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UE – Vers plus de transparence et de participation du public

Par Charlotte KRINKE

Publié le 19/07/2022

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En 2017, une affaire introduite par une ONG a permis de constater que le droit de l’Union ne respectait pas complètement la Convention d’Aarhus. Ce texte reconnaît au public le droit à l’information, à la participation et à l’accès à la justice sur les questions environnementales. Une révision de la réglementation de l’UE est intervenue en 2021 pour remédier aux manquements. Inf’OGM fait le point sur les changements apportés.

La Convention d’Aarhus, texte phare en droit de l’environnement, reconnaît au public le droit à l’information, à la participation au processus décisionnel et à l’accès à la justice en matière d’environnement. L’Union européenne (UE), qui est Partie à la convention depuis 2005, l’a transposée par le règlement n°1367/2006 (dit « règlement d’Aarhus ») [1].

Sur la base de ce règlement, les ONG de protection de l’environnement peuvent, via la procédure administrative de « réexamen interne », demander à une institution ou à un organe de l’UE d’examiner si un acte administratif qu’ils ont adopté est contraire à la législation environnementale de l’Union, ou s’ils auraient dû adopter un acte. Depuis 2006, plusieurs demandes de réexamen interne ont ainsi été introduites par des ONG, concernant notamment des décisions autorisant la mise sur le marché d’OGM. 

Mais en 2017, à l’occasion d’une affaire introduite par l’ONG Client Earth, le comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus [2] a constaté que l’Union européenne ne respectait pas l’ensemble de ses obligations en matière d’accès à la justice (paragraphes 3 et 4 de l’article 9 de la convention) [3].

La Commission européenne a rejeté, dans un premier temps, les conclusions du comité [4]. Mais en 2020, à la demande du Conseil de l’Union européenne et après l’avoir annoncé dans sa communication sur « Le pacte vert pour l’Europe » [5], elle a proposé une révision du règlement d’Aarhus pour mettre le droit de l’Union en conformité avec la convention. Cette proposition a abouti, un an plus tard, à l’adoption du règlement n°2021/1767 [6]).

Élargissement des actes susceptibles de réexamen

Jusqu’à sa révision, le règlement d’Aarhus prévoyait qu’un seul type d’actes puisse faire l’objet d’une demande de réexamen. Il s’agissait des actes administratifs définis comme « toute mesure de portée individuelle au titre du droit de l’environnement […] et ayant un effet juridiquement contraignant et extérieur » [7].

Ces conditions ne figurent pas dans la Convention d’Aarhus et restreignent l’accès au contrôle administratif. Le fait que seuls des actes de portée individuelle puissent faire l’objet d’une demande de réexamen a, par exemple, conduit au refus du réexamen de plusieurs demandes d’ONG contestant l’autorisation de la substance active du glyphosate. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a confirmé, à plusieurs reprises, que la décision d’autorisation d’une substance active est une mesure de portée générale. Cette décision s’applique en effet à tout opérateur dont les activités requièrent l’autorisation de la substance active [8]. Elle n’est donc pas susceptible de réexamen interne. Comme l’admet lui-même le nouveau règlement d’Aarhus de 2021, la limitation du réexamen interne aux actes de portée individuelle était le principal motif d’irrecevabilité des demandes de réexamen interne.

L’autre (ancienne) condition était que l’acte soit adopté « au titre du droit de l’environnement ». Or, la Convention d’Aarhus, elle, utilise l’expression d’actes « allant à l’encontre des dispositions du droit national de l’environnement ». Un écart loin d’être anodin… Cette condition n’a cependant pas empêché la CJUE de considérer qu’une décision d’autorisation de mise sur le marché d’OGM, même si elle ne couvre pas la culture, peut faire l’objet d’une demande de réexamen interne [9].

Le nouveau règlement d’Aarhus apporte des changements importants sur ces deux points.

À présent, la procédure de réexamen s’applique à tout acte « contenant des dispositions qui peuvent aller à l’encontre du droit de l’environnement », c’est-à-dire avoir un effet négatif sur la réalisation des objectifs de la politique de l’UE en matière d’environnement [10]. Cela signifie que des actes qui seraient, par exemple, adoptés dans le cadre de la politique commerciale commune sont désormais également susceptibles de faire l’objet d’une demande de réexamen. En revanche, le règlement révisé maintient des exclusions : les actes adoptés au titre des règles de concurrence, de la procédure en manquement et de la procédure relative au médiateur et à l’Office européen de Lutte Anti-Fraude ne peuvent pas faire l’objet d’une demande de réexamen. Par exemple, si la Commission européenne autorise la fusion entre deux entreprises de biotechnologies, cette décision ne pourra pas faire l’objet d’une demande de réexamen interne.

Surtout, le nouveau règlement fait que la procédure de réexamen interne concerne désormais tous les actes adoptés par un organe ou une institution de l’UE, dès lors qu’ils produisent des effets juridiques à l’égard des tiers, que leur portée soit individuelle ou générale [11]. L’ONG PAN Europe, qui œuvre pour éliminer les pesticides dangereux en Europe, s’est aussitôt saisie de cet élargissement pour introduire des demandes de réexamen interne contre des règlements autorisant le renouvellement ou allongeant la durée d’autorisation de substances actives. Ces demandes n’ont pas été déclarées irrecevables, comme elles l’auraient été sous l’ancien règlement. Mais elles n’ont pas pour autant conduit la Commission européenne à revoir sa décision…

Les membres du public peuvent demander un réexamen interne… sous conditions strictes

Une autre modification substantielle introduite par le nouveau règlement d’Aarhus est l’ouverture de la procédure de réexamen aux membres du public autres que les ONG de défense de l’environnement. Jusqu’alors la procédure n’était ouverte qu’aux seules ONG alors même que la Convention d’Aarhus impose à « chaque Partie (de) veille(r) à ce que les membres du public […] puissent engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions de particuliers ou d’autorités publiques » [12].

Mais il est assez aisé de voir que cette ouverture s’est heurtée à des résistances. D’abord, l’exercice de ce droit ne sera possible qu’à partir du 29 avril 2023, soit bien après l’entrée en vigueur des autres dispositions du nouveau règlement, le 28 octobre 2021. Ensuite, l’introduction d’une demande de réexamen interne par les membres du public est sévèrement encadrée par des conditions difficiles à manier. Par exemple, la demande de réexamen ne sera recevable que dans deux cas : soit les membres du public parviennent à démontrer une atteinte à leurs droits dont ils sont, par comparaison avec le grand public, directement affectés, soit ils parviennent à démontrer l’existence d’un intérêt public suffisant et « la demande est soutenue par au moins 4 000 membres du public qui résident ou sont établis dans au moins cinq États membres et qu’au moins 250 membres du public proviennent de chacun de ces États membres ». Dans tous les cas, les membres du public doivent être représentés par un avocat habilité à exercer devant la juridiction d’un État membre ou par une ONG de défense de l’environnement.

Autant dire que le législateur européen a clairement cherché à éviter que des membres du public ne disposent du droit inconditionnel de demander un réexamen interne. Les institutions et organes de l’UE ne risquent donc pas d’être submergés de demandes de réexamen de membres du public… D’ailleurs, à ce jour, aucune demande de réexamen interne n’a été introduite.

L’affaire ouverte par l’ONG Client Earth est aujourd’hui close. La Réunion des Parties de la Convention d’Aarhus a en effet considéré, en octobre 2021, que le nouveau règlement d’Aarhus permet à l’Union européenne d’assurer le respect des dispositions de la Convention d’Aarhus [13]. Il faut cependant relever que le comité d’examen du respect de la convention, dans un rapport remis en amont de la Réunion des Parties, se montrait plus nuancé. Selon lui, la question de savoir si l’Union européenne respecte la convention dépendrait, dans la pratique, de la manière dont les organes administratifs et la CJUE interpréteraient les conditions encadrant la demande de réexamen interne pour les membres du public autres que les ONG [14]. Cette précision est très importante car la procédure administrative de réexamen interne, si ses conditions ne sont pas trop strictement interprétées, permet de corriger, en partie, l’accès très difficile pour les particuliers à la Cour de justice de l’Union européenne pour demander l’annulation d’un acte. Cette difficulté concerne y compris les actes adoptés dans le domaine de l’environnement [15].

[2Le comité d’examen du respect des dispositions de la Convention d’Aarhus est un organe institué par la convention en vue d’évaluer le respect des dispositions de cette dernière et de recommander d’éventuelles adaptations.

[7Article 2-1, sous g) du règlement.

[8Voir par exemple : CJUE, « Mellifera eV contre Commission européenne, Affaire C-784/18 P », 3 septembre 2020.

Selon une jurisprudence constante de la CJUE, un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Le nombre de destinataires d’un acte ou de personnes concernées par celui-ci n’est pas déterminant en soi afin de déterminer si un acte juridique a, ou non, une portée générale.

[10Ces objectifs sont la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement, la protection de la santé des personnes, l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement, et en particulier la lutte contre le changement climatique (voir article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

[11Tout comme sous l’ancien règlement, les actes législatifs, les actes préparatoires, les recommandations, les avis, tels ceux de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et les autres actes non contraignants, ne sont pas susceptibles de réexamen interne.

[12Article 9 paragraphe 3 de la Convention.

[15Est en cause l’interprétation très restrictive, par la Cour de justice de l’Union européenne, de l’article 263, quatrième alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Depuis l’arrêt Plaumann rendu en 1963, il faut, pour demander l’annulation d’un acte législatif, apporter la preuve que le ou les requérants touchés sont affectés individuellement, c’est-à-dire qu’ils le sont à l’exception de tous les autres requérants potentiels.

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