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Inde : traitement de faveur pour les OGM non transgéniques
Fin mars 2022, le ministre indien de l’Environnement a annoncé que les plantes génétiquement modifiées dans lesquelles aucun gène étranger n’a été inséré, communément appelées nouveaux OGM ou OGM non transgéniques, échapperont désormais aux principales obligations prévues par la législation OGM. Une décision critiquée par certains [1] pour son absence de fondement scientifique.
Par une lettre du 30 mars 2022, intitulée Office Memorandum, le ministre indien de l’Environnement a annoncé un assouplissement considérable des règles applicables aux plantes génétiquement modifiées dans lesquelles, selon leurs obtenteurs, aucun gène étranger n’aurait été inséré. Ces plantes sont aussi appelées « nouveaux OGM », « plantes génétiquement éditées » ou « OGM non transgéniques ». Il s’agit des plantes issues des nouvelles techniques de modification génétique comme la mutagénèse dirigée (Crispr, Talen, Méganucléase…).
Le ministre indien a décidé que, pour ces OGM non transgéniques, les principales obligations qui structurent la législation indienne sur les OGM, qui sont destinées à garantir la protection de l’environnement et la santé, seront écartées. Pour importer, exporter, transporter, cultiver, etc. ces OGM, il ne sera donc plus nécessaire de faire une évaluation des risques et d’obtenir une autorisation préalable du Genetic Engineering Approval Committee (GEAC), un comité qui dépend du ministère de l’Environnement. Et sans autorisation préalable, il n’y aura pas non plus d’étiquetage… C’est un processus réglementaire distinct et affaibli qui s’appliquera aux OGM non transgéniques, à l’écart de la surveillance du GEAC.
Une décision politique sans fondement scientifique
Dans sa lettre, le ministre de l’Environnement se montre très peu disert sur les motifs qui justifient la différence de traitement entre les plantes transgéniques et les plantes non transgéniques. Il se contente d’affirmer que sa décision fait suite aux recommandations du département de la Biotechnologie et du département de l’Agriculture, de la Recherche et de l’Éducation suivant lesquelles les plantes génétiquement modifiées sans insertion de gène étranger doivent bénéficier de règles assouplies. Autrement dit, la décision est fondée sur l’idée que les OGM non transgéniques sont plus sûrs que les OGM transgéniques, parce qu’ils ne contiennent pas d’ADN étranger et parce que les techniques permettant de les obtenir sont présentées comme plus précises. De nombreuses études scientifiques démontrent pourtant que les techniques de modification génétique, y compris les nouvelles techniques, produisent toutes des effets non intentionnels. Et entre autres effets non intentionnels, la présence de fragments d’ADN étranger utilisé pour provoquer la modification génétique revendiquée [2] [3] [4] [5]… Les risques découlant de ces effets non intentionnels sont donc liés aux processus eux-mêmes.
En supposant que les OGM non transgéniques sont plus sûrs, le gouvernement indien marque un tournant dans l’approche de l’évaluation des risques. Sa décision conduit en effet à catégoriser les OGM en fonction des risques liés à la description faite du produit final plutôt qu’à ceux liés aux modifications de ce produit découlant de la méthode utilisée pour les fabriquer. Une telle approche est appliquée aux États-Unis et la Commission européenne prépare également un projet en ce sens. Mais elle paraît être en contradiction avec les définitions que donne le droit indien du génie génétique et de la technologie génétique [6].
Une décision saluée par l’industrie
La décision d’alléger les règles applicables aux OGM non transgéniques a engendré des réactions très diverses. Du côté des chercheurs, elle suscite de l’enthousiasme… mais surtout lorsque ces chercheurs ont des liens avec l’industrie des biotechnologies. C’est le cas de Vijay Paranjape, chercheur en génie génétique et qui, après avoir travaillé pendant 17 ans pour Monsanto, est aujourd’hui consultant à Sathguru Management Consultants où il est notamment chargé de conseiller ses clients sur « l’élaboration d’un cadre politique et réglementaire ». Il coordonne aussi le projet « Delivering Genetic Gains in Wheat » financé par la Fondation Gates pour les pays d’Asie du Sud (Inde, Népal, Bhoutan et Bangladesh) en se concentrant sur la surveillance, la sélection et l’adoption de nouvelles variétés [7]. Sur le site Internet de Alliance for science, initiative dont la principale source de financement est la Fondation Bill & Melinda Gates [8], Vijay Paranjape salue la décision du ministère de l’Environnement comme une mesure courageuse aux conséquences importantes pour le développement agricole de l’Inde. Il estime qu’elle va donner un énorme coup de pouce à l’industrie des semences et aux agriculteurs du pays [9].
Rajeev Varshney, chercheur en agronomie et en génomique, se félicite sur Twitter de cette décision : « Une décision historique du gouvernement indien – ’Exemption des plantes à génome modifié relevant des catégories SDN1 et SDN2 des dispositions du règlement de 1989’, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas considérées comme des plantes génétiquement modifiées. Merci beaucoup » [10]. Rajeev Varshney a travaillé pendant plus de 16 ans à l’Icrisat, un centre de recherche du CGIAR qui compte parmi ses partenaires Bayer, Dow Agro-Sciences ou encore KeyGene et parmi ses financeurs la Fondation Bill & Melinda Gates et la Fondation Syngenta [11].
Une décision risquée aux effets irréversibles
En revanche, du côté des organisations de la société civile, de protection de l’environnement et des droits des agriculteurs, la décision du ministre de l’Environnement est jugée dangereuse. Kavitha Kuruganti de l’Alliance pour une agriculture durable et holistique, déclare que la décision « n’est pas scientifique et risquée. L’édition du génome, conformément aux règles de la loi de 1989 sur la protection de l’environnement, doit être entièrement réglementée par le GEAC et non de manière sélective » [12]. Pour Suman Sahay de l’organisation Gene Campaign, critique envers les OGM, « dire qu’il n’y a pas d’ADN étranger est un argument spécieux. Le fait est que vous effectuez une intervention agressive dans un processus naturel » [13].
Les organisations craignent une augmentation des surfaces cultivées d’OGM alors que, pour l’heure, le coton Bt transgénique est le seul OGM autorisé pour la culture commerciale dans le pays. La décision du ministre intervient après un an de protestations des paysans indiens contre des réformes agricoles perçues comme ayant pour but d’industrialiser le secteur agricole [14]. Pour Bharat Dogra, responsable de campagne de Save Earth Now et auteur d’un article publié dans The Ecologist, « la lutte pour la souveraineté alimentaire de l’Inde va désormais se heurter aux entreprises multinationales qui poussent pour faire progresser les technologies de modification génétique, […] ce qui pourrait ouvrir la boîte de Pandore des conséquences involontaires sur la santé et l’environnement » [15].
Rappelons que, dans l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé dans un arrêt de 2018 que les organismes issus des nouvelles techniques de mutagénèse sont des OGM et doivent être soumis à la législation OGM. La Cour de justice a précisé que « les risques liés à l’emploi de ces techniques/méthodes nouvelles de mutagénèse pourraient s’avérer similaires à ceux résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgenèse » [16].
[1] « Transgene-free » GMOs may be exempted from GMO regulations under false pretences, GMWatch, 9 Avril 2022. https://gmwatch.org/en/106-news/latest-news/20013
[2] , « Crispr : plus d’effets hors-cible que prévus », Inf’OGM, 19 décembre 2019
[3] , « OGM – Des techniques qui laissent des traces », Inf’OGM, 28 juin 2019
[4] , « OGM – Quand de l’ADN non désiré s’invite avec Crispr », Inf’OGM, 2 octobre 2019
[5] ,
, « Modifications génétiques : à chaque étape, des effets non-intentionnels », Inf’OGM, 23 décembre 2018
[6] The manufacture, use, import, export and storage of hazardous micro-organisms genetically engineered organisms or cells rules, 1989.
[8] Our funders, Alliance for science.
[9] « In boost for agriculture, India exempts gene edited crops from biosafety assessment », Vijay Paranjape, Alliance for science, 4 avril 2022.
[10] « Government Allows Some Genome-Edited Plants for Regulation ; Activists and Academia Divided Over Move », IANS, 1er Avril 2022.
[12] « Rules relaxed for some gene-edited plants, organisms« , The Hindustan Times, 31 Mars 2022.
[13] « Government Allows Some Genome-Edited Plants for Regulation ; Activists and Academia Divided Over Move », article cité.
[14] « Farmers across India protest against farm bills« , The Hindustan Times, Septembre 2020 et « India : Farmers block roads, rail tracks in nationwide protest« , Deutsche Welle, Septembre 2021.
[15] « Concerns as India relaxes rules around gene-edited crops« , The Ecologist, 4 avril 2022.
[16] , « Europe – Les nouveaux OGM sont des OGM comme les autres », Inf’OGM, 25 juillet 2018