif pour la commercialisation de la moutarde génétiquement modifiée. Tandis qu’une forte opposition s’est mise en place, la décision finale revenait au ministre de l’Environnement. Ce dernier a finalement décidé, en octobre dernier, de geler la procédure.

Si elle est autorisée, la moutarde génétiquement modifiée (GM) sera la première culture vivrière GM, ouvrant la voie aux autres cultures vivrières GM en attente d’autorisation. Alors que les lobbies des biotech tentent désespérément d’imposer la moutarde GM en Inde, l’association Navdanya, et de nombreuses organisations de la société civile, sont en première ligne pour y résister. L’opposition a atteint les grilles du ministère de l’environnement à Delhi en mai, avec une manifestation d’une centaine d’agriculteurs et activistes.

La résistance grossit aussi au niveau local. Les entreprises et leurs lobbies ont mis le paquet sur l’autorisation de la moutarde GM. Mais suite aux oppositions dans tout le pays, cinq états clés, notamment ceux où se cultive la moutarde, ont décrété un moratoire sur cette moutarde GM. Des paysans d’autres états ont également décidé de ne pas la cultiver.

C’est quoi, cette moutarde GM ?


La moutarde est une Brassicae, comme le colza, et les sélectionneurs n’arrivent pas à créer des hybrides avec les méthodes classiques, en raison des difficultés pour restaurer la fertilité. La moutarde transgénique indienne – Dhara Mustard Hybride (DMH) 11 – comme les colzas MS 1 x RF1, MS1 x RF2 et MS8 x RF3 cultivés actuellement au Canada, a été génétiquement modifiée par transgenèse pour faciliter la production d’hybride F1. Ainsi, la moutarde DMH 11 a deux lignées parentales différemment modifiées : dans la première a été introduit le gène de la stérilité mâle cytoplasmique (gène Barnase), et dans l’autre le gène Bartase qui code pour une enzyme qui inhibe la protéine Barnase (et qui donc restaure la fertilité). Ces deux gènes sont issus de la bactérie Bacillus amyloliquefaciens. Un troisième gène a été inséré pour que cette moutarde tolère les herbicides à base de glufosinate d’amonium, brevetés et vendus par Bayer CropScience sous le nom de Liberty Link et Basta.

Les promoteurs de la moutarde GM l’ont « vendue » comme variété indigène développée par un institut public indien afin de couper court aux critiques des environnementalistes sur la mainmise des industries sur l’agriculture et l’alimentation. En effet, officiellement, elle a été mise au point par l’équipe du Dr. Deepak Pental de l’Université de Delhi, avec des financement de l’Agence indienne pour le développement du secteur laitier.

Mais Navdanya y voit le cheval de Troie de Bayer. En 2002, Proagro Seed (acheté depuis par Bayer) a demandé une autorisation commerciale pour sa construction barnase-bar que le Pr. Pental et son équipe promeuvent sous le nom de moutarde DMH11. Cette demande avait néanmoins été rejetée, les essais en champs n’ayant pas été « concluants ».

Nicolas Hulot contre la moutarde GM

En juillet 2015, Navdanya et des organisations paysannes ont appelé les citoyens indiens à joindre un mouvement national de désobéissance civile contre la moutarde GM et pour la protection de la diversité indigène de la moutarde. Depuis, l’équipe de Navdanya s’est rendue sur le terrain pour informer les agriculteurs sur les dangers posés par les cultures GM et par les herbicides comme le glufosinate et le glyphosate.

L’année dernière, plus de 120 groupes de paysans, scientifiques, juristes et activistes, dont Gilles-Éric Séralini, Nicolas Hulot et Vandana Shiva, se sont joints à Navdanya pour organiser une « Assemblée du peuple contre la moutarde GM ». Résister contre l’introduction de la moutarde GM passe aussi par sauver et propager la diversité de la moutarde indigène. C’est pourquoi Navdanya distribue des semences de moutarde indigène à travers le pays et travaille avec les agriculteurs sur des pratiques agricoles écologiques avec des variétés locales de moutarde, tout en invitant les citoyens à joindre le mouvement de désobéissance civile.

manifestation en faveur de la défense du « Ghani » (Janvier 2016)
manifestation en faveur de la défense du « Ghani » (Janvier 2016)
Le 30 janvier 2016, le mouvement citoyen a rejoint Navdanya dans la manifestation en faveur de la défense du « Ghani » (une méthode traditionnelle pour la production de l’huile) de Gandhi.

Des rendements suspects, un conflit d’intérêt réel

Les promoteurs de DMH-11 arguent des rendements supérieurs de 28 à 30 % par rapport aux variétés non GM et donc, une réduction de la facture des importations annuelles d’huiles alimentaires. Mais les organisations paysannes affirment que cette variété a été comparée aux vieilles variétés de moutarde Varuna (1975) et Kranti (1982), tandis que quatre variétés d’hybrides non GM ont montré une productivité supérieure. Si des variétés aux rendements supérieurs sont d’ores et déjà disponibles, pourquoi imposer une moutarde GM ?

Le ministre de l’Environnement, le Dr. Harsh Vardhan, est également le ministre des Sciences et Technologies qui a été l’un des financeurs du développement de la moutarde GM. Dans un cas de conflit d’intérêts évident, il est aujourd’hui le décideur quant à une autorisation de commercialisation.

Depuis la dépôt de la demande d’autorisation, le dossier de la moutarde GM est très peu accessible. Des militants ont demandé plus de transparence et requis du gouvernement la publication de documents liés à la biosécurité. Le GEAC a été accusé d’être un organe non démocratique, opaque et non scientifique où les conflits d’intérêts prévalaient et où les développeurs d’OGM font partie intégrante du processus de décision.

Le seul rapport d’évaluation rendu public sur Internet par l’agence (Assessment of Food and Environment Safety of GE Mustard) est lacunaire. Seule une lecture limitée de son évaluation était autorisée, dans ses bureaux à Delhi. Navdanya a critiqué en détail les lacunes de ce rapport (manque d’informations sur les détenteurs du brevet de cette technologie, pas d’étude d’alimentarité, d’analyses sanguines ou d’évaluation du trait de tolérance aux herbicides – illégal au vu de la législation indienne – pas d’évaluation socio-économique…).

La moutarde étant une culture oléagineuse, il existe un danger de mélange/contamination des huiles issues de cultures GM et non GM. Les agriculteurs craignent également que cette moutarde GM impacte la collecte de nectar et pollen par les abeilles, conduisant à une baisse des production et exportation de miel de moutarde.

La moutarde, centrale dans la culture et l’identité culinaire indienne

Enfin, la tolérance aux herbicides induit une augmentation des résidus de pesticides. Or la moutarde est utilisée comme médicament et se trouve dans toutes les cuisines indiennes. L’Inde est le berceau de la diversité des huiles – noix de coco, arachide, lin, nyger (NDLR : plante herbacée cultivée pour l’huile et ses graines), moutarde, colza, carthame et sésame. Notre culture alimentaire a évolué avec cette biodiversité des huiles. La moutarde est la couleur de notre printemps. Elle le goût et l’arôme de notre alimentation. Elle est un message de chaleur pour les bébés et la lueur des lampes à huile pour Diwali, notre Fête des Lumières. La moutarde est centrale dans la culture et l’identité culinaire des diverses cultures qui font l’Inde.

Cette bataille ne porte pas que sur une technologie. Elle concerne le problème plus vaste de la nourriture et du système agricole que nous souhaitons. L’Inde a besoin d’un débat démocratique sur ces systèmes alimentaires et agricoles qui protègent la biodiversité, la santé des gens, le mode de vie des agriculteurs. Nous avons besoin d’une discussion ouverte sur le paradigme scientifique qui guide la recherche, la politique et le développement technologique. Une discussion sur ce que nous mangeons et comment notre nourriture est cultivée ne peut être laissée à des comités opaques, liés aux industries et déconnectés des procédures démocratiques qui devraient gouverner nos vies et notre alimentation.

Le gouvernement indien gèle la procédure


Le 24 octobre, le ministère de l’environnement indien a publié un document confidentiel de son Comité d’évaluation du génie génétique dans lequel il est affirmé que « Suite à la réception de diverses observations de différentes parties prenantes, les questions liées à la dissémination dans l’environnement de la moutarde transgénique restent en attente en vue d’un examen plus poussé » [1].

L’absence de délai pour prendre une décision indique que le gouvernement est peu pressé pour prendre une décision. D’ailleurs, peu avant la publication de ce document, le ministre de l’environnement, Harsh Vardhan, avait affirmé qu’il y avait autant d’inquiétudes exprimées en faveur de la dissémination de la moutarde génétiquement modifiée que contre. « Le jour où nous seront convaincus sur la question sans aucune confusion, nous prendrons la décision dans un sens ou dans l’autre », a-t-il ajouté. [2]

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