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Règlement sanitaire : les variétés paysannes pénalisées ?
Yanick Loubet était producteur de semences bio, aujourd’hui à la retraite. Dans cet entretien, il nous fait part de l’aberration d’appliquer la même législation sanitaire sur les semences de « variétés conventionnelles » que sur les semences de ce qu’il considère comme les véritables variétés, et qu’il nomme les « variétés naturelles » [1]. « La présence de la bactérie Clavibacter dans mes tomates n’a jamais été un problème » affirme-t-il. Une bactérie pourrait donc totalement détruire une tomate issue d’une variété du catalogue et laisser indemne une tomate issue d’une « variété naturelle » ? Inf’OGM a voulu en savoir plus.
Inf’OGM : Quelle est ta définition d’une variété ?
Yanick Loubet (Y. L.) : Sur le plan botanique, une variété est une population d’une espèce qui développe des caractères qui permettent de la différencier du reste de l’espèce. Elle est capable de se reproduire d’elle-même par reproduction sexuée via la semence dans laquelle elle transmet les informations acquises (résistance, adaptation) au cours des générations. Elle peut aussi se cloner par multiplication végétative (boutures, rhizomes…). Si la reproduction n’a lieu que par clonage (multiplication à l’identique d’un seul individu, voire en laboratoire d’une seule cellule), on constate toujours une dégénérescence rapide (voir schéma ci-dessous).
Inf’OGM : Quelle conséquence sur la transmission des caractères ?
Y. L. : En clair, une variété hybride F1 (voir encadré ci-dessous) doit être « remise à jour » régulièrement artificiellement, sachant qu’il y aura un décalage souvent de plusieurs années pour régler un nouveau problème (viral, bactérien ou autre). Ce qui n’est pas le cas des variétés naturelles qui, elles, sont confrontées en permanence, de génération en génération, à la vie, le plus naturellement du monde. C’est l’expérience transmise par les générations, par la semence uniquement, qui permet l’adaptation et la résistance. On appelle cela aussi la résilience…
Qu’est-ce qu’un hybride F1 ?
Un hybride F1 est la première génération d’un croisement de deux lignées pures. Les hybrides F1 sont issus du croisement de deux lignées sur lesquelles l’autofécondation a été forcée pendant un certain nombre de générations afin d’avoir des individus homozygotes (dotés de gènes aux allèles identiques) présentant une caractéristique intéressante.
Dans le cas des plantes allogames (fécondation naturellement croisée), l’autofécondation forcée produit une « dépression consanguine » importante. En année 1, ce croisement bénéficie du retour à l’allogamie, qui lui donne une supériorité par rapport aux lignées pures (meilleur rendement, ce phénomène est nommé hétérosis), mais en cas de ressemis l’année suivante (année 2), la majorité des plantes obtenues (F2) sont chétives et hétérogènes. En effet, le croisement n’ayant pas été stabilisé, elles héritent de nombreux caractères dépressifs de leurs « grands-parents » consanguins.
Dans le cas des plantes autogames (auto-fécondation naturelle), on ne retrouve pas le même « effet hétérosis », mais uniquement l’intérêt des caractères intéressants des deux parents et, pour l’obtenteur, l’intérêt du croisement non stabilisé qui entraîne la perte de certains de ces caractères dans la majorité des plantes issues du ressemis de la récolte de l’agriculteur.
Les hybrides F1 entraînent une dépendance des agriculteurs qui se voient contraints de racheter leurs semences chaque année.
Inf’OGM : Que se passe-t-il avec des maladies type la bactérie Clavibacter ou le virus de la mosaïque du pépino chez les variétés de tomates (dans le sens de variété du catalogue) ?
Y. L. : Les variétés au sens du catalogue, que j’appelle « les variétés de synthèse » [2], sont sujettes à ces pathogènes (depuis 40 ans pour Clavibacter et une vingtaine d’années pour le virus de la mosaïque du pépino, désigné par son acronyme PepMV). Clavibacter provoque le chancre bactérien et peut totalement ravager la culture de tomates, tandis que le virus de la mosaïque du pépino minore le rendement de 10 à 40 %, voire plus dans certains cas.
Ce ne sont que deux exemples, mais le développement de ce type de maladies justifie la mise en place de règles sanitaires qui visent une élimination drastique de toute trace de virus, valables à la fois pour Clavibacter et le PepMV [3] : certificat phytosanitaire à l’importation, destruction des plants touchés dans des sacs hermétiques, mise en place de pédiluve, désinfection des locaux et du matériel, vide sanitaire, traitements bactéricides…
Le problème est que ces règles s’imposent aussi pour les producteurs de semences bio avec des « variétés naturelles » (au sens botanique) de tomates. En 2017, certains producteurs se sont ainsi retrouvés privés de leurs semences [NDLR : obligation de destruction] à cause de la présence de Clavibacter michiganensis et du virus de la mosaïque du pépino [4].
Inf’OGM : N’est-ce pas pour les protéger de ces pathogènes ?
Y. L. : Aucun producteur bio n’a jamais eu de problème avec ces pathogènes sur ses variétés naturelles (sauf une année particulièrement humide où Clavibacter avait proliféré, détruisant les plants). Chez certains producteurs bios, ces cultures avaient même été contrôlées par le Gnis/Soc [5] en saison : végétation parfaitement saine, indemne de pathogène viral ou bactérien. La présence de ce Clavibacter et de ce virus n’engendre pas d’inconvénient rédhibitoire dans des systèmes agro-écologiques où nous travaillons sur les équilibres. Par contre, dans des monocultures industrielles, qui sont finalement plus fragiles, la seule issue est la mise en place de réglementations sanitaires pour protéger leurs faiblesses.
Inf’OGM : Quelles règles en tires-tu ?
Y. L. : La protection de la biodiversité cultivée est un leitmotiv de toutes les institutions. Mais comment peut-on protéger la biodiversité cultivée en protégeant la fragilité d’un système intensif artificiel ?
Ce qu’on appelle « variétés » aujourd’hui sont en fait des « variétés de synthèse », sources des problèmes phytosanitaires. Redonnons son authenticité au terme “variétés” lui-même, au sens botanique, et nous retrouverons alors la véritable biodiversité dans les variétés cultivées ou sauvages.
Source : Yanick Loubet
Légende du schéma :
En vert : Espèce avec ses variétés qui se rencontrent et partagent leurs expériences.
En beige : Les variétés cultivées avec parfois des rapports avec les sauvages et des croisements organisés entre paysans pour renforcer la génétique.
En marron : Les variétés des semenciers produites en vase clos et sélectionnées très précisément (entraînent un appauvrissement génétique).
En violet : Variétés de synthèses dégénérescente, jusqu’au clone (en noir).
[1] Dans cet article, le terme « variété conventionnelle » définit un ensemble de plantes toutes identiques, distinctes homogènes et stables (DHS) ; et « variété naturelle » se réfère à une population ou un ensemble de plantes toutes différentes exprimant des caractéristiques qui les distinguent des autres populations.
[2] À ne pas confondre avec les produits issus des techniques récentes de « biologie de synthèse ».
[3] Voir Note nationale de préconisation DGAL/SDQPV – CTIFL, Le chancre bactérien de la tomate (Clavibacter michiganensis subsp. Michiganensis), et la directive 2000/29/CE transposée en droit français par l’arrêté du 24/05/2006.
[4] Voir RSP, Les semences « interdites » ?, 27 septembre 2018.
[5] Gnis : groupement national interprofessionnel des semences et plants (devenu Semae) ;
Soc : Service officiel de contrôle et de certification, anciennement assuré par le Gnis, voir , « Interprofession semences : vers quelle ouverture ? », Inf’OGM, 2 mars 2021