Tafta / Ceta : Késako ?
Le dossier des OGM se retrouve dans de nombreux sujets connexes qu’Inf’OGM éclairera dans sa rubrique « ouverture ». Pour ce premier numéro, Inf’OGM a interviewé Yannick Jadot, eurodéputé vert, sur l’accord transatlantique (TTIP / Tafta).
Inf’OGM – Pourquoi des accords de libre-échange (ALE) avec les États-Unis et le Canada ?
Yannick Jadot – Depuis juin 2013 et le lancement des négociations de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis, les arguments avancés pour justifier un tel Traité ont régulièrement changé de nature. C’étaient d’abord les perspectives de croissance et d’emplois mais on serait, au mieux sur un gain annuel de croissance de 0,03%, au pire sur la destruction de 600 000 emplois en Europe, dont 130 000 rien qu’en France. Autre argument avancé : la construction d’un espace transatlantique plus intégré en matière de normes, de règles et de valeurs, capable de réguler une mondialisation trop souvent marquée par le dumping social, environnemental, fiscal ou monétaire. Sauf que le contenu même des négociations dément cette ambition. Lutte contre le dérèglement climatique, protection des salariés, de la santé et des données personnelles, accès à l’eau ou à l’éducation, lutte contre les paradis fiscaux ou supervision bancaire et financière, parité euro/dollar… : rien de tout cela n’est à l’agenda des négociations.
D’où viennent les difficultés pour signer un tel accord ?
Ces négociations ne portent que marginalement sur le libre-échange qui, à l’exception de quelques secteurs spécifiques, dont l’agriculture, est déjà la règle. L’objectif de ce Traité est d’harmoniser les normes entre les deux rives de l’Atlantique. Sauf que les normes et les règles visées relèvent pour beaucoup de choix de société construits démocratiquement, y compris après de durs combats, depuis les services publics jusqu’au principe de précaution. Côté américain le mandat est clair : plus d’OGM, volaille chlorée et bœuf aux hormones, remise en cause du principe de précaution. C’est un modèle agricole toujours plus industrialisé et concentré. C’est encore plus de libéralisation des services, y compris de services publics, culturels et financiers. C’est, en matière de propriété intellectuelle, la menace sur les libertés numériques et sur les données privées, mais aussi la négation des indications géographiques protégées (IGP) si importantes pour les produits de terroirs. C’est, en matière d’investissement, plus de pouvoirs pour les groupes multinationaux, une capacité encore réduite pour les citoyens, les salariés, les États et les collectivités à défendre leurs droits ou à en instaurer de nouveaux s’ils remettent en cause les perspectives de profits privés. Alors forcément, quand on touche à de tels enjeux démocratiques, ça coince.
La Commission dit que ces ALE ne changeront pas le modèle agricole européen. Vrai ?
Deux millions d’exploitations agricoles d’une superficie moyenne de 170 hectares côté américain, 14 millions d’exploitations de 13 hectares en moyenne côté européen. La suppression des droits de douane mettrait en danger des millions de familles paysannes, en particulier dans les pays du Sud et de l’Est de l’Europe. De plus, la logique industrielle et exportatrice qui prévaut aux États-Unis s’appuie sur des méthodes de production intensive et très peu contrôlées : hormones et accélérateurs de croissance pour l’élevage, rejet du principe de précaution et des normes européennes en matière de bien-être animal… Dans le Ceta, le Canada devra reconnaître 175 IGP européennes qui sont autant de valorisation de nos terroirs. Tant mieux, mais quid des 1300 autres IGP qui passent à la trappe ? Surtout, le Ceta permettra au Canada d’exporter 65 000 tonnes de bœuf et 75 000 tonnes de porc. Même sans hormones mais bourré d’antibiotiques et mal traité, le bœuf canadien contribuera à anéantir un peu plus nos bassins allaitants et la pérennité de nombreuses races bovines. Sur les OGM, les déclarations du lobby des pesticides et des entreprises de biotechs de CropLife Canada suffisent : raccourcissement des délais d’approbation des cultures d’OGM par l’UE, renforcement de la règlementation fondée sur la science (la leur !) et augmentation du niveau de présence fortuite d’OGM dans les produits non-OGM importés. Le Ceta accentuera donc la pression des pro-OGM sur les processus réglementaires européens.
Le droit des agriculteurs sur leurs semences sera-t-il limité par ces ALE, notamment à cause des brevets ?
Il y a une pression énorme des multinationales sur les institutions européennes mais aussi nationales pour renforcer les questions de propriété intellectuelle sur un certain nombre de secteurs dont celui de l’agriculture et de l’alimentation. Dans le secteur des médicaments, le Ceta étend la durée des brevets contre les médicaments génériques. La tentation est forte de faire revenir par la fenêtre, notamment sur les semences, le très mauvais accord Acta (traité international multilatéral sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle) que nous avons défait au Parlement européen. Ce qui nous inquiète le plus n’est pas forcément écrit clairement dans le texte des accords mais dans les dispositions sur le mécanisme de coopération règlementaire. Ce mécanisme, qui a pour objectif de renforcer la coopération législative entre les parties aux accords Ceta et TTIP, est dans les faits un outil destiné à limiter la production de normes ou à les orienter davantage dans un sens très favorable aux intérêts de l’industrie. Or, une grande partie de ces normes ont été adoptées par les États pour poursuivre des objectifs pas directement liés au commerce, comme la protection de l’environnement, de la santé publique ou des consommateurs. Mais avec le TTIP, ces règles décidées démocratiquement sont considérées comme de simples barrières non-tarifaires au commerce. Selon un rapport financé par la Commission européenne, un accord global verrait disparaître 80% de ces obstacles non tarifaires.
Quel impact de ces ALE sur l’autorisation des pesticides ?
Les Américains du Nord considèrent qu’un produit est autorisé jusqu’à ce que sa nocivité soit prouvée alors que l’UE applique le principe de précaution. En demandant l’introduction dans le Traité de ce principe de la « sound science » – que l’on pourrait traduire par « Vraie – ou Bonne – science », comme si elle existait ! – les Américains soutenus par l’industrie veulent faire sauter l’application du principe de précaution avec l’assentiment de la Commission européenne. Les documents du TTIP rendus publics par Greenpeace début mai nous montrent que les deux parties souhaitent appliquer les normes de tolérance du Codex alimentarius pour les résidus de pesticides/herbicides alors que l’UE a mis en place des seuils de tolérance plus stricts. Par exemple, l’UE considère que les résidus acceptables de glyphosate pour l’orge, doivent atteindre 20 mg/kg alors que le Codex alimentarius, fort généreux, met la limite des résidus de glyphosate à 400 mg/kg. Enfin, l’introduction des études d’impact économique en complément des études d’impacts sanitaires et environnementaux, pour décider de l’interdiction de produits chimiques, remet en question le modèle européen dans ce domaine, qui autant imparfait qu’il soit, se fonde davantage sur des évaluations scientifiques et le principe de précaution que sur l’impact économique d’une interdiction sur le secteur concerné.
Que pensez-vous des tribunaux d’arbitrage ?
Les tribunaux d’arbitrage (ISDS – règlement des différends investisseurs / État) instaurent de fait une nouvelle juridiction supranationale, privée, parallèle, qui contourne les juridictions nationales et fédérales publiques. Toute entreprise peut y contester la décision d’une collectivité locale, d’un État ou de l’UE, si elle considère que cette décision remet en cause ses bénéfices, présents ou à venir, et réclamer des millions voire des milliards d’euros de dédommagement. Cette menace permanente sur les États et leurs collectivités est une machine infernale à construire du moins-disant réglementaire et de l’impuissance politique. C’est une arme de destruction massive de la démocratie. La Commission a tenté de tuer le débat en proposant des réformes sans convaincre et sans démontrer la nécessité de privatiser la justice. La santé et l’environnement sont les principaux domaines qui font l’objet d’attaques des entreprises contre les États.
Avez-vous déjà noté des victoires de la société civile ?
C’est grâce à la mobilisation de la société civile et des élus, notamment au Parlement européen, que le débat est aujourd’hui public et que les opinions sont majoritairement opposées au Tafta. Des dizaines de villes et de régions se sont même déclarées zones hors Tafta. Mais attention, cette mobilisation doit rapidement se focaliser sur le Ceta, véritable cheval de Troie du Tafta. Le Ceta est déjà négocié et devrait rapidement être soumis à ratification des États et du Parlement européen, avant les parlements nationaux. Si le Parlement européen rejette le Ceta alors il ne sera jamais ratifié. S’il l’accepte, ce sont les parlements nationaux qui devront le rejeter. La bataille sur le Tafta et le Ceta, en particulier au Parlement européen, est centrale pour Les Verts puisque notre capacité à construire un modèle de développement démocratique, solidaire, respectueux des femmes, des hommes et de la nature, en dépend.
Des sigles et des accords
Acta : Anti-Counterfeiting Trade Agreement, Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC)
Ceta : EU-Canada Comprehensive Economic and Trade Agreement, Accord économique et commercial global (AECG)
Tafta : Traité de libre-échange transatlantique
TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership, partenariat transatlantique de commerce et d’investissement
GMT : Grand marché transatlantique