Biologie de synthèse : les instances internationales avancent dans le flou
Depuis une dizaine d’années, la biologie de synthèse est un sujet à part entière dans les instances internationales, notamment au sein de la Convention sur la Diversité Biologique. Les débouchés de ces discussions sont encore flous, d’autant qu’aucune définition officielle n’a encore été adoptée. Une certitude néanmoins : pour ces instances, les OGM font partie des développements de la biologie de synthèse.
La Convention sur la Diversité Biologique (CDB) est, de loin, l’instance ayant le plus avancé dans ses réflexions sur la biologie de synthèse. D’autres instances internationales, comme la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ou la Convention sur les armes biologiques, se penchent sur le sujet. Chacune l’aborde avec son propre vocabulaire, de manière isolée.
Il est compliqué de mesurer l’enjeu politique des négociations en cours. On peut néanmoins constater que les débats sont loin, très loin des citoyens. Les questions sont pourtant concrètes : la biologie de synthèse doit-elle être encadrée par les réglementations existantes ? Faut-il créer un nouveau cadre réglementaire ? Ou est-elle un domaine trop vaste, recouvrant d’autres domaines déjà réglementés ?
La Convention sur la Diversité Biologique a du mal à se décider
En 2021, les États parties à la CDB essayaient encore de se mettre d’accord quant à savoir si la biologie de synthèse doit être qualifiée de « nouvelle technologie émergente ». Une réponse positive en ferait un sujet prioritaire pour la CDB. Cette dernière a commencé à se pencher sur le sujet en… 2010, en collectant des informations et en invitant les États à appliquer « le principe de précaution à la libération sur le terrain d’éléments biologiques, de cellules, ou de génomes synthétiques dans l’environnement » [1]. Une décision, attendue pour 2022, pourrait être que cette question n’est plus pertinente. En mai 2021, l’Union européenne a estimé qu’il n’était plus nécessaire d’y répondre [2]. Cette approche pourrait satisfaire certaines entreprises comme Croplife qui, en 2019, expliquait à la CDB que la biologie de synthèse ne répond pas aux critères qualifiant un domaine de « nouvelle technologie émergente » [3].
Ces discussions au sein de la CDB ont une certaine originalité puisqu’elles ont lieu sans définition officielle de la biologie de synthèse. Pour pallier ce manque, une définition opérationnelle a été adoptée en 2016, qui établit que « la biologie synthétique est un développement ultérieur et une nouvelle dimension de la biotechnologie moderne qui combine la science, la technologie et l’ingénierie pour faciliter et accélérer la compréhension, la conception, la restructuration, la fabrication et/ou la modification de matériel génétique, d’organismes vivants et de systèmes biologiques » [4]. Il a également été précisé que les organismes vivants issus de la biologie de synthèse « sont semblables aux organismes vivants modifiés, tels que définis dans le Protocole de Cartagena », tout en soulignant qu’il pourrait ne pas y avoir consensus sur la qualification de « vivant »…
Si, en 2018 en Égypte, la CDB rappelait aux États son appel à la prudence [5], aucune avancée concrète n’a été enregistrée depuis. Une absence d’avancées d’autant plus étonnante que se pose aussi la question des informations de séquences numérisées. Doivent-elles être incluses dans ce sujet ? Maroc, Malaisie, Suisse et Mexique se sont ainsi opposés au Canada et au Brésil qui, en mai 2021, voulaient exclure ce sujet des discussions [6].
La Convention sur le commerce international des espèces (…) menacées d’extinction s’interroge également
En 2017, les États-Unis avaient évoqué le développement de cornes de rhinocéros « par bioingénierie » [7]. La CITES s’était alors saisie du sujet, avec comme première étape l’intention de produire une étude sur « les produits de la nature sauvage produits par ADN synthétique ou cultivé » et toutes recommandations scientifiques pertinentes. L’objectif poursuivi était d’établir si le cadre actuel, mis en place pour protéger les espèces en danger, suffit pour couvrir les produits issus de la biologie de synthèse reproduisant tout ou partie de ces espèces en danger et les capacités à les différencier les uns des autres. La CITES cherche notamment à savoir si la biologie de synthèse présente des risques pour la conservation des espèces et quel cadre serait nécessaire. Elle voudrait établir et prévenir le risque que des spécimens sauvages illégalement mis sur le marché soient déclarés comme issus de biologie de synthèse, semblant étonnamment considérer que les deux seraient indifférenciables… La question de la révision des résolutions ou de la rédaction de nouvelles sera abordé en novembre 2022, au Panama.
D’autres instances touchent le débat du bout des doigts
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), la Convention sur les armes biologiques et la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (Cnuced) s’intéressent également à la biologie de synthèse, bien que de manière moins soutenue. L’OMS a pour mandat, depuis 2019, de s’informer « sur les développements à la frontière des nouvelles disciplines scientifiques (…) qui constituent des opportunités de transformation mais comportent également des risques à la santé globale ». La biologie de synthèse pourrait être intégrée dans le cadre plus général des lignes directrices sur une utilisation responsable des sciences de la vie, actuellement en cours de réflexion.
La convention sur les armes biologiques considère que sa définition des armes biologiques s’applique à tout développement technologique ou scientifique des sciences de la vie ou d’autres champs de la science. Selon cette définition, sont qualifiés d’armes biologiques les « agents microbiologiques ou autres agents biologiques, ainsi que des toxines quels qu’en soient l’origine ou le mode de production, de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques ».
Enfin, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement a, en 2021, rappelé que chaque vague de changement technologique s’est accompagnée de nouvelles inégalités [8]. Selon elle, la biologie de synthèse représente donc un défi pour les pays en voie de développement du fait des lacunes technologiques, d’une faible diversification économique et de droits de propriété intellectuelle restrictifs. Elle estime que des questions éthiques se posent bien évidemment avec les nouveaux OGM, comme l’accès inégal à des traitement coûteux, les risques pour les femmes de porter un embryon génétiquement modifié ou encore l’eugénisme.
[1] Convention sur la Diversité Biologique, Décision X/13 du 29 octobre 2010.
[2] Commission européenne, « Formal session in of the 24th meeting of the subsidiary body on scientific, technical and technological advice », 24 mai 2021.
[3] CropLife arguait que, d’une manière générale, « les développements technologiques sont la conséquence logique des connaissances et de l’expérience accumulées et visent à améliorer l’efficacité des processus et la prévisibilité des résultats sans nécessairement créer de nouveaux « problèmes » », https://croplife.org/wp-content/uploads/2019/02/FINAL-GIC-Submission-on-Synthetic-Biology-February-2019.pdf
[4] Convention sur la Diversité Biologique, Décision décembre 2016 COP CBD.
[5] Convention sur la Diversité Biologique, « Decision adopted by the conference of the parties to the convention on biological diversity – 14/19. Synthetic biology », 30 novembre 2018.
[6] Convention sur la Diversité Biologique, « Report Of The Ad Hoc Technical Expert Group On Synthetic Biology, Montreal, Canada, 4-7 June 2019 », 7 juin 2019.
[7] Selon un représentant de la CITES lors d’un webinaire organisé par la CDB début novembre 2021.
[8] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (Cnuced), « Technology and innovation report 2021 ».